Le 31ème Régiment de Chasseurs à cheval
1811-1814
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Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.
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I/ LES DEBUTS DU REGIMENT 1811- 1813
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Fig. 1 Officier de la Compagnie d'élite du 31e Chasseurs à cheval, Espagne, 1812 | Fig. 1bis Chasseur du 31e Chasseurs à cheval, Espagne, 1812 |
Le 7 septembre 1811, au palais de Compiègne, l'Empereur décide de créer un 31e Régiment de Chasseurs à cheval, par l'amagame des deux Régiments provisoires de cavalerie légère (1er Régiment : 4es Escadrons des 11e et 24e Chasseurs; 2e Régiment : 4es Escadrons du 12e Chasseurs et 5e Hussards) stationnés à cette époque en Vieille Castille à Penaranda, qui doivent ainsi constituer les 3 premiers Escadrons de cette nouvelle unité :
"Décret.
ART. 1er. — Les 4es escadrons du 5e régiment de hussards et des 11e, 12e et 24e de chasseurs, formant deux régiments provisoires de l'armée d'Espagne, qui composent la brigade de cavalerie aux ordres du général Vatier, seront réunis en un seul régiment, sous la dénomination de 31e régiment de chasseurs à cheval.
ART. 2. — Les 5es escadrons du 5e hussards et des 11e, 12e et 24e de chasseurs deviendront 4es escadrons de ces régiments.
ART. 3. — Le 31e régiment de chasseurs sera composé comme les autres régiments de chasseurs. Il aura son dépôt à Niort.
ART. 4. — La formation du 31e régiment de chasseurs datera du 1er septembre 1811. Le général de division Vatier sera chargé de cette formation. Le major se rendra à Niort pour organiser le dépôt.
NAPOLÉON" (Commandant Margueron : "Margueron (Cdt) : « Campagne de Russie, première partie », tome 3, Lavauzelle, page 175).
Le 4e Escadron, comme dit dans le Décret, sera organisé à partir des 5es Escadrons des 11e, 12e, 24e Chasseurs et 5e Hussards. D'autres petits détachements de Chasseurs viendront rejoindre par la suite.
Le même 7 septembre 1811, l'Empereur écrit, depuis Compiègne, au Général Lacuée, Comte de Cessac, Ministre Directeur de l'Administration de la Guerre, à Paris : "Monsieur le Comte de Cessac, envoyez sur le champ 600 paires de bottes, 600 pantalons d'écurie, 600 chemises, cols et autres effets de linge et chaussure dans la même proportion à la brigade du général Wattier. Faites partir ces effets de Bayonne et faites-en la retenue sur la masse de linge et chaussure. Cette brigade fait partie de l'armée de Portugal. Elle est composée de quatre escadrons, savoir : du 4e escadron du 5e régiment d'hussards et des 4e escadrons des 11e, 12e et 24e de chasseurs, dont je viens de former un nouveau régiment sous le titre de 31e régiment de chasseurs. Veillez à ce que les dépôts fassent passer à ce nouveau régiment ce qui lui appartient, mais le départ des effets de linge et chaussures est très pressé" (Brotonne (L. de) : « Dernières Lettres inédites de Napoléon 1er, collationnées sur les textes et publiées », Paris, 1903, t. 2, lettre 1595; Correspondance générale de Napoléon, t.11, lettre 28558).
Le Dépôt du Régiment est alors à Niort. Et le Régiment en ligne compte environ 600 hommes, en ne comptant pas les détachés divers.
Le 20 novembre 1811, l'Empereur écrit, depuis Saint-Cloud, au Général Clarke : "Monsieur le duc de Feltre, par votre lettre du 8, vous me faites connaître que 600 chevaux seront prêts à partir des dépôts de Saintes et de Niort au 15 novembre, et que 600 ou 700 autres seront prêts à partir le 30. Je désire que vous donniez les ordres suivants au général Defrance :
1° Former un régiment de marche de cavalerie légère et de dragons de l'armée du Nord, composé de tout ce que peuvent fournir les 14e et 31e régiments de chasseurs, le 1er de hussards et les lanciers de Berg ...
Ces trois régiments seront sous les ordres d'un général de brigade que désignera le général Defrance. Ils se mettront en marche le 1er décembre pour Bordeaux. Vous me ferez connaître le jour de l'arrivée de ces régiments dans cette ville afin que je donne des ordres pour leur destination ultérieure ..." (Picard E. et Tuetey L. : « Correspondance inédite de Napoléon 1er conservée aux Archives de la Guerre », Paris, 1913, t. 4, lettre 6391 ; Correspondance générale de Napoléon, t.11, lettre 29130).
Son premier Colonel, nommé le 11 Décembre 1811, est le Baron Desmichels, ex-Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale.
Né à Digne en 1779. |
Le 13 décembre 1811, Berthier écrit, depuis Paris, au Duc de Feltre : "... Du reste, le 113e régiment d'infanterie, le 34e léger, le 4e régiment d’infanterie de la légion de la Vistule, la légion de gendarmerie à cheval, le 1er régiment de hussards, le 31e régiment de chasseurs, les lanciers de Berg, le bataillon de Neuchâtel, tout ce qui appartient aux 2e et 4e régiments suisses, toutes les troupes de la garde impériale et généralement toutes les troupes de l'armée du Nord, maintenant stationnées dans les 6e et 7e gouvernements (à la seule exception des divisions Souham et Bonet) vont rentrer dans le 5e gouvernement ..." (Chuquet A. : « Ordres et apostilles de Napoléon, 1799-1815 », Paris, 1911, t.2, lettre 1805).
Le 15 décembre 1811, l'Empereur écrit, depuis Paris, au Prince de Neuchâtel et de Wagram, Major général de l'Armée d'Espagne, à Paris : "Mon Cousin, je vous prie de me faire un rapport sur l'armée du Nord ... Je désire aussi faire revenir sans délai en France mes chasseurs, mes Polonais et mes dragons ; mais, auparavant, faites-moi un rapport sur la cavalerie de l'armée du Nord, Les lanciers de Berg, la légion de gendarmerie, le 1er de hussards et le 31e de chasseurs y resteront, ce qui fera quatre régiments. Faites-moi connaître quelle est la force de ces quatre régiments, en y comprenant, soit ce qui est aux escadrons de guerre en Espagne, soit ce qui est dans les régiments de marche, soit même ce qui est à leur dépôt, afin que je puisse aviser aux moyens de les porter au plus haut nombre possible ..." (Du Casse A. : "Mémoires et correspondance politique et militaire du roi Joseph", 1853-1854, t. 8, p. 127 ; Correspondance de Napoléon, t.23, lettre 18331 ; Correspondance générale de Napoléon, t.11, lettre 29342).
Le même 15 décembre 1811, Berthier écrit à son tour, depuis Paris, au Duc de Feltre : "L'Empereur se propose de faire revenir en France les chasseurs à cheval, les chevau-légers polonais et les dragons de sa garde, en sorte qu'il resterait en cavalerie à l'armée du Nord de l'Espagne les lanciers de Berg, la légion de gendarmerie à cheval, le 1er régiment de hussards et le 31e de chasseurs ; ce qui fera quatre régiments.
Mais auparavant Sa Majesté désire connaître quelle est la force de ces quatre régiments en y comprenant soit ce qui est aux escadrons de guerre en Espagne, soit ce qui est dans les régiments de marche, soit même ce qui est à leur dépôt, afin de pouvoir aviser aux moyens de les porter au plus haut nombre possible.
Cette question, pour la cavalerie de l'armée du Nord, se lie à celle de l'armée de Portugal, ... l’intention de l’Empereur serait que ces deux armées réunies pussent ensemble présenter 9000 chevaux, non à l’effectif, mais en bataille.
Je prie Votre Excellence de vouloir bien en conséquence me faire connaitre le plus tôt possible ce que ces régiments de cavalerie ont à leurs dépôts ou dans les régiments de marche qui ne sont pas encore arrivés à Bayonne, afin de me mettre à portée de présenter à l’Empereur le rapport que Sa Majesté me demande" (Chuquet A. : « Ordres et apostilles de Napoléon, 1799-1815 », Paris, 1911, t.2, lettre 1806).
Le 27 décembre 1811, à Paris, on informe l'Empereur que "Le général Watier propose de ne conserver à l'armée d'Espagne que trois escadrons du 31e régiment de chasseurs et de faire organiser au dépôt à Niort le 4e.
On prie Sa Majesté de faire connaître ses intentions à ce sujet" ; "Il n'y a pas d'inconvénient à ce que le 4e escadron verse ses hommes dans les trois premiers et que le cadre vienne en France prendre des chevaux et des hommes, en amenant avec lui les hommes démontés", répond l'Empereur (Picard E. et Tuetey L. : « Correspondance inédite de Napoléon 1er conservée aux Archives de la Guerre », Paris, 1913, t. 4, lettre 6535).
Le 31 décembre 1811, l'Empereur écrit, depuis Paris, au Maréchal Berthier, Major général de l'Armée d'Espagne, au sujet de la cavalerie de l'Armée du Nord : "... La cavalerie se trouverait composée du 1er de hussards, du 31e de chasseurs, des lanciers de Berg et des dragons Napoléon, ce qui, avec les gendarmes à cheval des quatre escadrons, ferait 3.000 hommes de cavalerie ..." (Picard E. et Tuetey L. : « Correspondance inédite de Napoléon 1er conservée aux Archives de la Guerre », Paris, 1913, t. 4, lettre 6573 ; Correspondance générale de Napoléon, t.11, lettre 29552).
Le 23 janvier 1812, le Major général écrit, depuis Paris, au Maréchal Marmont : "… L’Empereur, monsieur le duc, espère que cette lettre vous trouvera à Valladolid. Sa Majesté vous ordonne de suivre strictement les ordres ci-après :
1° Rappelez, si vous ne l'avez déjà fait, le corps du général Montbrun ;
2° Vingt-quatre heures après la réception de cet ordre, faites partir une des divisions de votre armée avec son artillerie, et organisée comme elle se trouvera au moment où vous recevrez cet ordre, et vous la dirigerez sur Burgos pour faire partie de l’armée du Nord. Sa Majesté défend que vous changiez aucun officier général de la division que vous enverrez, et qu'on y fasse aucune mutation.
Vous recevrez, en échange, trois régiments de marche, forts de cinq mille hommes présents, que vous incorporerez dans vos régiments. Ces régiments de marche partiront le même jour que la division que vous avez l'ordre d'envoyer à Burgos y arrivera. Toute la garde a l'ordre de rentrer en France, ce qu'elle ne pourra faire que quand la division que vous devez envoyer à Burgos y sera arrivée.
Valence pris, le général Caffarelli se rendra à Pampelune pour faire également partie de l'armée du Nord. Cette armée se trouvera donc composée de trois divisions, savoir :
Celle que je vous donne l'ordre d'y envoyer ;
La division Caffarelli,
Et une troisième division, que le général Dorsenne va former avec le 34e léger, les 113e et 130e de ligne et les Suisses.
