Les gendarmes cantabres

1810-1814

 

Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.

 

SITUATION MILITAIRE

Le Pays Basque espagnol, quand l'Armée française entre en Espagne à partir de 1807, est une région stratégique car y passe la principale route qui relie Bayonne et Madrid, à partir de laquelle dérivent toutes les autres voies vers les principales villes du pays. La population rude, montagnarde, parlant sa propre langue, n'a pas particulièrement l'habitude de supporter un envahisseur. Aussi des guérillas vont s'y former très tôt contre les Français.

Leur ravitaillement possible par la côte et la flotte anglaise, leurs effectifs alimentés par une véritable conscription forcée mais aussi par les déserteurs des unités étrangères au service français et leur organisation de plus en plus militarisée (il y une solde et un début d' uniformes) va aller crescendo au cours des années de 1810 à 1813, de pair avec l'affaiblissement numérique des Français.

Leur férocité aussi, gare aux soldats isolés ou en petits groupes : il n'y a pas de prisonniers. Mais de grands convois seront aussi attaqués par des effectifs de guérillas puissantes, au fil du temps. Le harcèlement de l'occupant va donc être constant malgré des opérations importantes de traque des insurgés.

Dans ce contexte, la création en Novembre 1809 des escadrons de la Gendarmerie d'Espagne tente d'apporter un semblant d'amélioration pour sécuriser les voies de communication et faire régner l'ordre dans différentes garnisons stratégiques. Mais hélas la situation va se dégrader lentement et sûrement.

Les escadrons de la Gendarmerie d'Espagne ne sont prêts qu'au début 1810 et c'est en Mars que les 3 provinces Basques (Guipúzcoa, Alava et Biscaye) voient arriver les 4 premiers escadrons qui se répartissent le territoire, de ce qui est alors désigné comme 4ème Gouvernement Militaire sous l'autorité du général de division Thouvenot. Chaque province ayant à sa tête un général sous ses ordres. La Gendarmerie d'Espagne, quant à elle est sous l'autorité supérieure du général Buquet.

 

LA FORMATION DE LA GENDARMERIE CANTABRE

La gendarmerie française dans les provinces basques espagnoles : Guipùzcoa, Biscaye, et Alava

En 1810, y entrèrent les 3ème et 4ème escadrons en Guipùzcoa, 2ème escadron en Alava, 1er escadron en  Biscaye.
En décembre 1811, les escadrons de la Gendarmerie d’Espagne furent regroupés en Légions. Les 4 premiers escadrons et le 8ème formaient la 4ème Légion avec son quartier général à Vitoria, sous les ordres du colonel Seignanserre.

Dès leur arrivée, Thouvenot désire adjoindre aux escadrons de gendarmes français (unités mixtes de 200 hommes à cheval et à pied), un contingent d'hommes à pied levés dans le pays. Il écrit ainsi à Buquet : "Il y a dans les 3 provinces du Gouvernement qui m'est confié des troupes nationales soldés ... Ces troupes coûtent fort cher sont mal disciplinées ... J'ai l'intention d'en former 4 détachements égaux et d'attacher un de ces détachements à chacun des escadrons de Gendarmerie attachés à ce Gouvernement, de leur donner le même habit, armement et équipement qu'à votre Gendarmerie à pied, de leur faire payer la même solde, enfin de les traiter en tout de la même manière. Il n'y aurait de différence que la cocarde qui serait moitié française moitié espagnole".

Il transmet sa demande hiérarchiquement, jusqu’au ministre de la Guerre qui écrit alors à l’Empereur : "Monsieur le gouverneur de Biscaye demande qu’il soit adjoint 25 indigènes à chacun des escadrons de la Gendarmerie dit de l’Armée d’Espagne ... qui seraient d’un grand secours pour les escadrons. Ils serviraient de guides et d’interprètes. Le général désire que si S.M. daigne approuver cette mesure, elle soit rendue commune à tous les autres escadrons".

La mesure étant adoptée, Thouvenot se met au travail et donne des ordres.

Dans ses décrets de formation, la gendarmerie cantabre ne pourra être employée hors du gouvernement de la Biscaye et en cas de départ des 4 escadrons (français) auxquels elle sera attachée, les 8 brigades (une douzaine d’hommes) qu’elle compose seront réunies pour continuer le service dans le même gouvernement.

Rapidement l'idée de mettre certains de ses hommes à cheval est abandonnée, officiellement pour des raisons économiques, officieusement parce que la confiance ne règne pas. Car c'est avec un certaine réticence (l'avenir ne leur donnerait pas forcément tort) que les chef d'escadrons procèdent au recrutement de leur nouveaux auxiliaires.

Leur nombre est fixé à 25 hommes par escadron sous l'autorité d'un sergent ou maréchal des logis et de deux brigadiers (ou caporaux). Les recrues, tous des volontaires, doivent être présentées par les autorités de la Province, et doivent être approuvées par le chef d'escadron.

Thouvenot, au départ, compte favoriser : «les anciens militaires espagnols, les hommes parlant français, espagnol ou basque, ceux faisant partie des gardes civiques qui seront reçus préférablement à tous les autres».

Paradoxalement, la connaissance de la langue française devient facultative comme critère d'acceptation. Le recrutement est de fait assez hétéroclite : jeunes gens de bonne famille, anciens soldats de l'Armée espagnole,voire insurgés "repentis" et des Espagnols venant de toute la péninsule, pas uniquement du Pays Basque.

