LA GARDE NATIONALE DE L’ILE DE France (Maurice)
1802-1810
Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.
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Vue de l'Île de France (Maurice) |
Quand le Consulat est proclamé en France, les possessions françaises aux Indes sont perdues, les Anglais vont faire semblant de les rendre. La Réunion et l’Ile de France (future Ile Maurice) apparaissent comme des avant-postes, renforcés par l’Indonésie et la colonie du Cap (Afrique du Sud) de nos alliés hollandais et les Philippines des Espagnols, encore amis. Mais les iles souffrent de plusieurs handicaps : d'abord, la nécessité de leur ravitaillement, incapables d'assurer seules leurs besoins matériels et leur alimentation; ensuite le climat (cyclones); et enfin le déséquilibre social de l'esclavage. Il n’a jamais été aboli dans l’île par la résistance des Assemblée coloniales aux instructions de la Métropole durant la Révolution.
Un Capitaine général nouveau arrive dans l’Océan Indien : le Général Decaen, en Juillet 1803. N’ayant pu récupérer les comptoirs indiens, il s’est replié sur les Mascareignes. Il amène avec lui la nouvelle de la rupture de la Paix d’Amiens avec l’Angleterre.
Avec les quelques troupes à sa disposition, soit arrivées avec lui, soit levées sur place, il va faire mieux que résister plusieurs années aux tentatives d’invasion britannique, portant des coups majeurs à l’ennemi par l’intermédiaire de sa petite flotte de guerre : frégates de ligne et corsaires. Il sera submergé par le nombre, isolé de la Métropole et de renforts par les insuffisances de la Marine Impériale et de son Ministre, Decrès.
LA GARDE NATIONALE DE L’ILE DE FRANCE, 1803-1809
Conscient de son manque de moyens militaires, dès son arrivée, Decaen procède à la mobilisation des forces locales en réorganisant la vieille Garde nationale républicaine (Note 1).
Il commence par s’occuper de la Garde nationale de sa capitale : Port Nord-Ouest (Port Louis).
Le 21 octobre 1803, il promulgue une série de Décrets. La légion des Gardes nationale de Port Nord-Ouest sera organisée et formée comme suit : "L’Etat Major sera composé d’un chef de légion avec rang de colonel, d’un colonel en second, d’un major portant deux épaulettes de capitaine, de 2 capitaines aide-majors .
Il y aura un corps de bataille pris parmi la population blanche, composée d’une compagnie d’artillerie de bataille, deux compagnies de grenadiers, 6 compagnies de fusiliers, une compagnie de chasseurs à cheval et d’une réserve (individus de 40 ans à 60 ans).
Un bataillon, sous le nom de chasseurs nationaux, sera formé de Noirs libres et composé d’une compagnie de carabiniers, de 4 compagnies de chasseurs à pied et d’un corps de réserve (de 40 à 60 ans)".
Le 11 novembre 1803, la Garde nationale est remaniée dans tous les autres arrondissements ou quartiers de l’île (Pamplemousse, Rivière du Rempart, Flacq, Port Sud Est, La Savane, Rivière Noire, Plaines Wilhems, Moka).
Sous l’autorité d’un Capitaine commandant de quartier, on lèvera autant de Compagnies que possible parmi la population blanche de 16 à 60 ans. On placera, à la suite de chaque Compagnie de Fusiliers d’origine européenne, une section de Chasseurs coloniaux ou d’Artilleurs coloniaux pris parmi la population noire libre commandées par un Lieutenant (noir) sous l’autorité du Capitaine de la Compagnie de Fusiliers.
Le quartier Pamplemousse forme 4 Compagnies de Fusiliers :
- 1ère Cie dite du Nord, à la suite une section d’Artilleurs.
- 2e Cie dite de l’Est, à la suite une section d’Artilleurs.