La cavalerie de cette armée sera formée du régiment de lanciers de Berg, du 1er régiment de hussards, des 15e et 31e de chasseurs, et de la légion de gendarmerie à cheval.
Ainsi l'armée du Nord se trouvera à même d'aller à votre secours avec deux divisions si les Anglais marchaient sur vous …" (Mémoires de Marmont, tome 4, page 294).
Le 5 février 1812, le Général Dorsenne écrit, depuis Uñas, au Maréchal Marmont : "Monsieur le maréchal, Votre Excellence a dû recevoir, par l'estafette de ce jour, l'ordre du prince de Neufchâtel de diriger une division de l'armée de Portugal, forte de six mille baïonnettes et douze pièces de canon, sur Burgos, pour faire partie de celle du Nord. Son Altesse, par une lettre du 23 janvier, me prescrit d'envoyer à l'armée de Portugal les 1er, 2e et 3e régiments de marche aussitôt que cette division sera à ma disposition, ce qui fera un échange de troupes duquel il résultera l'avantage que tous les corps seront réunis.
Le major général m'enjoint aussi de ne retarder, sous aucun prétexte que ce soit, le départ pour Bayonne de tout ce qui appartient à la garde impériale, infanterie, cavalerie, artillerie, le bataillon de Neufchâtel, le 4e régiment de la Vistule et autres détachements. Pour être à même d'exécuter de suite les dispositions qui me sont ordonnées, je prie instamment Votre Excellence de faire hâter la rentrée à l'armée du Nord du 31e régiment de chasseurs dont j'ai le plus grand besoin, et de me faire connaître le plus tôt possible l'arrivée à Burgos de la division qu'elle doit y envoyer" (Mémoires de Marmont, tome 4, page 301).
Le 6 février 1812, à Paris, on informe l'Empereur que "Le marquis d'Almenara, ministre de S. M. C., demande que son fils, le sieur Hervas, capitaine au 31e régiment de chasseurs, obtienne la permission de passer au service d'Espagne"; "Accordé", répond l'Empereur (Picard E. et Tuetey L. : « Correspondance inédite de Napoléon 1er conservée aux Archives de la Guerre », Paris, 1913, t. 5, lettre 6749 - Non signée ; extraite du « Travail du ministre de la guerre avec S. M. l'Empereur et Roi daté du 5 février 1812 »).
De son côté, le même 6 février 1812, Marmont écrit, depuis Valladolid, à Berthier : "… Je n'ai aucune troupe de l'armée du nord, et tout ce qui lui appartient lui a déjà été envoyé, à l'exception du 31e régiment de chasseurs à cheval, qui se met en marche …" (Du Casse A. : "Mémoires et correspondance politique et militaire du roi Joseph", 1853-1854, t. 8, p. 299).
Vers la mi-février 1812, Hippolyte d'Espinchal, désormais au 3e Hussards, écrit : "... J'eus l'agréable surprise de retrouver à Burgos plusieurs officiers du 5e Hussards qui, après avoir fait une campagne avec un escadron du régiment, venaient d'être incorporés dans le 31e de Chasseurs, nouvellement créé de plusieurs escadrons de cavalerie légère et mis sous les ordres du colonel Desmichels, jeune officier d'un grand mérite ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 1, p. 352).
Le 10 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit à M. Dufresse à Niort : "Par sa lettre du 5 de ce mois, le major du 31e régiment de chasseurs à cheval m’annonce que les 50 chevaux de remonte qu’il devait recevoir en exécution de son marché du 4 février dernier sont entièrement livrés : que ces chevaux sont très beaux et feront un bon service.
Vous me rendrez compte, si ces chevaux ont été inspectés par vous, lors de leur réception, ainsi que je vous en ai chargé par ma lettre du 3 février.
Vous prendrez des renseignements sur le fait de savoir pourquoi ce major a trouvé à faire fournir des chevaux tandis que les autres n’ont pu se procurer des fournisseurs pour cet objet ; vous me direz où en sont les autres dépôts sous vos ordres, sur cette remonte à laquelle Sa Majesté attache un si vif intérêt" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Général Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le même 10 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Duc de Feltre, mouvement des troupes : "Je reçois la lettre de V. E. du 4 de ce mois, qui me prescrit de faire partir aussitôt que les dépôts pourront fournir les hommes montés 1° 4 détachements de hussards, pour Foix, où ils doivent entrer dans la composition d’un régiment provisoire ; 2° deux détachements de chasseurs pour Tarbes où ils doivent entrer dans la composition d’un régiment provisoire ; 3° 4 détachements de dragons pour Toulouse où ils doivent aussi entrer dans la composition d’un régiment provisoire ...
Tous les dépôts de troupes à cheval de ma division ont reçu il y a un mois l’ordre de S. E. le Ministre directeur, de faire de suite des remontes et d’acheter une quantité déterminée de chevaux ; mais aucun n’a pu remplir les vues de S. E., par le manque de crédit des dépôts, et le défaut de confiance des fournisseurs. Le major du 31e de chasseurs a seul réussi parce qu’il a déposé chez un négociant à Niort, la somme nécessaire pour le paiement des chevaux acceptés, sa remonte est fort belle. Il a été rendu compte de la situation des choses à S. E. le ministre directeur dont on attend les nouveaux ordres ...
Les dépôts ont généralement beaucoup d’officier dont on porte jusqu’ici les chevaux comme disponibles, en les confondant avec ceux de troupes ; j’ai prescrit de les distinguer à l’avenir dans les situations, afin d’éviter les méprises. Je presserai de tous mes moyens les remontes et le harnachement dans les dépôts de ma division, afin de pouvoir faire partir le plus promptement possible pour les destinations indiquées, les détachements que chaque dépôt doit fournir ; et suivant les ordres de V. E., aussitôt que la moitié des hommes de chaque détachement sera à cheval, je la mettrai ; le reste partira quand la totalité des chevaux sera fourni.
Je dois rendre compte à V. E. que sans des moyens extraordinaires, les chevaux ne seront point fournis ; les marchands ont perdu toute confiance aux dépôts, et ne veulent livrer les chevaux qu’en recevant les prix convenus, c’est une situation très nuisible aux intérêts du gouvernement dont il est pressant de tirer les conseils d’administration" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Encore le 10 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Ministre Directeur de l’Administration de la Guerre, à Paris : "J’ai l’honneur de rendre compte à V. E., en réponse aux ordres contenus dans sa lettre du 26 janvier dernier, que tous les majors ou commandants du dépôt de cavalerie dans ma division m’annoncent tous qu’ils n’ont pas pu trouver de fournisseurs pour traiter des remontes présentes par V. E. et d’après les conditions du marché, les fournisseurs veulent être payés à mesure des livraisons ; les corps ont rendu compte des mesures qu’ils éprouvaient.
Le major du 31e de chasseurs a seul trouvé à faire faire la remonte des 50 chevaux ordonnée par V. E. ; mais pour y parvenir, il a déposé chez un négociant à Niort la somme nécessaire pour le paiement des chevaux acceptés ; sa remonte est même fort belle.
Je dois rendre compte à V. E. que sans des moyens extraordinaires, les chevaux ne seront point fournis ; les marchands ont perdu toute confiance aux dépôts, et ne veulent livrer les chevaux qu’en recevant les prix convenus. C’est une situation très nuisible aux intérêts du gouvernement dont il est pressant de tirer les conseils d’administration" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 13 mars 1812, à Paris, on soumet à l'Empereur un "Congé de convalescence demandé pour le capitaine Mainville, du 31e régiment de chasseurs" ; "Accordé" répond Napoléon (Picard E. et Tuetey L. : « Correspondance inédite de Napoléon 1er conservée aux Archives de la Guerre », Paris, 1913, t. 5, lettre 6925).
Le 14 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse, commandant le Département à Niort : "… Je vous autorise à donner à M. le colonel Desmichel, trois hommes de son régiment à son choix, pour l’accompagner en Espagne, ainsi que je l’ai promis à ce colonel" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 22 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Colonel Desmichel du 31e Chasseurs : "Puisque vous m’annoncez que le bien du service de votre régiment en Espagne exiger que vous emmeniez avec vous un trompette major et un maréchal des logis chef, tirés de votre dépôt, je ne veux pas vous les refuser, persuadé que S. E. le Ministre de la Guerre ne désapprouvera pas cette mesure ; vous pouvez donc faire partir avec vous ces deux militaires avec les trois chasseurs que je vous ai déjà accordé ; en montrant cette lettre à M. le général Dufresse, elle lui servira d’autorisation pour se prêter au départ de ces militaires" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 23 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Commandant du 31e de Chasseur : "Je vous préviens qu’en vertu d’un décret du 11 de ce mois, votre dépôt est compris dans le nombre de ceux qui doivent fournir chacun 15 hommes pour le recrutement du 2e régiment de chevau-légers lanciers de la garde impériale ; ces hommes devront avoir de deux à quatre ans de service et seront pris parmi les meilleurs sujets existant au dépôt.
M. le général Exelmans devait incessamment se rendre à Saintes pour cet objets, je vous engage à vous mettre à même de bien seconder les intentions de Sa Majesté à cet égard.
Vous me rendrez compte du nombre d’hommes que vous aurez fournis" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 27 mars 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Duc de Feltre, Ministre de la Guerre : "J’ai l’honneur de rendre compte à V. E. que je suis informé par le général Dufresse, commandant le département des Deux-Sèvres que les hommes pris dans les dépôts de sa division par M. le général Exelmans pour le recrutement du 2e régiment des chevau-légers lanciers de la Garde impériale ne sont point en rapport exact avec le nombre déterminé par le décret de Sa Majesté, le 10e de chasseurs à cheval n’ayant fourni que 3 hommes, le 13e, 54 et le 31e, 42.
Je dois faire observer à V. E. que sa lettre du 12 de ce mois qui fixe le nombre d’hommes que chaque dépôt devait fournir, ne m’est parvenue qu’après le départ de M. le général Exelmans, qui n’a point paru à la Rochelle où se trouve le dépôt du 5e régiment de chasseurs à cheval" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 17 avril 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse : "J’ai reçu votre lettre du 15 courant. Je dois vous faire observer que, dans l’intérieur de l’empire, les corps ne peuvent obtenir les armes qui leur sont nécessaires que par l’ordre du ministre de la guerre, à moins de circonstances très urgentes, c’est-à-dire dans le cas de départ de troupes ou de débarquement de l’ennemi.
J’ai approuvé et je vous renvoie l’état d’armement du 31e de chasseurs ; il faut que le major l’adresse à S. E. le Ministre de la Guerre, et qu’il demande que les armes lui soient fournies le plus tôt possible" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812".
