LA GARNISON DU SENEGAL, 1800-1809

Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.
Sénégal 19e siècle
Le Sénégal au 18e siècle

Sénégal, compagnie des hommes de couleur
Fig. 1 Compagnie des hommes de couleur du Sénégal, 1799-1800

Au tout début de ce 19e siècle, les Français sont implantés, comme leurs concurrents anglais ou Portugais, dans quelques petits postes côtiers isolés en Afrique Occidentale, souvent très sommaires. Les plus importants sont Saint-Louis et Gorée.

L’ile de Saint-Louis (anciennement N’Dar), dans l’embouchure du fleuve Sénégal, est occupée depuis 1633. Elle a été fortifiée en 1650 et s’y est bâti, peu à peu, une petite agglomération autour du fort. En 1802, il y a très peu de maisons en dur (une vingtaine), le reste sont des cases, regroupées en deux grands quartiers : un quartier chrétien, un quartier musulman noir et des maures qui vivent à l’écart sous des tentes. La mixité raciale sur ce petit espace y devient un fait évident.

En 1780, on y compte 7000 habitants dont 700 européens et 2400 métis qui tiennent la majorité du commerce. Les esclaves domestiques pour la localité sont à peu près 2000, les autres esclaves sont en transit. La vie y est rythmée par les campagnes commerciales annuelles, dont la traite. Mais la gomme arabique rapporte plus. Des compagnies commerciales se sont fait accorder des monopoles sur les comptoirs.

De petites flottilles remontent ainsi le fleuve vers l’intérieur des terres, puis le descendent et livrent leurs marchandises à Saint Louis qui sert de zone de transit. La bonne volonté des princes locaux, le long du fleuve, à laisser passer les convois, est renforcée par des tributs réguliers, versés par la colonie, en numéraire, en armes, munitions, et les redevances pour la fourniture des «cargaisons» de toutes natures : esclaves, la gomme arabique, l’or, l’ivoire et l’alimentation de Saint Louis.

Les vaisseaux des armateurs de l’Ouest de la France prennent alors le relais. Pour atteindre l’ile à partir de l’océan, il faut passer «la barre» : un cordon littoral de haut fonds, et seuls les petits navires le peuvent.

L’ile de Gorée (occupée depuis 1677) sert de point de ravitaillement sur la route de l’Océan Indien, et aussi de poste de traite pour le commerce des esclaves.

Le gouverneur, installé à St-Louis, est chargé de maintenir la présence française avec une petite garnison, mais aussi et surtout, favoriser le commerce et le bon voisinage avec les petits royaumes locaux le long du fleuve.

La Révolution abolissant l’esclavage et le monopole des compagnies commerciales ralentit considérablement l’économie locale. Quant à la garnison de Saint-Louis, composée de deux petites Compagnies du Bataillon d’Afrique, dont 30 hommes à Gorée, elle s’étiole lentement de fatigue et maladies. En 1796, il n y a plus que 30 hommes, et le Directoire envoie une Compagnie d’hommes de couleur, ex prisonniers anglais des Antilles revenus en France, de 120 hommes. Cette Compagnie, encadrée par des Officiers noirs ou métis, est commandée par le Capitaine Marin Pedre, assisté du Lieutenant Varin, du Sous-lieutenant Alin, du Sergent-major Yauyau et du Fourrier Morel.

I/ 1800, LES NOUVELLES ATTAQUES ANGLAISES ET LA DEFENSE DE LA COLONIE

L’ile de Gorée est occupée par les Anglais depuis le 4 avril 1800. La très faible garnison (40 hommes), aux ordres du Lieutenant Guillemin, ayant évacué à leur arrivée.

Le miraculeux renfort des soldats antillais permet de repousser une tentative anglaise sur Saint-Louis le 14 nivose an 9 (4 janvier 1801).

Une petite escadre anglaise de 4 vaisseaux britanniques, commandée par le commodore Hamilton, avait fait son apparition le 26 décembre 1800. Après une première tentative infructueuse pour passer la barre, dans la nuit du 3 au 4 janvier, 5 canots réussissent à entrer dans l’embouchure du fleuve et attaquent un brick français dont ils s'emparent. La Compagnie du Capitaine Pedre, postée à la batterie des Dunes, ouvre alors le feu avec ses pièces d'artillerie et coule le brick, alors aux mains de l'ennemi, ainsi que trois de ses canots.