- 3e Cie dite du Sud, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
- 4e Cie dite de l’Ouest, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier Rivière du Rempart forme deux Compagnies de Fusiliers :
- 1ère Cie dite du Sud, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
- 2e Cie dite du Nord, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
Fusilier de la Garde Nationale, Port Nord-Ouest, vers 1805 |
Le quartier de Flacq forme 3 Compagnies de Fusiliers :
- 1ère Cie dite du Sud, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
- 2e Cie dite du Centre, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
- 3e Cie dite du Nord, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier de Port Sud Est (qui devient en 1809 Port Impérial) forme 4 Compagnies de Fusiliers :
- 1ère Cie dite du Sud, à la suite une section d’Artilleurs.
- 2e Cie dite de l’Est, à la suite une section d’Artilleurs.
- 3e Cie dite du Nord, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
- 4e Cie dite de l’Ouest, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier de Savane a une Compagnie de Fusiliers et une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier de Rivière Noire a une Compagnie de Fusiliers et une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier de Plaine Wilhems a deux Compagnies de Fusiliers:
- 1ère Cie dite de l’Ouest, à la suite une section d’Artilleurs.
- 2e Cie dite de l’Est, à la suite une section de Chasseurs coloniaux.
Le quartier de Moka a une Compagnie de Fusiliers et une section de Chasseurs coloniaux.
Le 14 janvier 1804, on extrait de la Légion de Port Nord-Ouest une Compagnie de 48 Pompiers. Habit, parements et revers bleu national, collet rouge liserés bleus, casque et sabre.
Le 18 juin 1806, pour rétablir un excédent d’effectifs dans le 1er Bataillon de la Légion du Port Nord-Ouest, elle s’adjoint deux Compagnies d’élite de Chasseurs qui prennent une chapska à la polonaise avec plumet vert, épaulettes et dragonne du sabre briquet vertes.
En août 1806, Port Nord Ouest est rebaptisé port Napoléon.
Pratiquement coupée de la métropole depuis la chute de la colonie hollandaise du Cap en 1806, l’Ile de France survit grâce aux raids corsaires que mène la petite escadre de frégates stationnée à Port Napoléon et Grand Port. L'hostilité des Philippines espagnoles en 1808, après le changement de régime imposé par la force à Madrid, la capture progressive des vaisseaux français et de la flotte hollandaise d'Indonésie isole un peu plus nos colonies de l’Océan Indien.
Les Anglais en font alors un blocus plus ou moins lâche, occupés qu'ils sont, aux Indes, par des opérations contre les princes autochtones.
1809-1810, L’HEURE DES COMBATS
La flotte anglaise devant l'Île de France en 1810 |
Chasseur de la Garde Nationale Isle de France, 1806 |
Après avoir réglé leurs affaires aux Indes, les Anglais décident d'éradiquer la menace des corsaires français sur leurs convois maritimes. Le blocus des îles se fit plus rigoureux à partir de 1808. En juin 1809, les Britanniques s'emparent de la petite ile de Rodrigues pour en faire une base logistique pour leurs prochaines offensives. Le 16 août 1809, ils lançaient un premier raid contre la Réunion, rebaptisée île Bonaparte, à Sainte Rose. Le 11 septembre, nouveau raid à Saint Paul.
Humilié et désavoué, le commandant de la Réunion, le Général Desbrulys se suicidait !
Après des mois de harcèlement sur ses côtes, le nouveau commandant de l’île (Sainte-Suzanne) ne pouvait pas empêcher sa capture en juillet 1810, devant des forces ennemies très supérieures aux siennes.
L'île de France se préparait à subir le même sort ; déjà, en mai 1810, un raid anglais avait eût lieu au Port Jacotet et la Garde nationale du quartier de Savane avait tenté de défendre les batteries côtières avec plus ou moins de succès. Mais les Anglais s'étaient rembarqués.