Le 27 avril 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse, à Niort : "Je vous renvoie, revêtus de mon visa, les trois états de situation de l’armement du 9e régiment (bis) de hussards qui accompagnaient votre lettre du 25 de ce mois ; je vous prie de les remettre au commandant du 31e de chasseurs" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 13 mai 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Ministre de la Guerre, Duc de Feltre, Bureau de l’Inspection : "Travail d’inspection qu’a fait le général Dufresse du dépôt du 31e régiment de chasseurs à cheval.
Hommes proposés pour la retraite, 9.
Id pour la réforme, 8.
Id pour les vétérans, 5
Total, 22.
Je fais passer à M. le général directeur de la conscription les pièces relatives aux conscrits proposés pour la réforme et à remplacer par leur département.
Les hommes proposés pour la retraite se rendent de suite dans leurs foyers, pour y attendre ce qui sera ordonné sur leur compte ; tous les autres militaires proposés sur cet état attendent au dépôt les ordres de V. E." (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le même 13 mai 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse à Niort : "J’ai reçu avec votre lettre du 11 de ce mois le travail de l’inspection que vous avez faite des différents dépôts qui sont sous votre commandement. J’adresse ce travail à S. E. le ministre de la guerre par le courrier de ce jour.
J’ai remarqué que dans le travail des 27e et 31e de chasseurs à cheval, il manquait une double état au 27e pour les réformés et les retraités, et au 31e pour les réformés, les retraités et les vétérans. Je vous prie de prescrire au corps de faire dorénavant un double état pour chaque espèce de proposition et de joindre à l’un d’eux seulement les pièces à l’appui ; c’est ainsi que le ministre exige ce travail. Je vous renvoie les livrets que vous m’avez adressés et dont je n’ai pas besoin. Je n’en exige que lorsque je fais moi-même les inspections" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 16 mai 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse, à Niort : "J’ai reçu les deux demandes de permission et congé qui étaient jointes à votre lettre du 13 de ce mois.
Tout officier, sous-officier ou soldat qui, à l’inspection d’un officier général, est marqué pour la retraite, doit aussitôt quitter son corps pour se rendre dans ses foyers et y attendre la détermination du gouvernement. Ceci répond à la demande de M. le capitaine Le Jeune du 31e de chasseurs, qui peut, avant de se rendre chez lui, aller partout où les affaires l’appellent, au moyen d’un ordre du corps, signé du général qui a fait l’inspection ..." (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 9 juin 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse à Niort : "Monsieur le général, j’ai l’honneur de vous prévenir que le ministre de la guerre m’annonce par sa lettre du 3 de ce mois que S. E. a prononcé la réforme des hommes du 31e régiment de chasseurs à cheval dont les noms suivent : Pellier, Bloch, L’Eglise, Amiot, Vanderborn, Grevier, Valdans, Percher et Dechesne.
Vous voudrez bien faire remplir pour eux les congés de réforme que je joins ici. Vous donnerez des ordres pour qu’ils soient renvoyés dans leurs foyers après qu’on leur aura fait le décompte de ce qu’il leur revient tant sur la masse de linge et chaussure que sur la partie de la solde qui pourrait être arriérée" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 10 juin 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit à MM. Dufresse, Grillot, Delestre, au Major du 2e de Hussards, au Major du 5e Chasseurs à cheval, chacun en ce qui le concerne, et en prévient l’Ordonnateur et l’Inspecteur : "Un décret impérial du 19 mai, qui ordonne la mise au complet des régiments de dragons et de cavalerie légère de l’armée d’Allemagne indique en même temps les dépôts de troupes à cheval de l’armée d’Espagne, destinés à concourir à ce complètement, et le nombre d’hommes qu’ils auront à fournir.
S. E. le ministre de la guerre par sa lettre du 3 de ce mois me prescrit d’aviser aux moyens les plus prompts et les plus surs de faire partir de ma division les détachements de régiments qui sont compris dans cette catégorie.
Du 5e chasseurs sur le 20e même arme, à Bonn, 35 hommes ...
Du 31e id sur le 8e chasseurs à Gray, 104 ; sur le 20e id à Bonn, 24 ; sur le 23e id à Mons, 22 ...
Chacun des contingents sera formé en détachement et conduit au lieu de sa destination par un officier, un maréchal des logis et deux brigadiers, sir le détachement s’élève à plus de 60 hommes. S’il est de 30 à 60, par un maréchal des logis et deux brigadiers, et par un maréchal des logis et un brigadier seulement s’il est au-dessous de 30.
Le militaire appelé par son grade à commander le détachement sera porteur :
1° de la feuille de route délivrée aux hommes par le commissaire des guerres le plus à portée ;
2° de leurs états signalétiques ;
3° de celui de leurs service ;
4° de celui des effets d’habillement qu’ils emporteront.
Cet officier ou sous-officier signalera à la gendarmerie la plus voisine du lieu de la désertion, les soldats qui abandonneront le détachement pendant la route, à l’arrivée du contingent au dépôt qui doit le recevoir, il instruira le commandant de ce dépôt des mutations qui pourront avoir eu lieu depuis le départ, lui fera la remise des état et des hommes, et muni d’un certificat constatant cette remise ainsi que d’une feuille de route ; il retournera à son poste avec celui ou ceux qui lui auront été adjoints pour la conduite du détachement.
Les soldats dont il sera composé toucheront avant leur départ, ce qui pourra leur revenir sur la solde ; mais le produit de leur masse de linge et chaussure, sera directement adressé au conseil d’administration éventuel du corps auquel ils sont destinés.
Je vous invite, général, à me rendre compte des mesures que vous aurez prises pour l’exécution des disposition prescrites par cette lettre, et en m’informant du départ des détachements qui y sont portés, vous m’en enverrez la situation exacte ainsi que l’état des effets d’habillement et équipement ; s’ils emportent des armes, il en sera fait mention sur cet état" (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 11 juin 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Duc de Feltre : "Monseigneur, conformément aux dispositions que me prescrit la lettre de V. E. du 3 de ce mois, j’ai donné tous les ordres nécessaires pour faire partir des dépôts des 5e, 10e, 13e, 22e, 31e régiments de chasseurs, 1er, 2e, 3e et 10e régiments de hussards, le nombre d’hommes à pied qu’ils doivent fournir à différents dépôts de régiments de l’armée d’Allemagne, conformément au décret impérial du 19 mai dernier.
Tous les détachements partiront de leurs dépôts, le 21 de ce mois ; ils seront formés ainsi que V. E. l’ordonne, et j’ai prescrit aux commandants les dispositions contenues dans votre lettre du 3 de ce mois ; j’aurai l’honneur de vous rendre compte de leur départ, lorsqu’il sera exécuté ..." (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le 29 juin 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Ministre de la Guerre, bureau de l’Inspection : "Conformément à l’ordre que m’en donne V. Ex., par sa lettre du 3 juin courant, d’aviser aux moyens les plus prompts et les plus surs de faire partir de ma division les détachements des différents dépôts ci-après désignés, j’ai l’honneur de lui rendre compte que le 21 de ce mois, j’ai fait diriger, savoir :
Du 5e de chasseur sur le 20e de même arme à Bonn, 35 ...
Du 31e id sur le 8e de chasseurs à Gray 104 ; sur le 20e id à Bonn 24 ; sur le 23e id à Mons 22 ..." (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812).
Le régiment est à la cavalerie de l'Armée du Nord de l'Espagne avec 3 escadrons en Juin 1812.
Le 11 juillet 1812, le Général Caffarelli écrit, depuis Vitoria, au Maréchal Marmont : "… J'apprends à l'instant qu'il est arrivé des troupes à Bayonne, et je dois penser que, le 15, il en partira pour Vitoria. Je donne ordre au 1er régiment de hussards, au 31e de chasseurs et à un escadron arrivé depuis peu, de partir avec huit bouches à feu pour se rendre à Valladolid et d'y faire apporter du biscuit. J'ai prié Votre Excellence d'envoyer de l'infanterie pour prendre ce convoi ; il l'attendra à Celada, car à peine ai-je en tout et sur tous les points six mille hommes disponibles, que j'aurais envoyés à l'armée de Portugal sans ces événements. Le 15e de chasseurs a quatre bouches à feu, qui sont ici et qui partiront lorsque je pourrai les faire escorter. Je n'ai pas reçu de lettres de Votre Excellence depuis le 2" (Mémoires de Marmont, tome 4, page 419).
Le 14 juillet 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit à M. Delestre et au Colonel Strub : "En exécution des ordres du ministre de la guerre, vous voudrez bien faire partir le 22 courant de leurs dépôts respectifs pour Bayonne conformément aux ordres de route ci-joints, des détachements de tous les hommes montés qui se trouvent disponibles dans les dépôts des régiments de chasseurs sous vos ordres.
A leur arrivée à Bayonne, ces détachements seront à la disposition du général Lhuillier qui en formera des régiments provisoires.
Il est donc nécessaire qu’il y ait à chaque détachement le nombre d’officiers et de sous-officiers que compte sa force, afin qu’il soit bien commandé. Vous veillerez à ce que les hommes soient généralement pourvus de tout et les chevaux bien harnachés. Vous donnerez à cet égard, les ordres les plus précis aux commandants des dépôts, afin que chaque département puisse fournir le nombre d’hommes et de chevaux désignés, les hommes et les chevaux destinés pour l’instruction seront réduits au plus strict nécessaire ; il en sera de même pour les ouvriers.
Dans le cas où les dépôts ne pourraient pas absolument fournir le nombre d’hommes et de chevaux déterminés par S. Ex., ainsi qu’il est porté plus haut, vous ferez partir tout ce qui sera disponible, tous ces hommes habillés, équipés sont disponibles quoique non instruits, on pourra prendre parmi les chevaux partis comme nécessaires à l’instruction, ceux capables d’entrer en campagne.
En me rendant compte, monsieur, de l’exécution de cet ordre, vous m’enverrez des états exacts de la composition de chaque détachement au départ.
A mesure que vos 3 dépôts auront encore des hommes montés disponibles, qui puissent rejoindre leurs détachements à Bayonne, vous devrez m’en rendre compte afin que je leur envoie l’ordre de les mettre en route. Vous m’adresserez pour cet objet une situation détaillée des hommes et des chevaux restants aux dépôts ..." (SHD 1 I 52-3– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 24 février-16 juillet 1812 - Noté en marge : "Adressé au général Dufresse les ordres de route pour les dépôts qui sont à Niort et à Saint-Maixent ... et au colonel Strub pour les dépôts qui sont à Saintes et à Saint-Jean d’Angely.
Le dépôt du 5e chasseurs peut fournir 40 hommes montés ... Celui du 31e id 60 id ...
On en prévient l’ordonnateur et l’inspecteur").
Le 17 juillet 1812, le Général Rivaud de La Raffinière écrit au Général Dufresse : "J’ai reçu avec votre lettre du 15 de ce mois, les certificats que vous m’avez adressés pour deux officiers du 13e de cuirassiers et un officier du 31e de chasseurs à cheval.