Il y a parmi ces recrues des gens qui se feront remarquer comme le maréchal des logis Louis Vento, attaché au 1er escadron, qui en novembre 1811 "tue d’un seul coup de carabine deux fameux brigands que le chef de bande Ansotegui envoyait à Mendizabal avec des lettres de recommandation", ou Barrutia (voir encadré). Ils obtiendront le grade de Sous-lieutenant, alors qu'il n'y a théoriquement pas d'officiers pour les gendarmes Cantabres.

Ramon Barrutia (1791-1826)

Engagé dans la gendarmerie cantabre en mars 1810 avec le grade de sergent, c'est un ancien chef de guérilla dont on espère, comme l'écrit le duc d'Istrie (Bessières) en septembre : "que son engagement entrainera la soumission d'autres chefs".
Thouvenot écrit de lui dès son arrivée : «Je suis très satisfait de la conduite de Barroutia et vous autorise à lui faire lever 25 jeunes gens dont il prendra le commandement, qui seront attachés au 3ème escadron, dont le chef d’escadron Burette qui le commande est à Tolosa». Il pense qu’il «veut faire oublier ses erreurs en aidant à détruire les brigands qui nous tourmentent encore». 
Il s'illustre en dirigeant des colonnes mobiles et comme le prévoyait le général Thouvenot : "il manquera rarement les brigands". De fait, les autorités militaires sont contentes de lui. Il est promu au grade de sous-lieutenant et sera un des seuls officiers de la Gendarmerie Cantabre qui normalement n'en avait pas. Sa nomination "sera  d'un bon effet sur l'opinion des jeunes gens", tout au moins on le souhaite.
Barrutia se repliera avec l'armée française. On le retrouvera dans un dépôt de soldats étrangers à l'ile d Oléron en 1815 et 1816, considéré par les autorités royalistes comme un agitateur bonapartiste.

Certains seront exclus pour mauvaise conduite, d'autres seront tués aux cotés de leurs confrères français au cours d'opérations où ils sont toujours encadrés par ceux ci. Ils servent aussi essentiellement de guides et de traducteurs. C'est ainsi que Thouvenot envoie en novembre 1810 une colonne mobile «de gendarmes de la gendarmerie impériale et cantabres pour poursuivre les bandes de brigands qui depuis quelques jours mettent les communes à contribution et enlèvent des particuliers à qui ils font payer des rançons plus ou moins fortes pour obtenir leur délivrance». 

Mais il faut bien le dire, la majorité va déserter et vraisemblablement passer du coté des insurgés ou se faire oublier de peur d'être exécutés comme traîtres, avec une véritable épidémie de désertion en 1812-1813 lors des revers des armées françaises en Espagne. En Juin 1813, il ne reste plus que 22 Gendarmes Cantabres sur les 100 initiaux. Et en Janvier 1814, sur la Bidassoa ayant retraité avec les Français, ils ne sont plus que 16 !!

 

 

UNIFORMES

 

Gendarmes cantabres, 1811 Gendarmes cantabres, 1811
Gendarme cantabre ; dessin de D. Davin
Sous officier de Gendarmes cantabre ; dessin de D. Davin

Les principaux éléments de la tenue proviennent des stocks français et viennent directement de France par Bayonne et Pau. Une source citée par Fort donne le bonnet rouge et les chaussures du pays avec le surtout de la gendarmerie.

Si nous sommes d'accord avec le port des "espadrilles", nous pensons que les hommes portaient quand même le chapeau de la Gendarmerie et qu'il arboraient non une cocarde mi française mi espagnole comme le suggérait le général Thouvenot mais la cocarde espagnole rouge pour bien les différencier de leurs homologue français.

Chapeau noir, ganse et bouton blanc, cocarde rouge. Habit surtout bleu, collet et parements idem (ou bleu céleste avec boutons jaunes selon certaines sources) passepoilés de rouge, idem les pattes d'épaules; un passepoil rouge borde le devant de l'habit. Boutons blancs. Les retroussis sont rouges ornés d'une grenade blanche. Gilet et culotte jaune beige, boutons blancs. Bas blancs, espadrilles et leurs liens bruns. Buffleterie blanche, sabre briquet à dragonne blanche, giberne noire et fusil à garniture fer, bretelle blanche.

Extrait de "L'histoire de Médard Bonnart", Epernay, 1928

Médard Bonnart est sous-lieutenant puis lieutenant quartier-maître trésorier de la Gendarmerie Impériale du Maine et Loire à Angers en 1808. En mai 1812, il est envoyé à Vittoria s'occuper de la comptabilité des 20 escadrons de la Gendarmerie d'Espagne. En mai 1813, il se retrouve à Saint Sébastien et peut noter : "il y avait parmi les habitants du Guipúzcoa, ayant embrassé la cause des Français, des détachement appelés gendarmes Cantabres. Ils étaient à pied, ayant le même uniforme que les escadrons de la 4e Légion d'Espagne auquels ils furent rattachés" ....


Sources

 

- Cap E. Martin, la Gendarmerie française en Espagne et en Portugal , réédition C Terana 1998.

- G. Lepetit, La Gendarmerie Impériale dans le Vascongadas (Pays Basque espagnol) 1810-1813, Mémoire de maîtrise université Paris Sorbonne 2000/2001.

- Revue historique de l'Armée, numéro spécial Gendarmerie Nationale, 1974.

- Huit siècles de Gendarmerie; J.F. Editions Paris, 1967.