Le 14 Août, les Britaniques s'emparent de l'ilôt de la Passe qui contrôle l'entrée dans la rade de Grand Port (appelé alors Port Impérial). La Garde nationale cotière se mobilise alors. Des tentatives de débarquement sont repoussées les jours suivants par des Chasseurs tirailleurs de la Garde nationale des Plaines Wilhems. Lorsque le 20 arrive la Division navale Duperré qui entre dans la rade sans savoir que les Anglais en contrôlent l’issue. Duperré se retranche alors avec sa flottille au fond de la baie et va s’engager un combat d’artillerie où, ravitaillé grâce à la côte, et attendant des renforts de la Division Hamelin, il va porter des coups très durs à l’ennemi qui doit se retirer, ayant perdu plusieurs bâtiments et 2000 prisonniers.
Ceci refroidissait les ardeurs de l’adversaire. La Garde nationale locale avait bien joué son rôle de soutien logistique. D’ailleurs, fut promu Chevalier de la Légion d’Honneur le Capitaine des Chasseurs des colonies Duplessis.
Mais l’ennemi avait encore beaucoup de ressources, et le blocus reprend après une phase où les frégates françaises obtiennent quelques succès. Fin novembre, une flotte amène à peu près 25.000 hommes, mêlant troupes européennes et Régiments indigènes de l’Armée de la Compagnie des Indes.
Decaen ne dispose que de 4000 hommes environ, dont la Garde nationale. La majorité des forces (2500 hommes) est sur Port Napoléon que Decaen compte défendre et où il a établi une ligne de retranchements. Il y a disposé ses forces en 3 fractions : une au Nord du Port, sous les ordres du Major Lech, avec un Bataillon de marins, des Compagnies du Régiment de l'Ile de France et le Bataillon des colonies orientales; une au Sud (Chef de Bataillon Josset) dont deux Compagnies du Bataillon des colonies orientales; une réserve dans la ville.
Les Anglais débarquent au Nord de l'ile, le 29 novembre, sans pratiquement de résistance. Il n'y a que quelques unités de Gardes nationaux aux ordres du Chef de Bataillon La Nougarède, commandant la défense du secteur Nord, qui se replient après des escarmouches. Puis, les Britanniques progressent difficilement vers Port Napoléon. Les Gardes nationales sont appelées à se concentrer vers la capitale.
Marche des Anglais sur Port Napoléon, 1810 |
La confrontation finale va avoir lieu devant la ville, dans la vallée et la plaine de la rivière du Tombeau, entre des Français acculés à la ville et des Anglais pouvant être ravitaillés par leur flotte qui, par ailleurs, pouvait tourner les positions françaises.
Les français tentent de résister sur leurs retranchements face à la pression ennemie, ne faisant que les retarder, bien que causant des pertes très notables. Decaen écrit : "Les troupes, le bataillon de Marine et les gardes nationales, reformées par corps avaient été placées dans la ligne en raison de son développement et des points les plus essentiels à défendre. Presque tout ce qu'il y avait du régiment de l'Ile de France formait une réserve vers la droite et une partie du faible bataillon des colonies orientales vers la gauche …".
Alors que Decaen doit effectuer une sortie le 1er décembre, il y renonce, en raison du faible moral des Gardes nationaux et de la crainte de voir ses positions tournées. Le 2 décembre, considérant l'arrivée de multiples nouveaux renforts anglais, maritimes et terrestres, devant ses positions, Decaen juge plus sage de capituler.
L'Ile de France va devenir ile Maurice, sous autorité Britannique jusqu'en 1968.
LES TENUES DE LA GARDE NATIONALE
Les distinctions pour tous les grades seront celles des troupes de Ligne.
Pour la Garde nationale de Port Nord-Ouest :
Carabinier, Légion de Port Nord-Ouest, Île de France, 1807 |
L’infanterie du corps de bataille portera l’uniforme dit national (fond bleu, collet et parements écarlates, revers et retroussis blancs, passepoils blanc sur l’écarlate et écarlate sur le blanc) et l’artillerie l’uniforme de cette arme (fond bleu, collet et revers bleu passepoilés d'écarlate, parements et retroussis écarlates, épaulettes écarlates, boutons jaunes). Les Grenadiers et Carabiniers auront leurs distinctives habituelles (plumet et épaulettes écarlates).