J’approuve que ces officiers aillent aux eaux et qu’ils s’adressent à cet effet, à l’ordonnateur en le prévenant qu’ils ont mon approbation. Je vous renvoie les 4 certificats" (SHD 1 I 50-1– Correspondance du Rivaud de La Raffinière, 16 juillet 1812-30 janvier 1813).
Le 31e sert aux Arapiles le 22 Juillet 1812.
Le 19 novembre 1812, le Maréchal Marmont écrit, depuis Bayonne, au Ministre de la Guerre, pour lui expliquer les raisons de l'échec des Arapiles ; il écrit : "Monsieur le duc, je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 14 novembre, je ne perds pas un moment pour y répondre ...
A l'ouverture de la campagne, le général Caffarelli me fit les plus belles promesses ; et j'étais autorisé, d'après ses premières lettres, à croire que, dans le courant du mois de juin, je recevrais un puissant renfort de l'armée du Nord. Ce fut en grande partie l'obligation où j'étais de l'attendre, et d'autres circonstances que mon rapport a fait connaître, qui occasionnèrent alors la prise des forts de Salamanque. Les lettres des 20, 26 juin et 11 juillet, du général Caffarelli, en exagérant d'une manière ridicule la force des bandes, le danger d'un débarquement dont les côtes étaient menacées (débarquement qui s'est réduit à peu près à rien, attendu que la flotte qui était en vue n'avait pas quatre cents hommes de troupes à bord), m’annoncèrent successivement la diminution des renforts qu'on devait m'envoyer ; et enfin, par sa lettre du 26 juin, il m'annonça que je ne pouvais plus compter sur un seul homme d'infanterie. La copie de cette lettre est ci-jointe ; elle lèvera toute espèce de doute à cet égard. Restaient donc seulement la cavalerie et l'artillerie, dont la promesse n'avait pas discontinué, mais qui ne s'effectuait pas. Je crus cependant fortement à l'arrivée de ce dernier secours, et j'attendis ; mais je fus instruit bientôt qu'au lieu de quatre régiments sur lesquels j'avais droit de compter, la légion de gendarmerie avait ordre de rentrer en France et ne viendrait pas, et que le général Caffarelli, qui voulait conserver près de lui un corps de cavalerie, j'ignore dans quel objet, gardait le 15e de chasseurs, et qu'enfin ce secours, si solennellement promis, se réduisait à six cents chevaux des 1er hussards et 31e chasseurs, et huit pièces de canon, qui étaient réunies à Burgos depuis le 15 juin, mais dont le départ, constamment annoncé, ne s'effectuait jamais …
Je ne comptais pas donner bataille le 22 juillet ; c'est l'ennemi qui a attaqué, et, sans ma blessure, il n'y en aurait pas eu : ceci demande plus de développement.
Je n'ai été instruit de l'itinéraire des six cents chevaux et de l'artillerie de l'armée du Nord que le 21 dans la soirée. Dans ce moment, presque toute l'armée avait passé la Tormés. Si j'eusse reçu cette nouvelle cinq heures plus tôt, il n'y a aucun doute que je n'eusse suspendu ce mouvement et que je n'eusse attendu dans le camp d’Aldea-Rubia l'arrivée de ce renfort ; mais, en ce moment, faire rétrograder toute l'armée eût été une chose mauvaise …" (Mémoires du Maréchal Marmont, tome 4, page 453).
Le 23 Octobre 1812, le 31e participe à Villadrigo.
II/ 1813
Une partie du régiment formé en France est envoyé en Allemagne (4e et 5e escadrons) tandis que le gros de l'unité reste en Espagne. C'est ainsi que Desmichels s'illustre au combat de Sos près de Saragosse le 15 mai 1813 et le 21 Juin un escadron assistera à la bataille de Vitoria à la cavalerie de l'Armée du Nord.
Le 6 juin 1813, l'Empereur écrit, depuis Liegnitz, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre, donnez ordre sur-le-champ au 1er de hussards et au 31e de chasseurs qui sont à l'armée du Nord d'Espagne, d'en partir sans délai pour se diriger sur Vienne en Dauphiné. Vous me présenterez un projet pour diriger sur Vienne ce qui sera nécessaire pour porter ces 2 régiments chacun à 1200 hommes ; je les destine à faire partie de l'armée d'Italie. Il est indispensable que ces 2 régiments exécutent le présent ordre sans aucun retard. Envoyez-le par duplicata et triplicata au général de l’armée du Nord, au roi d'Espagne, et à Vittoria aux colonels ..." (Correspondance générale de Napoléon, t.13, lettre 34486).
En Allemagne en Juillet 1813, 5 corps de cavalerie ont été réorganisés par l'Empereur, les escadrons 4 et 5 du régiment font partie de la 6e Division de Cavalerie Légère du IIIe Corps de Cavalerie et sont mis sous le commandement du colonel Frin de Cormeré.
Le 11 juillet 1813, l'Empereur écrit, depuis Wittenberg, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre, la cavalerie de l’armée d’Espagne était composée :
... Des 31e, 5e, 10e, 13e, 14e, 15e, 21e, 26e, 27e et 29e de chasseurs ...
Par mes dernières dispositions, j’ai ordonné que :
... Le 14e, le 26e, le 27e et le 31e de chasseurs
ne fissent plus partie de cette armée, et en conséquence vous avez donné ordre aux dépôts de ces régiments de se rendre dans le Nord ..." (Correspondance générale de Napoléon, t.13, lettre 35349).
Le 23 juillet 1813, l'Empereur écrit, depuis Dresde, au Général Belliard, Aide-major général de la Grande Armée : "J'ai ordonné que le 1er régiment de hussards et le 31e de chasseurs se réunissent à Vienne en Dauphiné pour y être complétés à 1200 hommes et de là envoyés en Italie. Faites-moi connaître les détachements que ces deux régiments ont à Leipzig, et proposez-moi de les incorporer dans des régiments de hussards et de chasseurs ayant un uniforme analogue, et de renvoyer les cadres à Vienne.
Proposez-moi une lettre au duc de Valmy pour que tout ce qu'il aurait de ces deux régiments sur le Rhin, il l'incorpore dans des régiments analogues et renvoie les officiers et les sous-officiers à Vienne. Je désire que vous me présentiez un projet de décret là-dessus" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 35540).
Le même 23 juillet 1813, l'Empereur écrit, depuis Dresde, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre ... Il y avait en Espagne 11 régiments de chasseurs. J'en retire 3 pour la Grande Armée et 1 pour l'Italie ...
Le 1er régiment de hussards et le 31e de chasseurs doivent déjà être réunis à Vienne en Dauphiné, et je vois que vous avez pris toutes les mesures nécessaires pour le compléter ; aussitôt qu'ils auront 500 hommes d'organisés, ils se mettront en marche pour l'armée d'Italie ...
Annexe
Revenant d'Espagne ...
Chasseurs ...
31e - Italie ..." (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 35553).
Le 26 juillet 1813, Eugène écrit, depuis Monza, à Napoléon : "… Le duc de Feltre m'annonce dans une de ses dernières lettres que le 1er de hussards et le 31e de chasseurs doivent se réunir à Lyon dans le courant du mois d'août, et être portés à 1,000 hommes par le moyen des hommes tirés des dépôts de même arme. Le duc de Feltre m’a dit qu'il n'a donné aucun ordre de mouvement à ces troupes, attendant les ordres de Votre Majesté à cet égard. Comme ces deux régiments sont destinés pour venir en Italie, je prie Votre Majesté de prescrire à son ministre de la guerre que ces deux corps, après une huitaine de séjour à Lyon, pour s'y organiser, se mettent en route pour Vérone …" (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 215).
Le 27 juillet 1813, l'Empereur écrit, depuis Mayence, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre ... Quant au 1er de hussards et au 31e, ces régiments ont plusieurs détachements à l'armée. Aussitôt que je saurai tout ce qui est en route, et ce qui doit arriver définitivement à Leipzig, proposez-moi d'en former des escadrons attachés aux dits régiments, le 1er et le 31e, et de remplacer à Vienne les escadrons en augmentant le nombre d'escadrons des régiments. Et comme le 1er de hussards aura beaucoup d'officiers à Vienne, on pourra fort bien former ces cadres sans inconvénient. Ces deux régiments auront donc 6 ou 7 escadrons au lieu de 4. Le renvoi des escadrons de ces régiments qui sont à Leipzig n'aurait pas été une grande ressource ; cela eut été inférieur à ce qu'on pourra former à Vienne" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 35604).
Le 10 août, le Corps du Duc de Padoue est complètement organisé et réduit à 3 divisions; sa 2e Division, Généraux Fournier, Mourier et Ameil comprend, à la 1re Brigade, les 29e, 31e de chasseurs et 1er de hussards ; à la 2e brigade, les 2e, 4e et 12e de hussards, soit 70 Officiers, 1,407 hommes de troupe, 1,510 chevaux ; 14 Escadrons à Leipzig, plus 716 hommes et 736 chevaux détachés à Metz et à Magdebourg. La 2e Division du 3e Corps prend le nom de 6e de cavalerie légère (Du Casse A. : "Le Général Arrighi de Casanova, Duc de Padoue", 1866, t. 1, p. 288).
23 Août : Bataille de Gross-Beeren, le colonel Frin de Cormeré est mortellement blessé et le chef d'escadrons Girard dit Vieux est blessé. Ce qu'il reste du régiment assiste aux batailles de Wachau et de Leipzig pour le 4e escadron (les 16 et 18 Octobre).
Le 12 novembre 1813, à Saint-Cloud, "On propose de donner les chevaux des hussards croates au 1er de hussards à Lyon et au 31e de chasseurs à Vienne ainsi qu'aux dépôts de cavalerie légère de la 6e division militaire qui ont des hommes à pied"; l'Empereur répond : "Il serait plus convenable de donner tous ces chevaux au 31e de chasseurs et au 1er de hussards, et, s'il n'y a pas assez d'hommes, d'en faire venir du 6e de chasseurs et des autres, afin d'augmenter tout de suite de 600 chevaux la cavalerie de l'armée d'Italie. Quant aux Croates ainsi démontés, on les dirigera sur la Bourgogne et on verra ce qu'on en fera après" (Chuquet A. : « Inédits napoléoniens », Paris, 1913, t.1, lettre 1181).
Le 18 novembre 1813, l'Empereur écrit, depuis Saint-Cloud, au Duc de Feltre : "Le régiment croate doit arriver le 15 à Lyon. Il paraît qu'il a 6 à 700 chevaux. Donnez ordre au général Corbineau de se rendre à Lyon où il passera ce régiment en revue. Vous enverrez en même temps à Lyon 6 à 700 hussards et chasseurs que vous y dirigerez par la Saône ou du dépôt de Vienne. Ces hussards seront incorporés dans le 1er régiment de hussards et les chasseurs dans le 31e de chasseurs.
