LES GENDARMES ARAGONAIS

1809- 1813

Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.

Carte de l'Aragon
Carte de l'Aragon
Les provinces du Nord de l’Espagne (au Nord de l’Ebre) vont être, au cours de ce conflit particulier, arrachées à la gestion du pauvre Roi Joseph, cantonné aux pourtours de Madrid, et transformées en Gouvernements militaires dont les Généraux doivent rendre compte directement à l’Empereur.

Etait-ce le prélude à un rattachement futur direct à l’Empire ? comme cela commença à être fait pour la Catalogne ? Nul ne peut le dire exactement, mais le fait est que, militairement, ces provinces virent en grand nombre la création d’unités auxiliaires espagnoles de contre-guérilla : Gendarmes, Fusiliers et Chasseurs divers, Guides ….; et de police : Gardes civiques.

L’action de ces hommes est assez méconnue et sans gloire : ils servent de guides, d’escorte au sein des colonnes qui essaient de sillonner le territoire insurgé, de garde fixe dans des places fortes pour les gardes civiques. On considère qu’environ 1500 à 2000 espagnols servirent plus ou moins longtemps aux cotés des Français entre 1810 et 1814 dans le Nord de l’Espagne.

Soult, en Andalousie, utilisa le même système.

Ce sujet délicat pour les Espagnols (ces hommes sont considérés comme des traitres) et peu connus des Français, commence cependant à intéresser des deux côtés des Pyrénées. Il montre que la collaboration avec les Français ne fut pas si rare que cela face à des guérilleros qui n’étaient pas toujours de romantiques héros de l’indépendance espagnole.

Il était donc question de lever de plus en plus des troupes supplétives locales, montrant ainsi que les Français ne combattaient pas les Espagnols mais des "brigands"

Mais ces enrôlements devaient se faire avec prudence, ce que fit le futur Maréchal. En effet, il fallait aussi se méfier de leur possible "retournement d’uniforme", au fur et à mesure que les difficultés s’amoncelaient pour les forces françaises. Les exemples de passage tout équipé à l’ennemi ne seront pas rares, au point que certains Gendarmes aragonais furent "marqués" par une cicatrice à la main pour pouvoir les reconnaitre en cas de désertion.

Face à l’insurrection se posait pour les Français la question du recrutement de leurs supplétifs pour ces actions de contre guérilla. On ne pouvait pas être très regardant sur les motivations de ceux-ci : simple facteur économique (toucher une solde), amnistie de déserteurs ou anciens guérilleros.

Les Gendarmes aragonais.

Carte de l'Aragon
Bouton des Gendarmes aragonais, 1ère Compagnie (Collection particulière)

C’est en Octobre 1809 que le dénommé Domingo Brun, dit Chandon, leva une petite troupe de volontaires pour guider les Français dans leur expédition contre les vallées de Hedio et Anso.

Une autre Compagnie est formée à Venasque en Décembre 1809.

En Janvier 1810, ces volontaires sont formés en une Compagnie de Gendarmes et stationnés à Jaca.

A Barbastro, à la même période, un riche négociant, Pedro Arnillas, monte à ses frais une Compagnie de Gendarmes pour protéger le commerce transfrontalier et ses intérêts. En Avril 1810, cette Compagnie est de 91 "Gendarmes", sous le commandement du Lieutenant Robustiano Lutz.

En février 1810, l’Aragon avait été institué comme 2ème Gouvernement Militaire sous l’autorité du Général Suchet qui, par ailleurs, commandait le 3e Corps de l’Armée d’Espagne.

Le maintien dans sa zone d’influence où il devait faire vivre son Corps d’Armée (les subsides n’arriveraient plus de Paris) et sa lutte contre les "partisans" était globale : une politique administrative sage et prudente, le réveil de l’économie locale, le respect de la religion, la bonne tenue de ses troupes qui payées régulièrement ne se livraient pas au pillage (contrairement à beaucoup de guérillas).

En mars, une autre Compagnie de Gendarmes de 100 hommes de 18 à 40 ans est organisée par le Baron de Andella. Le 5 Avril, cette Compagnie de "gendarmes espagnols" accompagne, comme Guides, 2 Compagnies du 114e de Ligne contre une bande de guérilla contre laquelle ils combattent bien. On les retrouve avec Suchet au siège de Lerida puis en Juillet, ils sont basés à Saragosse.

En juillet, des "Gendarmes espagnols" reçoivent une gratification de 40 francs en récompense de leur service.