Le Capitaine commandant les Chasseurs à cheval règlera l’uniforme de sa Compagnie.
Les Chasseurs nationaux porteront l’habit court, revers en pointe de même couleur, collet et parements rouges, doublure bleu et liserés blancs, boutons blancs.
Chaque réserve portera l’uniforme de son Corps.
La coiffure des soldats est en général le shako, allégé et tropicalisé, sur armature de rotin recouvert de tissu bleu et renforcé de cuir, mis au point localement. Les deux Compagnies de Chasseurs de Port Nord-Ouest portent un shako de forme polonaise (schapska), façonné sur le même principe.
Les gilets et les culottes sont en nankin blanc ; soit culotte entrant dans des guêtres courtes, soit pantalon soit «pantalon guêtre» enserrant le bas des jambes. Les Compagnies d’élite : Grenadiers, Carabiniers et Chasseurs de la Légion du Port Nord-Ouest, et les Sous-officiers, portent un sabre briquet. Les Chasseurs coloniaux n’en ont pas.
Pour le reste de la Garde nationale des quartiers de l'ile :
- L’uniforme des Compagnies de Fusiliers est l’uniforme national avec des distinctives qui pourront être autorisées par le Capitaine général pour chaque quartier.
- Les Chasseurs coloniaux porteront la tenue vue plus haut des Chasseurs nationaux de Port Nord-Ouest.
- Les Artilleurs auront la même tenue que les Chasseurs coloniaux, à l’exception des boutons jaunes et liserés rouges.
LES DRAPEAUX DE LA GARDE NATIONALE
Des drapeaux furent remis solennellement le 15 août 1806 au cours d’une parade. Decaen précisera plus tard, dans un rapport à Decrès, en septembre, que les anciens drapeaux datant de la Révolution, il en a fait confectionner de nouveaux sur le modèle des drapeaux destinés au Régiment de l’Ile de France. Et qu’il aimerait que Sa Majesté daigne envoyer un drapeau surmonté de son Aigle pour chacune des Gardes nationales de l’Ile de France et de la Réunion.
Drapeau, Garde Nationale de l'Île de France (Maurice) |
On en connait deux exemplaires : celui de la Garde nationale du quartier de Flacq, aujourd hui au Musée de l'Armée; et celui du quartier de la Rivière Noire, encore conservé à Maurice, en fort mauvais état.
Les deux sont du modèle 1804 Chaillot, 84 cms de côté, la hampe surmontée d’une pique. La finesse de leurs décorations peintes fait penser à un travail réalisé en métropole plutôt que sur place, et ils ne seraient donc pas les drapeaux de la parade d’août 1806.
Il n’y a rien dans les couronnes d’angles.
Dans le losange central, d’un côté est écrit en doré et ombré : L’EMPEREUR DES FRANÇAIS / A LA GARDE NATIONALE/ DU QUARTIER DE / FLACQ ou LA RIVIERE NOIRE. Et de l’autre VALEUR /ET /DISCIPLINE.
Notes
Note 1 : La Garde Nationale de l’ile avait été organisée en 1798 en 3 Légions se répartissant sur plusieurs quartiers : celles de l’Est, du Sud-Est et de l’Ouest. Celle de Port Nord-Ouest était soldée.
Sources
Recueil des lois publiées à Maurice 1824
Rapport sur la capitulation de l’ile Bonaparte par le chef de bataillon Soleille revue du Génie militaire 1934
Correspondance de Napoléon Bonaparte
L’ile de France sous Decaen, H Prentout Paris Hachette 1901
L’ordre règne aux Mascareignes D Davin TRADITION n° 185 ET 188
La fin d’un Empire R Lepelley Economica :2000
Histoire de la France coloniale Edition A colin 1990
Despreaux A Troupes de Marine et coloniales
Besson et Chauvelot : Napoléon Colonial, Paris 1939
Napoleon' s Overseas Army, Osprey , R Chartrand F Back