Le général Corbineau prendra ses mesures pour faire mettre pied à terre à ce régiment. Il commencera par faire partir d'abord tous les hommes à pied et, quand cette opération sera faite, il fera mettre pied à terre aux hommes montés, s'emparera de leurs chevaux, de leurs selles et de leurs armes, et s'en servira pour monter et armer les 600 hussards et chasseurs ci-dessus qu'il fera sur-le-champ partir pour Turin. Cela fera 600 hommes de cavalerie de renfort pour l'Italie.
Faites-moi un rapport sur le 1er de hussards et sur le 31e de chasseurs. Vous m'y ferez connaître où sont les dépôts de ces deux régiments et ce qu'ils ont à la Grande Armée, en Italie et en marche. Je suppose que chacun pourra avoir en tout 1200 hommes. Donnez ordre que tout ce qu'ils ont à la Grande Armée en parte sans délai et passe les Alpes pour se rendre en Italie. Si alors, ces régiments ainsi réunis n'avaient pas chacun 1200 hommes, il faudrait me proposer de tirer des dépôts les plus à proximité les hommes et les chevaux nécessaires pour les porter à cette force. Il sera, de plus, nécessaire d'envoyer deux autres régiments de cavalerie en Italie. On pourrait, à cet effet, tirer deux régiments bien complétés de l'armée d'Espagne ..." (Chuquet A. : « Inédits napoléoniens », Paris, 1913, t.1, lettre 1189 ; Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 37134).
Le même 18 novembre 1813, l'Empereur écrit, depuis Saint-Cloud, au Général Corbineau, Aide de camp de l'Empereur, commandant par intérim la Gendarmerie d'élite : "Le ministre de la Guerre vous donnera une mission pour faire mettre pied à terre aux hussards croates qui sont à Lyon, et en donner les chevaux à d'autres hussards et chasseurs qui se mettront en marche pour l'Italie, afin d'augmenter ainsi à 600 hommes le 1er de hussards et le 31e qui sont dans ce pays. Il m'était impossible de me fier à ces Croates. Les chevaux pourront se reposer à Turin le temps nécessaire. Aussitôt que vous aurez fait votre opération, dirigez les Croates à pied sur les places de la Haute-Loire qu'aura désignées le ministre de la Guerre" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 37136).
Napoléon écrit le 20 novembre 1813 : "Instructions pour le général d’Anthouard (envoyé en inspection en Italie)
… Un régiment croate (hussards) de 1300 hommes et 600 chevaux est à Lyon. Je donne ordre à Corbineau de leur faire mettre pied à terre et d'envoyer cette canaille sur la Loire, et de donner 300 chevaux à chacun des deux régiments 1er Hussards et 31e de chasseurs ... J’envoie à Milan tout ce qui appartient au 1er Hussards et 31e de Chasseurs ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 425 ; Correspondance de Napoléon, t. 26, 20928).
Le 24 novembre 1813, l'Empereur écrit, depuis Paris, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre, donnez ordre que tout ce qu'il y a de disponible du 31e de chasseurs et du 1er de hussards, à la Grande Armée, à l'armée d'Aragon, au dépôt et dans tout autre endroit, soit dirigé sur l'Italie. En conséquence, ces 2 régiments seront portés à 6 escadrons et au complet de 1 500 chevaux.
Donnez ordre que tout ce que le 19e de chasseurs a de disponible, soit à la Grande Armée, soit en Espagne, soit en France, soit dirigé sur Turin.
Présentez-moi toutes les mesures à prendre pour que ces 3 régiments aient chacun 1 500 hommes à cheval, et que leurs dépôts soient placés en Piémont, en Savoie, ou dans la 19e division militaire" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 37257).
Le 4 décembre 1813, l'Empereur écrit, depuis Paris, au Général Clarke, Ministre de la Guerre : "Monsieur le duc de Feltre, je vous envoie un rapport du général Nansouty. Réitérez les ordres les plus positifs pour que tout ce qui appartient au 31e de chasseurs et au 1er de hussards se rende en Italie. Vous savez que mon intention est d'y réunir également le 19e de chasseurs, de sorte que j'aie en Italie le 19e et le 31e de chasseurs et le 1er de hussards ; que mon intention est de les porter chacun à 12 et 1 500 chevaux, en laissant subsister les escadrons qu'ils ont aujourd'hui. Portez une attention particulière sur ces régiments.
D'après le travail du général Nansouty, il paraît difficile de faire quelque chose de cette cavalerie du 3e corps. J'estime qu'avec les petits dépôts, cela doit faire environ 3 000 hommes. Je désirerais les faire venir de Coblence à l'armée d'Espagne, puisque ces régiments ont leurs dépôts de ce côté. Ils iraient d'abord à leurs dépôts, où ils se répareraient et se recomplèteraient.
Je les remplacerais à l'armée d'Espagne par 3 000 hommes qu'on tirerait de l'armée d'Espagne. Je suppose que 3000 hommes doivent faire 4 régiments de cavalerie. Les dépôts de ces régiments remonteraient vers le Nord.
Par ce moyen, les dépôts d'Espagne seraient vers le midi. Les 3 régiments italiens auraient leurs dépôts au-delà des Alpes ou sur le Rhône, et toute la cavalerie de la Grande Armée aurait ses dépôts sur la Meuse ou dans le Nord" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 37388).
Le 12 décembre 1813, l'Empereur écrit, depuis Paris, à Daru, Ministre directeur de l’Administration de la Guerre : "Monsieur le comte Daru, j'ai pris un décret pour la formation et les remontes de la cavalerie en 1814. Voilà déjà un mois de perdu, il ne faut plus perdre un jour. Faites partir dans la journée de demain la répartition des 15 000 chevaux entre les départements, et transmettez à tous les régiments vos ordres pour les marchés qu'ils ont à passer, notamment pour les 10 000 chevaux d'éclaireurs. Je vous renvoie les deux états qui doivent être joints au décret, des changements y sont nécessaires ...
2° dans l'état de répartition entre les corps parce que les 14e, 19e et 31e de chasseurs, ainsi que les 1er et 14e de hussards n'y sont pas compris, parce qu'il ne faut rien donner à l'artillerie et aux équipages militaires. Enfin parce qu'autant que possible il faut qu'aucun cheval ne passe les Alpes. Il faut donc donner les chevaux des 27e, 28e, 29e et 30e divisions militaires aux 1er et 14e de hussards, et aux 4e, 19e et 31e de chasseurs qui sont en Italie. Il faut donner également à ces régiments tous les chevaux de cavalerie légère qui proviendront des 7e, 8e et 19e divisions militaires. Enfin, il faut mieux étudier cette répartition pour que les chevaux ne fassent pas de marche inutile ...
Faites faire ces changements sans délai, et remettez-moi les états pour qu'ils puissent être joints au décret. Mais je désire que dans la journée de demain la répartition des 15 000 chevaux soit remise au ministre de l'Intérieur et transmise par lui dans les départements" (Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 37543)
Correspondance de Napoléon "Paris, 12 décembre 1813. |
III/ UNIFORMES DU DEBUT DE L' UNITE
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Fig. 1ter Officier, Compagnie du centre du 31e Chasseurs à cheval, 1812 |
Fig. 2 Chasseurs du 31e Chasseurs à cheval, 1813, d'après Carle Vernet |
Fig. 2bis Chasseur du 31e Chasseurs à cheval, 1813, d'après H. Boisselier |
Pour uniformiser les tenues de ce régiment disparate, on lui délivrera des habits "à la kinski" vert distingué de chamois au collet et parements. Cet habit sera remplacé en 1813 par un habit du règlement Bardin à revers carrés entièrement fermés qui sera porté en Allemagne par les 4e et 5e escadrons (figure 2 uniforme Bardin porté en Allemagne). La coiffure est alors le schako noir orné simplement sur le devant d'une cocarde.
La compagnie d'Elite pour se différencier porte le shako rouge de même que la surculote rouge bordée de chamois sur les côtés et les épaulettes écarlates(figure 1 officier compagnie d'élite).
L'armement classique comporte le sabre et le mousqueton.
Figure 1 : Officier de la compagnie d'Elite en Espagne en 1813. Cet Officier porte une tenue à la Kinski (dessin D. Davin). On notera le pantalon de cheval et le shako rouge.
Figure 1bis : Cavalier des compagnies ordinaires du 31e chasseurs. En tenue à la kinski portée en Espagne à la formation du Régiment, d'après Martinet ; on notera l'absence de plaque au shako.
Figure 1ter : Officier, Compagnie du centre du 31e Chasseurs, vers 1812 . D'après Martinet. On remarquera l'habit "à la Kinski", le colback porté par beaucoup d'Officiers de cavalerie légère, le galonnage argent de la culotte et de la schabraque de drap et le port d'une seule épaulette.
Figure 2 : Tenue modèle Bardin portée par les escadronsen Allemagne en 1813. D'après Carle Vernet.
Figure 2bis : Tenue modèle Bardin portée par les Escadrons du Régiment en Allemagne en 1813. D'après H. Boisselier. On notera la présence d'une plaque modèle 1812 au shako et le port d'un pantalon de cheval large et basanédit"à la Lasalle". Les épaulières semblent plutôt avoir été portées en Italie sur l'habit à la polonaise.
IV/ LA CAMPAGNE D'ITALIE DES TROIS PREMIERS ESCADRONS 1813 -1814
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Fig. 3 Uniformes à la Polonaise portés en Italie en 1814 par le 31e Chasseurs à cheval | Fig. 4 Compagnie de lanciers du 31e Chasseurs à cheval, d'après R. Roux |
Le Prince Eugène, vice- Roi d'Italie, revenu d'Allemagne en Mai 1813, a organisé sur ordre de l'Empereur une nouvelle armée dite "Corps d'Observation de l'Adige", mêlant unités françaises et italiennes, pour inquiéter les Autrichiens sur leur flanc.
Le 20 juin 1813, Eugène écrit, depuis Milan, à Napoléon : "… J'ai reçu aujourd'hui des lettres du ministre de la guerre qui m'annoncent que Votre Majesté a destiné pour l'armée d'Italie le 1er de hussards et le 31e de chasseurs. Nous avions réellement besoin d'un renfort de cette arme dans l'armée, car il y avait bien peu de ressources ici en ce genre ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 170).
Le 24 juin 1813, Eugène écrit, depuis Milan, à Napoléon : "Je désire bien que Votre Majesté veuille donner les ordres au duc de Feltre pour les deux régiments de cavalerie qui me sont annoncés, savoir : le 1er de hussards et le 31e de chasseurs ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 174).
Le 26 juin 1813, Eugène écrit, depuis Milan, à Napoléon : "Sire, j'ai reçu le courrier que Votre Majesté m 'a expédié sous la date du 18. J'ai vu, par le décret qu'elle a pris, la nouvelle organisation qu'elle a donnée à l'armée d'Italie. Je vais m'occuper de suite de l'exécution de ses instructions, cela occasionnera quelques jours de retard, puisque les troupes étaient déjà en mouvement suivant l'organisation que j'avais eu l'honneur de lui soumettre.