Les Français surent aussi jouer des particularismes locaux entre provinces. C’est ainsi que Suchet pouvait écrire en novembre 1810 : "... les Aragonais sont propres à devenir de bons soldats et sont d’excellent guides. Ils se battent avec courage. Leur aversion contre les Catalans et les Valenciens garantit contre la désertion ...".

En Mars 1811, la Compagnie de Saragosse devient 1ère Compagnie de Gendarmes, aux ordres du Capitaine De Roberts. Les deux Compagnies de Jaca et Barbastro sont fusionnées dans la 2e Compagnie aux ordres de Domingo Brun, qui a pour Q.G. : Jaca.

Gendarme aragonais
Gendarme aragonais

En décembre 1811, le Commissaire des guerres Perrin écrit : "... les Compagnies de gendarmerie aragonaises seront non seulement employées à maintenir la police, à la poursuite des brigands, vagabonds, déserteurs et autres mauvais sujets préjudiciables à la tranquillité publique mais encore à celle des contrebandiers et quand elles feront des captures ... la moitié de la valeur lui sera adjudiquée conformément à ce qui est prescrit par les règlements à ce sujet …".

En juin 1812, des hommes de la Compagnie de Jaca complotent contre leurs Officiers et des notables pro-français. Découverts, cinq hommes, dont le sergent Joaquin Onat, seront condamnés à mort.

En Juillet 1812, Suchet réunit administrativement toutes les troupes supplétives aragonaises sous le terme "Gendarmes et Fusiliers aragonais" avec comme Colonel inspecteur le Baron de Andilla. Son Décret précise : "Ces troupes se conformeront aux règlements français pour la solde, les masses et la forme d’habillement. Le général Reille déterminera les couleurs de l’habillement en se rapprochant le plus possible de celui existant".

Les deux Compagnies de Gendarmes sont : la 1ère à Saragosse sous le commandement de Esteban De Roberts (3 Officiers et 100 hommes) et la seconde, de Domingo Brun, à Jaca (3 Officiers et 65 hommes).

La 1ère Compagnie reçoit des uniformes neufs en Juillet (aussi ressemblant au précédent d’après les ordres du Général Reille), et 20 hommes désertent chez Mina en Septembre avec armes et bagages !

En Juillet 1813, les deux Compagnies de Gendarmes sont à Jaca et se replieront avec les Français. Ils seront dissous à Dax en Décembre 1813.

Les Compagnies de Fusiliers aragonais

C’est un Décret de Suchet du 1er mars 1811 paru dans la gazette nationale de Saragosse qui forme 4 Compagnies de Fusiliers sous la responsabilité des corregidors des cités choisies. La 1ère à Catalayud (Lieutenant Wartuzel), la 2e à Daroca (Lieutenant Fondo), la 3e à Terruel (Lieutenant Ballester), la 4e à Alcaniz (Lieutenant Fernandez). Mais en Juillet, les 4 Compagnies totalisent seulement 168 hommes. Une Compagnie supplémentaire est cependant prévue à Tarazone.

En Novembre, les 3 premières Compagnies passent aux insurgés ! La 4e Compagnie devient donc 1ère et la Compagnie supplémentaire la 2e. Deux autres Compagnies sont formées.

En Avril 1812, une Compagnie de Volontaires aragonais à pied est organisée à Belchite, sous les ordres du Capitaine Mata. Il y a donc de nouveau 4 Compagnies en Juillet. Plus que 3 squelettiques en Septembre 1812 avec la désertion de la 1ère Compagnie. Le Général Reille décide alors de les désarmer et de les envoyer en France.

Tenue des Gendarmes supplétifs aragonais

Chapeau haut de forme noir, cocarde espagnole rouge. Veste courte bleu distinguée de rouge au collet, revers et sans doute parements (ou simplement passepoilés ?), passepoils rouge. Gilet blanc, culotte bleu entrant dans de petite guêtres noires; Boutons jaunes. Equipement de fantassin.

A noter que les fusiliers aragonais ont à peu près la même tenue.

Bibliographie

- Revue historique des armées, 2009, Les compagnies de gendarmerie autochtones dans le nord de l’Espagne (1810-1813) Gildas Lepetit
- L'Andalousie et Napoléon : Contre-insurrection, collaboration et résistances dans le Midi de l’Espagne, par Jean-Marc Lafon, éditions Nouveau Monde 2007
- Aragoneses al servicio del Imperio par Luis Sorando Muzas
- Contre guérilla en Espagne, Suchet pacifie l’Aragon, par Jean Louis Reynaud, ed Economica 1992.

Retour