La flotille anglaise, après cet échec, retournait sur Gorée, laissant une corvette en observation devant la barre pendant plusieurs mois.

Le vieux gouverneur Blanchot, en poste depuis 1788, a demandé à revenir en France en 1799. Il part pour la métropole en mars 1801, laissant son commandement au Capitaine Charbonnié.

Un nouveau gouverneur est nommé par le gouvernement de Bonaparte : le Chef de Bataillon (passé Chef de Brigade à son débarquement) Lasserre, qui embarque à Bordeaux le 21 mai 1801 avec son Aide de camp, le Capitaine Tranquile Désiré Mallard, un autre Officier et 12 hommes de troupe. Il arrive à Saint-Louis le 2 juillet 1801, et essaie de remettre en ordre la minuscule colonie. Mais tentant aussi de s’approprier le commerce local de la gomme, sous prétexte de le stimuler, il est chassé par une mutinerie des habitants le 5 thermidor an X (24 juillet 1802) et doit s’embarquer pour Gorée, encore sous occupation britannique. La Paix d’Amiens a été signée en mars 1802 avec l’Angleterre.

Blanchot est rappelé dans son ancien poste et va retourner au Sénégal. En juillet 1802, des renforts sont aussi envoyés à Saint-Louis sous la forme de 2 Compagnies de la 46e Demi-brigade de Ligne, aux ordres du Capitaine Ribet, sur les corvettes Alerte et Dard. Ils débarquent finalement en Octobre. Blanchot est arrivé en avant-garde à bord du brick l’Impatient, et 78 hommes de la 46e Demi-brigade.

Parmi les instructions pour le gouverneur, il doit conserver les restes de la Compagnie noire du Capitaine Marin Pedre, sans la mélanger avec les hommes de la 46e. C’est que l’esclavage a été réautorisé officiellement et l’on retourne à une situation d’Ancien Régime pour les gens de couleur : libres mais contingentés et esclaves. D’ailleurs, il doit aussi réactiver la traite, mais ne s’en occupera qu’avec parcimonie.

Les Anglais, suite à la Paix d’Amiens, devaient nous rendre Gorée, ce qu’ils s’abstiennent de faire.

Le 13 thermidor an 11 (1er août 1803), Blanchot recrute par réquisition 30 hommes nés au Sénégal, vêtus et nourris par la République, sous le terme de "Volontaires du Sénégal", encadrés par d’anciens militaires de la Compagnie antillaise. C’est une sorte de Garde nationale sédentaire que l’on exerce aux manœuvres de l’Artillerie et qui arme aussi les petites canonnières qui croisent sur le fleuve.

Fusilier de la 46e Demi-brigade en tenue coloniale
Ile Saint-Louis sur le fleuve Sénégal

II/ LA REPRISE PROVISOIRE DE GOREE, 1804

Fusilier de la 46e Demi-brigade en tenue coloniale
Fig. 2 Fusilier de la 46e Demi-brigade en tenue coloniale

Grâce à une expédition, montée par Victor Hugues à partir de la Guyane, l’ile de Gorée va être provisoirement reprise aux Anglais (voir sur le site la Guyane).

Une petite flotte de 4 goélettes corsaires, mise sous les ordres du Lieutenant de vaisseau Mahé, a quitté Cayenne, portant 213 hommes de sa garnison. Elle rallie Saint-Louis, où Blanchot y rajoute 2 bâtiments et des hommes du 46e de Ligne et de la Compagnie auxiliaire antillaise.

Dans la nuit du 16 au 17 février 1804 a lieu un débarquement à Gorée. L’ile finit par être prise mais avec de nombreuses pertes. Hélas, le 15 mars, les Britanniques s’emparent de nouveau facilement de Gorée. Son commandant, le Capitaine Montmayeur, abandonné par ses hommes et la population insulaire, ne peut que capituler. Ce qui n'empèchera pas de fêter dignement à Saint-Louis le couronnement de l’Empereur.

III/ COMBATS SPORADIQUES CONTRE LES ROYAUMES LOCAUX, 1804-1807

Fin 1804, 60 hommes de la Légion du Midi (piémontais), aux ordres du Lieutenant Victor Duplan, arrivent sur le brick Le Pandour.

La même année, Blanchot doit monter une expédition contre l’Almamy du Fouta Toro, un chef local (Note 1), brulant quelques villages et raflant des esclaves. Ce qui entraine de nouvelles représailles puisqu'en juillet 1805, l’équipage de deux barques, qui remontent le fleuve, est tué et les barques pillées.