Votre Majesté remarquera que, dans l'état de situation et d'organisation envoyé par Votre Majesté, il devrait y avoir 85,000 hommes ; mais, tous les bataillons qui sont à Toulon, Brest et Lorient devant être déduits de la force, au moins pour le moment, l'armée ne pourra compter, au 30 juillet, que 72,000 hommes. Je désirerais seulement que Votre Majesté maintint l'organisation de la cavalerie telle que je l'avais présentée dans le premier projet, ce qui pourra porter sa force à 6,000 hommes, savoir : 2600 à 2,800 de cavalerie italienne, 500 chevaux du 19e de chasseurs, 2 régiments français qui étaient annoncés, savoir : le 1er de hussards, le 31e de chasseurs, enfin deux régiments de cavalerie napolitaine ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 177).
Le 28 juillet 1813, au matin, l'Empereur écrit, depuis Mayence, à Eugène Napoléon, Vice-Roi d'Italie, à Monza : "Mon Fils, je reçois votre lettre du 20. Je vous ai mandé hier que j'étais venu passer quelques jours à Mayence et que je serais de retour à Dresde dans les premiers jours d'août ...
Il est probable que les hostilités ne commenceront que le 16 ou le 17 août. Il est donc indispensable qu'au 10 août vous ayez votre quartier général à Udine, que toutes vos troupes y soient réunies, et que vous puissiez, le 11, vous mettre en marche pour Graetz. Le 1er de hussards et le 31e de chasseurs, qui reviennent d'Espagne, se complètent chacun a 1,200 hommes à Vienne en Dauphiné. Jusqu'à cette heure, je ne sache pas qu'il y ait une armée autrichienne à Graetz et Klagenfurt. Le passage du duc d'Otrante et celui du général Fresia doivent vous avoir donné des renseignements bien positifs là-dessus. Je désire que vous m'envoyiez le plus tôt possible un rapport qui me fasse connaître quelle est la position de votre armée au 1er août, infanterie, cavalerie et artillerie, et quelle en sera la situation au 10 août, ainsi que le lieu que chaque division et bataillon occupera à cette dernière époque ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 217 ; Correspondance de Napoléon, t. 25, 20311 ; Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 35649).
Le 11 août 1813, l'Empereur écrit, depuis Dresde, à Eugène, Vice-Roi d'Italie, commandant en chef l'armée d'Italie : "Mon fils, je reçois votre lettre du 5 août, à laquelle était joint l'état de situation du corps d'observation d'Italie ... Ecrivez au ministre de la Guerre, et écrivez vous-même à Vienne pour qu'on active l'organisation du 31e de chasseurs ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 229 ; Chuquet A. : Lettres de l'empereur Napoléon, du 1er août au 18 octobre 1813, non insérées dans la correspondance, p. 48 ; Correspondance générale de Napoléon, t.14, lettre 35823).
Le 17 août 1813, Eugène écrit, depuis Udine, à Clarke : "Monsieur le duc de Feltre, Sa Majesté, par lettre du 11 août, m'ordonne de vous écrire afin d'accélérer par tous les moyens possibles l'organisation qui se fait à Vienne et à Lyon des 1er hussards et 31e de chasseurs. L'empereur espérait qu'au premier septembre ces troupes seraient déjà entrées en Italie. Veuillez bien, afin de remplir les intentions de Sa Majesté, presser autant qu'il sera en votre pouvoir, l'organisation et la mise en mouvement de ces troupes …" (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 237).
Les premières hostilités commencent mi-Août en Carinthie, tandis que les Provinces Illyriennes se soulèvent.
Au début de la campagne, jusqu'au mois d'Octobre, Eugène couvre le Tyrol sur sa gauche et la Carniole sur sa droite entre Villach et Laybach. Venise est rapidement soumise à un siège.
Début Octobre 1813, les 3 premiers escadrons du régiment sont envoyés de l'armée de Catalogne renforcer l'Armée d'Italie du Prince Eugène qui fait face aux Autrichiens et bientôt aux Napolitains de Murat. Le dépôt est porté à Vienne (Isère) et on y dispatche les chevaux pris aux Hussards croates dissouts : chevaux qui passent ensuite en Italie pour monter le Régiment.
Le 31e Chasseurs à cheval fait brigade avec le 4e Chasseurs italien sous le commandement du Général Bonnemain. Les Escadrons arrivent en Italie dans la deuxième moitié du mois.
Hippolyte d'Espinschal, dans ses Souvenirs militaires, écrit : "... De nombreux renforts étant attendus, surtout dans la cavalerie, le général Mermet, chargé de son organisation et devant en être le chef supérieur, fit établir son quartier général à Campo-Longo et, peu de temps après, arrivèrent d'Espagne le 1er Hussards et le 31e Chasseurs, deux superbes régiments qui, joints aux 1er et 19e Chasseurs, formaient, avec le 1er, 3e, 4e Chasseurs italiens, les dragons de la Reine et de Napoléon, ainsi que les Vélites royaux, une masse imposante dont les généraux de brigade étaient MM. Bonnemain, Perreymont et Rambourg. Ainsi cette armée, qui deux mois avant comptait à peine 1200 chevaux, en avait aujourd'hui 5000, dont la présence devenait de la plus grande utilité dans les vastes plaines d'Italie.
Le 8 octobre, je fus envoyé pour effectuer le licenciement du dépôt des Hussards croates, que le Vice-roi renvoyait dans leur pays, plutôt que d'attendre qu'ils désertassent, ce qui serait infailliblement arrivé.
300 chevaux de petite taille, d'une race excellente, furent aussitôt dirigés sur la lieutenance du général Grenier, pour être livrés au 31e Chasseurs nouvellement arrivé de l'armée de Catalogne ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 183).
Le 10 octobre 1813, à … du soir, le Général Baron Bonnemain écrit, depuis San Martino : "Mon général, le colonel Desmichels a trouvé l’ennemi cavalerie et infanterie au-delà de Vago. On a combattu assez longtemps. En vous quittant je m’y suis porté d’abord pour être à même de connaître plus promptement le résultat de cette reconnaissance, et ensuite parce que j’ai appris à peu de distance de là ce qui s’est passé. Nous avons repris l’offensive à l’ennemi et l’ennemi est rentré en toute hâte à Caldiero. La nuit ne nous a pas permis de le poursuivre plus loin. Nous avons eu un tué et quelques blessés, l’ennemi a beaucoup souffert.
J’attends pour vous rendre un compte détaillé le rapport du colonel Desmichels. J’ai pensé que vous seriez aise d’avoir à l’avance connaissance de ce qui s’est passé" (Papiers du général Paul Grenier. VIII. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 273 page 557).
Le 12 octobre 1813, le Général de Brigade Baron Bonnemain écrit, depuis San Martino, au Génréal Comte Grenier : "L’ennemi a attaqué ce matin les avants postes que j’avais sur le canal de Vago. Il n’a pu malgré sa très grande supériorité en nombre et celle de sa position faire reculer que mes vedettes. 50 chevaux et une compagnie de voltigeurs l’ont fait déployer trois bataillons, plus de 200 chevaux et quatre pièces d’artillerie dont trois ont tiré une cinquantaine de coups.
Quatre compagnies du 53e régiment d’infanterie dont le commandement a été donné au chef de bataillon Moreau, 80 chevaux du 31e chasseurs commandés par le capitaine Charpentier, 30 chevaux du 4e chasseurs italien commandés par M. Borelli et Gamberage, et un obusier dirigé par le lieutenant Lerebores que j’ai tous fait avancer de San Martino pour soutenir la première ligne, ont suffi pour forcer l’ennemi dans la position formidable qu’il avait prise à Vago, et le mettre dans le plus grand désordre. C’est dans cet état qu’il a été obligé de rentrer à Caldiero.
Nous lui avons fait une vingtaine de prisonniers : il a eu une cinquantaine de tués dont un grand nombre de coups de sabres et de baïonnettes. Le nombre de ces blessés doit être très considérable : les routes sont teintes de sang.
Tous ont rivalisé : infanterie, cavalerie et artillerie ont montré la plus grande valeur. On n’entendait qu’un cri, celui de vive l’empereur, en forçant le village de Vago. M. le chef de bataillon Moreau s’est particulièrement distingué.
J’attends les rapports de MM. les colonels Grobon et Desmichel et de M. le chef d’escadron Duboy pour vous faire connaître, M. le comte, les noms de ceux qui se sont fait remarquer, et vous prier de les recommander à la bienveillance de Son Altesse Impériale" (Papiers du général Paul Grenier. VIII. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 284 page 583).
Le 21 octobre 1813, le Général de Division Chef de l’état-major général Comte de l’Empire Vignolle, écrit, depuis le Quartier général à Gradisca, au Général Grenier : "... Le général de brigade Bonnemain part demain à la pointe du jour pour vous rejoindre avec le 31e régiment de chasseurs à cheval, il sera demain à Codroipo et ira prendre vos ordres à Valvasone ..." (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 22 page 55).
Le 22 octobre 1813, à 7 heures du matin, le Général de Division Palombini écrit, depuis Conegliano, à S. A. I. le Prince Vice-Roi : "Monseigneur ... J’ai appris que deux cents chevaux du 31e séjournaient à Treviso. J’ai envoyé mon aide de camp Molinari pour leur porter l’ordre de se mettre en marche ce matin pour leur destination. Si les circonstances l’exigeaient, je tirerais parti de leur passage pour pousser une forte reconnaissance jusqu’à Ceneda, en appuyant l’infanterie par un détachement de cavalerie, l’ennemi ayant des hussards sur ce point et les 40 chasseurs qui me restent du 3e italien étant beaucoup trop fatigués pour agir efficacement même contre une force égale à la leur ..." (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 37 page 85).
Le même 22 octobre 1813, le Général de Division Grenier écrit, depuis le Quartier-général à Pordenone, au Général de Brigade Bonnemains : "Je reçois à l’instant la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire en date de ce jour de Codroipo ; la brigade de cavalerie que vous commandez devant suivre le mouvement du corps d’armée sous mes ordres, vous voudrez bien l’établir demain 23 à Pordenone et arriver le 24 à Conegliano où vous rejoindra le 4e de chasseurs.
L’escadron du 31e n’avait pas dépassé Conegliano. Il serait inutile de le faire arriver jusqu’à Pordenone puisqu’il pourrait en séjournant à Conegliano vous attendre …" (Papiers du Général Paul Grenier. XXI. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 3 page 18).
Hippolyte d'Espinchal écrit : "... Le 22, arriva la nouvelle officielle de la défection de la Bavière ; le roi, contraint par les puissances de se joindre à la coalition, déclara cependant que ses troupes ne combattraient point contre son gendre. Mais tous les débouchés devenant libres, le Vice-roi n'avait plus que la ligne de l'Adige qui offrit des moyens de résistance ; il se détermina donc à s'en emparer sur-le-champ, avec d'autant plus de raison que le général Gifflinga, son aide de camp, venait d'être contraint de se replier sur Roveredo, distant de deux marches de Vérone. Cependant le prince, en prenant cette détermination, comptait employer tout l'art de la stratégie qu'il possédait à un si haut degré et n'arriver sur cette ligne d'opérations qu'à un temps déterminé par sa volonté. Il prit en conséquence les mesures les plus efficaces pour combattre l'ennemi aussi souvent qu'il en trouverait l'occasion afin de lui bien prouver qu'une retraite n'était point un revers.