Une nouvelle expédition punitive est montée en août 1805, au-delà du poste de Podor, grâce à une petite flottille, commandée par le Capitaine Rivet. Les autochtones armés résistent et repoussent les Français qui doivent abandonner deux canons. Le Capitaine Rivet est tué.

On célèbre dignement à Saint-Louis le couronnement de l’Empereur et la victoire d’Austerlitz.

En 1806, l’Alemany, en guerre avec ses voisins, décide heureusement de faire la paix avec les Français, et la navigation fluviale peut reprendre.

Fusilier de la 46e Demi-brigade en tenue coloniale
Les troupes du Fouta Toro au début du 19e siècle

IV/ LE COMMENCEMENT DE LA FIN, 1807-1809

Le commandant Levasseur prend le commandement à la mort de Blanchot, le 12 septembre 1807. Il reste isolé de la métropole trop longtemps. De plus, des combats reprennent en 1808 avec les autochtones sur le fleuve. Des Officiers sont blessés au cours de ces opérations. Le Lieutenant Plee le 10 mai, le Capitaine Levasseur et les Lieutenants Benoit et Jardin en juin, le Sous-lieutenant Gouffé en août.

La flotte anglaise arrive devant Saint-Louis en juillet 1809, et après avoir repoussé une première tentative, la garnison, dont il ne reste que peu de choses, capitule le 13 juillet 1809. Les Anglais ne rendront Saint-Louis qu’en janvier 1817.

V/ ILLUSTRATIONS

Figure 1 : Soldat de la Compagnie des hommes de couleur en 1799, dans sa tenue réglementaire du 3 Prairial an 6 (22 mai 1798). Le chapeau noir est porté avec ganse blanche et cocarde nationale. L’habit est bleu foncé à collet écarlate. Les parements, les pattes d’épaule et les revers sont bleu passepoilés d'écarlate. Les retroussis et la doublure sont blancs passepoilés d écarlate. Le gilet et la culote sont bleu ; demi-guêtres noires. Boutons blancs estampés d’une ancre. La buffleterie est noire.

Figure 2 :Soldat de la 46e Demi-brigade de Ligne en tenue pour les colonies. Depuis mai 1802, la tenue ressemble à celle de métropole, mais un pantalon guêtre de nankin remplace la culotte de drap et les guêtres. Les tissus de l’habit sont plus légers que le drap, et le gilet n’a pas de manches.

Fusilier de la 46e Demi-brigade en tenue coloniale
Fig. 3 Fusilier de la Légion du Midi (piémontaise) en 1804

Figure 3 : Fusilier de la Légion du Midi en 1804. La Légion du Midi, ex première Légion Piémontaise, fut assez difficile à habiller et à équiper. Elle porte encore en 1804, et depuis 1803, une tenue gris fer, ou bleu céleste (quand on ne trouvait pas assez de tissu gris fer) passepoilée d'écarlate aux collet, parements et retroussis. Les retroussis sont blancs et les revers entièrement écarlates. Boutons blancs. Ce ne fut qu'en 1805 qu'elle adopta une tenue marron et bleu céleste. Elle aurait du avoir un casque, mais les détachement envoyés en outremer n’avaient que le chapeau. Equipement classique de Fusilier. Pantalon de route et veste blancs.

VI/ Notes

Note 1: L'almamy (chef de guerre musulman, chef des croyants) du petit état du Fouta Toro, est alors Abdul Kader Kane : un Toucouleur de la caste Torodo. Pour aggrandir ses possessions, il est en guerre fréquente avec ses voisins, moins islamisés, et est, par contre, opposé à l'esclavage. Il sera assassiné en avril 1807 par des membres de son entourage politique qui se partageront le pouvoir.

VII/ Bibliographie

- Revue de l’Histoire des Colonies françaises Paris 1920. La garnison européenne du Sénégal 1779-1858.

- Correspondance de Napoléon.

- Correspondance de Napoléon avec le Ministre de la Marine, Paris 1837.

- Martinien : Tableaux des officiers blessés sous l’Empire.

- Sinou Alain : Saint-Louis du Sénégal au début du XIXe siècle : du comptoir à la ville. In: Cahiers d'études africaines, vol. 29, n°115-116, 1989.

- Présence française Outre Mer Tome 1, Académie des Sciences Sociales Outre Mer, Edition Karthala 2012.