La division Palombini et la brigade du général Dambetti furent renvoyées dans la direction de Bassano, tandis que le général Bonnemain, avec le 31e Chasseurs français et le 4e italien, opérait sur notre extrême gauche avec le général Grenier ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 187).
Le 24 octobre 1813 le Général de Division Palombini écrit, depuis Castel Franco
au Général Grenier : "J’ai reçu votre lettre de ce jour. Je suis entré à Castel Franco à quatre heures du soir. L’ennemi était déjà dans cette commune. Mon avant-garde de cavalerie forte de 40 chevaux (chasseurs et gendarmes compris) a été chargée par 80 hussards, et mise dans la plus complète déroute ; de sorte que ce qui me reste ne signifie plus rien puisqu’il manque beaucoup d’hommes et de chevaux. L’officier qui commandait les gendarmes a été pris avec 16 chasseurs ou gendarmes. Les hussards qui poursuivaient nos cavaliers ont été coupés : ils sont tous égarés ; mais je ne puis en tirer parti car je n’ai personnes pour les faire poursuivre à leur tour.
L’ennemi occupe Bassano en force ; il a des détachements à Citadella ; ses avants postes sont en présence des miens sur la route de Citadella et de Bassano.
Il est déjà fort tard et d’après ces renseignements je juge qu’il ne me convient plus de marcher de nuit sur Bassano ; d’ailleurs, mon général, je ne puis rien faire isolément si l’on ne me donne pas au moins 200 chevaux, car je ne puis ni m’éclairer, ni me garder, ni correspondre avec de l’infanterie, qui d’ailleurs craint beaucoup la cavalerie et qui doit traverser des pays plats contre un ennemi qui a beaucoup de chevaux ; je vous prie donc, mon général, de m’en envoyer quelques-uns si vous voulez que j’agisse. Au reste, mon général, je crois qu’il convient de réunir des forces et marcher sur tout ce qui se trouve campé en arrière de Bassano.
Trois prisonniers croates qu’on me conduit à l’instant, confirment les renseignements que j’avais reçus. Les régiments Jelachitz et Bianchi avec le régiment de hussards Frimont sont à Bassano. Ils ont détaché peu de monde à Citadella.
L’alarme est au comble à Vicence ; on y répand des bruits très inquiétants. On dit que le général Gifflenga a été forcé, que les Allemands descendent par Brescia, et bien d’autres choses que leur trop d’extravagance démentit" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 43 page 97).
Le 25 octobre 1813, le Général de Division Grenier écrit, depuis Spresiano, au Vice-Roi : "Monseigneur, j’ai reçu ce matin à une heure de M. le général Palombini le rapport dont V. A. trouvera ci-joint copie ; elle verra par son contenu que je suis obligé de diriger la 2e division et le 31e de chasseurs sur Bassano ; je leur ferai prendre en conséquence aujourd’hui position entre Postuma et Castelfranco tant pour soutenir la brigade italienne qui y est que pour arriver de bonne heure le 26 sur Bassano que j’attaquerai avec la 2e division, la brigade italienne et la cavalerie qui sera avec le général Bonnemains ..." (Papiers du Général Paul Grenier. XXI. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 8 page 29).
le 26 octobre 1813, le Général de Division Chef de l’état-major général Comte de l’Empire Vignolle, écrit, Du Quartier général à Valvasone, au Général Grenier : "... Le général Mermet a annoncé que le 31e régiment de chasseurs avait plusieurs emplois d’officiers vacants pour le remplacement desquels il doit être envoyé des mémoires de proposition en faveur des militaires de ce corps les plus susceptibles d’avancement ; lorsque ces mémoires me seront parvenus, je m’empresserai de les mettre sous les yeux de Son Altesse Impériale, et les nominations suivront de près" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 54 page 119).
Le 27 octobre 1813, l'Adjudant Boulanger écrit, depuis Bessega (sic - Bessica) au Colonel Desmichels, commandant le 31e Régiment de Chasseurs, à Rossano (?) : "Mon colonel, j’ai l’honneur de vous prévenir que ce matin, voulant m’assurer si les postes ennemis que j’ai chassés hier au soir, avaient repris leurs anciennes positions, je poussai une reconnaissance sur Cassone, ordonnant au brigadier de mon avant-garde de partir au galop et de charger vigoureusement le poste de cavalerie ou d’infanterie qu’il rencontrerait, sans cependant trop s’avancer. Effectivement, il chargea rapidement un petit poste qui était à cheval, et le repoussa sur le grand poste de cavalerie et d’infanterie qui se sauva de suite en désordre. Mais comme ce poste était à l’embranchement de deux routes, et que je ne savais laquelle des deux suivait la majeure partie, je fis former mon peloton et faire halte, tandis que je me portais moi-même sur celle qu’avait suivie mon avant-garde pour m’assurer de ce qui se passait, lorsque je découvris une quinzaine de fantassins à ma gauche qui se sauvaient à toute hâte. Etant séparés de moi par un fossé très large, et s’apercevant que je ne pouvais le passer, ils tirèrent et ma jument fut blessée d’une balle dans le ventre. J’ai pris le cheval du chasseur Cerlet que je vous renvoie, monté sur un cheval du régiment qui a été trouvé ce matin blessé d’un coup de sabre.
Je vous prie, mon colonel, de me renvoyer ce chasseur ou un autre en sa place.
Le 3e régiment d’infanterie italienne vient de passer ici. Le colonel m’a fait appeler et m’a dit que j’appartenais à un bon régiment ; qu’il souhaitait que toute la cavalerie nous ressemble.
J’ai très peu de cartouches, et l’infanterie ne peut m’en céder.
Ps. La ferrure est en très mauvais état ; j’ai déjà fait ferrer 10 chevaux à neuf, mais le maréchal est très cher" (Papiers du général Paul Grenier. VIII. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 236 page 483).
Le 28 Octobre, le Prince Eugène décide de replier son armée derrière la Piave.
Le même 28 octobre 1813, à 3 heures après-midi, le Général Baron Bonnemain écrit, depuis Ramon, au Génral Comte Grenier : "J’étais à Bessega (Bessica) quand vos derniers ordres transmis par M. le chef d’état-major me sont parvenus. J’ai en conséquence placé un escadron à Rosa avec ordre d’envoyer un peloton aux avant-postes du général Schmitz et de garder par Cartiglione les rives de la Brenta. J’ai laissé un autre escadron avec les deux compagnies de voltigeurs à Bessega et je suis venu à Ramon où je m’établis avec le reste du 31e chasseurs, plaçant le détachement du 4e italien à Poggiana.
J’ai trouvé ici M. le général Galimberti avec sa brigade ; il attend M. le général Palombini et me dit qu’il doit passer la nuit dans ce village. Il y est déjà établi. Je crains que M. le chef d’état-major ait commis une erreur, d’autant mieux qu’il n’y a personne à Loria. Je n’ai pourtant pas voulu y retourner, puisque Ramon m’était désigné.
J’ai l’honneur de vous faire conduire, mon général, un prisonnier autrichien qu’un parti que j’ai envoyé, pendant que j’étais à Bessega, sur une maison de campagne de Casoni qui est à droite de Bessega, m’a ramené ; il donne quelques détails assez intéressants.
Je vous prie, mon général, de vouloir bien par la première occasion ou estafette, faire parvenir au quartier-général de Son Altesse Impériale, la lettre ci-jointe pour M. le général Mermet ..." (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 69 page 149).
Les 29, 30 et 31 Octobre, le général Grenier stationne devant Bassano avec la brigade de cavalerie Bonnemains et un bataillon des 7e et 92e de Ligne à Bessica. Le poste de Cassoni est repris aux Autrichiens, puis la ville même de Bassano. Ce n'est qu'une action de retardement, mais le régiment combat avec brio. L'Armée d'Italie continue son lent recul.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Cependant, en apprenant que le général Gifflinga, avec les 3000 hommes qu'il avait, pourrait être forcé dans sa position de Volano par un corps nombreux qu'il avait en face de lui, il rappela la lieutenance Grenier et résolut de chasser les Autrichiens de Bassano afin de les rejeter dans le Tyrol. Cette opération demandait à être exécutée avant l'arrivée des masses du général Hiller et, pour cela, le prince laissa deux divisions en observation sur la Piave tandis qu'il se dirigeait sur Bassano, le 29, avec ce qu'il avait de disponible. Le soir nous arrivâmes à Rossano, bourg assez considérable, où le prince s'établit ; le lendemain, il y eut quelques engagements partiels dans lesquels l'ennemi fut partout repoussé.
Le prince passa en revue les troupes du général Grenier, leur annonçant une affaire pour le lendemain ; lorsqu'il arriva sur le front du 31e Chasseurs, il fit un compliment au colonel Desmichels sur la belle conduite de son régiment et ajouta : « Vous n'avez pas d'officier supérieur, je vais vous en donner un dont vous serez satisfait. » Et, m'appelant près de lui, il me fit reconnaître dans mon grade et me souhaita bonne chance en me serrant la main.
Le reste de la journée se passa en légères escarmouches et en dispositions pour le combat du lendemain. La pluie qui tombait presque continuellement depuis trois jours, ayant un peu cessé dans la matinée du 31, le prince ordonna l'attaque. Les 2e et 3e divisions, ainsi que la cavalerie du général Bonnemain, composée du 31e Chasseurs et 4e italien, marchèrent en avant sur trois colonnes celle de gauche se dirigea par la route de Casoni ; celle de droite, que commandait le Vice-roi en personne, déboucha par la route de Musolente ; celle du centre dut marcher par la route latérale de Bassano à Castel-Franco. La garde royale fut laissée en réserve en avant du village de Poggiano. L'ennemi, en position devant Bassano, avait sa droite à Rezzonico, sa gauche à San-Giacomo, avec une avant-garde à Casa-Negri et ses postes avancés vers Rosa et Casoni.
Rien ne put contenir l'impétuosité des trois colonnes franco-italiennes avant la nuit, les Autrichiens furent culbutés sur tous les points. Ils cherchèrent vainement à se défendre dans Bassano pour couvrir leur retraite ; le 31e Chasseurs, lancé sur eux, traversa la ville en les sabrant et les poursuivant dans le plus grand désordre, les forçant à se jeter, partie dans la vallée de la Brenta, et partie vers Rubbio, sur la route de Asiago.
L'ennemi perdit dans cette journée environ 1000 à 1200 hommes tués, 300 prisonniers et 4 pièces de canon. Le régiment tua seul plus de 400 hommes dans la ville d'où le Vice-roi fit enlever les cadavres en venant s'y établir. Le lendemain de ce brillant combat, les troupes prirent la direction de Vérone, laissant à l'arrière-garde la brigade Bonnemain avec trois bataillons d'infanterie et quatre pièces de canon, ayant l'ordre de détruire tous les ponts derrière nous.
La ville de Bassano, dans laquelle nous couchâmes le 1er et le 2 novembre tandis que l'armée opérait son mouvement, est située sur les bords de la Brenta, au pied du Tyrol, dans une position on ne peut plus agréable.
Notre séjour me permit de faire une prompte connaissance avec les officiers du régiment que le colonel eut l'obligeance de réunir à cet effet en leur offrant un punch. Accueilli de la manière la plus flatteuse par mes nouveaux compagnons d'armes et particulièrement par leur digne chef, je m'aperçus qu'il me serait facile d'obtenir leur confiance et leur affection, avec d'autant plus de raison qu'un escadron du 5e Hussards, fondu dans le 31e Chasseurs à Bassano, avait bien voulu donner de moi des renseignements favorables, ce qui n'avait pas peu contribué à, la bonne réception qui me fut faite.
Le colonel, en m'accueillant avec la franchise et la cordialité la plus affectueuses, ne me laissa point ignorer tout ce que le prince Eugène avait eu l'extrême bonté de lui dire de favorable à mon égard ; aussi m'offrit-il une amitié que j'étais tout disposé à lui rendre. Dès ce jour, s'établit entre nous une liaison qui ne s'est jamais démentie, ainsi qu'on le verra, nos goûts, nos habitudes et nos sympathies étant les mêmes. Le colonel Desmichels, jeune, beau cavalier, d'une tournure agréable, ayant des formes aimables, jouissait d'une brillante réputation militaire ; entré au service à l'âge de 17 ans, ses premières armes se firent on Égypte, dans les Guides de Bonaparte et, par sa belle conduite, il devint chef d'escadron dans les Chasseurs de la Garde impériale, d'où il sortit pour prendre le commandement du 31e Chasseurs nouvellement créé. De ce beau régiment, formé de plusieurs escadrons de cavalerie légère pris dans différents corps, tous anciens soldats, il avait fait une troupe d'élite dont la force, lorsque j'y entrai, était de 1000 chasseurs parfaitement montés ; l'uniforme était de la plus grande élégance et dans la forme des chevau-légers polonais.
En quittant Bassano, dans la nuit du 2, nous fîmes sauter le pont de la Brenta, restâmes en position quelques heures au-delà de la rivière, et nous nous dirigeâmes sur Vicence, détruisant derrière nous un pont sur l'Astico et celui du Bacchiglione, près lequel notre infanterie prit position, tandis que nous allions nous établir à Vicence, grande et belle ville, capitale du Pays vicentin, appartenant, avant nos premières guerres, à la république de Venise, et faisant depuis partie du royaume d'Italie. Elle renferme plusieurs belles églises, des monuments curieux et grand nombre de magnifiques palais, tout en marbre, dans l'un desquels la vieille et respectable comtesse de Thienne me reçut, avec une bienveillance toute particulière pendant les deux jours que je restai sous ce toit hospitalier. La brigade quitta cette ville pour se rendre à Villa-Nova, après avoir détruit les ponts de l'Alpon et des nombreux torrents que nous eûmes à passer. Le jour suivant, nous vînmes nous établir à San-Martino, une demi-lieue en avant de Vérone quartier général du Vice-roi et des administrations de l'armée, ayant nos postes avancés à Vago.
L'armée d'Italie, en prenant position sur l'Adige, se composait de 32000 combattants et de 80 bouches à feu ; sans compter près de 20000 hommes placés dans les différentes places du royaume et l'attente des conscriptions de l'Italie, du Piémont, aussi bien que l'arrivée de nouveaux renforts annoncés de France.
Les Autrichiens, de leur côté, comptaient en face de nous 75000 combattants ; mais la lenteur de leurs mouvements et la timidité de leur attaque donnaient à nos troupes une ardeur dont le Vice-roi profitait avec avantage ; aussi prit il la résolution de garder longtemps cette nouvelle ligne d'opérations et d'y attendre l'arrivée des 30000 Napolitains avec lesquels le roi Murat devait le joindre, dans le but de reprendre le pays que nous avions été contraints d'abandonner et d'en conquérir peut-être d'autres ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 197).
Le 4 Novembre, le Quartier Général est à Vérone et l'Adige constitue désormais le nouveau rempart. La brigade Bonnemains à l'arrière garde détruit les ponts derrière elle.
Hippolyte d'Espinchal raconte : "Le lendemain de notre arrivée devant Vérone, je fus présenter mes hommages au Vice-roi et lui faire part de l'ordre que je venais de recevoir du ministre de la Guerre de me rendre sur-le-champ en Catalogne, pour y prendre provisoirement le commandement du 13e Hussards, alors sans chef. Cette mission me contrariait d'autant plus que j'avais plus de 500 lieues à faire sans qu'il en résultât pour moi aucun avantage ; mais le prince, déjà prévenu de cet ordre, avait écrit au duc de Feltre qu'il me gardait et voulut bien me renouveler l'assurance de ses bonnes dispositions à mon égard.
J'appris plus tard que c'était à la demande du colonel Alphonse de Colbert que j'avais été appelé à commander provisoirement son régiment qui, pendant son absence nécessitée par une grave blessure dont la guérison paraissait devoir être longue, se trouvait sans officier supérieur : il avait voulu me donner cette marque de souvenir de notre liaison d'enfance.
L'armée d'Italie, en prenant la ligne de l'Adige, se trouva considérablement diminuée, dans ce sens qu'il fallut renforcer les garnisons de Venise et Palmanova et qu'elle avait grand nombre de blessés et de maladies produites par l'insalubrité de la saison ; tous ces motifs déterminèrent le Vice-roi à réduire provisoirement ses trois lieutenances à deux ayant pour chefs les généraux Grenier et Verdier, et chacune deux généraux de division et quatre brigades ; quant à la cavalerie, dont le général de division Mermet était le chef, il avait sous ses ordres les brigades Perreymont, Bonnemain et Rambourg ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 202).
Le 6 Novembre, Eugène réorganise son armée affaiblie. La brigade Bonnemains avec les 3 escadrons du 31e Chasseurs à cheval est désormais à l'Avant-garde.
Ce même 6 novembre 1813, à 5 heures du matin, le Général Bonnemain écrit, depuis San Martino, au Général Grenier : "Ce n’est que fort tard que nous avons pu exécuter notre mouvement d’hier, à cause du temps qu’il a fallu pour rompre les ponts. M. le capitaine du génie a dû vous rendre compte hier de ses opérations et de toute la peine que ses sapeurs ont eues.
L’ennemi n’a point paru derrière nous ; il n’avait pas encore non plus paru hier à Illazi.
J’ai placé ici d’après vos ordres mes deux régiments de chasseurs ...
Vous savez, mon général, dans quel état est le 4e italien ; vous savez aussi combien le 31e aurait besoin de s’organiser. Quelques temps de tranquillité leur seraient bien nécessaire et leur donneraient les moyens de continuer la campagne avec grand avantage ; cette position d’ailleurs, qui ne convient qu’à l’infanterie, ne nécessite pas beaucoup de cavalerie. Tous ces motifs m’ont déterminé, mon général, à vous prier de la placer, s’il est possible, de manière à ce qu’ils puissent desseller leurs chevaux et s’occuper de leurs réparations etc. etc.
Je n’ai pas besoin de vous dire, mon général, combien les chevaux et les harnachements ont souffert des pluies continuelles que nous avons eues.
Ps. ... Il y n’y a point de grains ici pour les chevaux. Ce n’est qu’avec beaucoup de peine que nous avons eu cette nuit un peu de viande. Je vous prie de me dire comment nous vivrons, si je dois rester" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 106 page 225).
Eugène prévoit de lancer des contre-offensives le long de l'Adige pour retarder le déploiement de l'ennemi.
Le 10 novembre, tandis qu'un parti de 500 hommes, moitié Autrichiens, moitié Anglais, jeté sur la côte, à l'embouchure de la Piave, par un vaisseau anglais, s'empare du fort de Cortelazzo et de la redoute de Cavalino, près de Venise, une colonne ennemie marche de Villanova sur Caldiero. Le Colonel Desmichels, du 31e de Chasseurs à cheval, reçoit l'ordre de se porter en reconnaissance du côté de Caldiero avec 200 chevaux de son Régiment et un Bataillon d'infanterie. Il échange quelques coups de feu près de Vago avec une reconnaissance autrichienne.
Le 11 Novembre, ayant appris que les Autrichiens ont passé l'Alpone et s'avancent vers Caldiero, Eugène resserre ses forces sur Vérone. Le Vice-Roi décide de chasser les Autrichiens de cette position.
Le 12 novembre, un détachement de 2 Escadrons et de 3 Bataillons, soutenus par 4 bouches à feu, attaquent, à Vago, les avant-postes du général Bonnemains. La grand'garde se défend en s'abritant derrière le canal, ce qui donna le temps à 4 Compagnies du 53e de ligne, appuyées par deux Escadrons et un obusier, de déboucher de Saint-Martin et de repousser la colonne ennemie en lui faisant une vingtaine de prisonniers (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 412).
Dans une lettre datée de Zevio, le 17 novembre 1813, adressée à M. Audéaud, payeur-général de l'Armée d'Italie, Hippolyte d’Espinschal raconte : "Je croyais jusqu'à ce jour, mon cher Théodore, que la présence d'un payeur-général au milieu de ceux dont il doit garnir la bourse, était aussi absolue qu'une armée pour livrer bataille ; aussi n'ai-je pas vu sans étonnement, par la suscription de votre lettre, que vous étiez à Milan. J'espère cependant que votre absence ne sera pas longue et que nous pourrons renouveler bientôt certains passe-temps dont le souvenir est souvent présent à ma mémoire. Je m'empresse aussi de satisfaire au désir que vous témoignez d'avoir des détails sur nos combats qui paraissent occuper beaucoup la capitale du royaume ; mais auparavant, tout en vous remerciant des éloges flatteurs et par trop boursouflés que vous voulez bien m'adresser sur notre affaire de Caldiero, je vous avouerai avec humilité que je ne croyais pas avoir assez fait pour que mon nom fût cité dans la Gazette au milieu de plusieurs autres ; je ne sais à qui je dois cet honneur; mais, ce que je puis affirmer, c'est que, dans ce terrible combat, le régiment s'est en entier couvert de gloire et qu'à lui reviennent tous les éloges, car je n'ai eu d'autre mérite que de guider 500 diables incarnés qui m'eussent planté là s'il m'eût pris la fantaisie de ralentir l'allure de mon cheval. Je vais, du reste, vous faire le récit de cette affaire, en le précédant des circonstances qui l'ont amenée.
L'armée, en arrivant sur l'Adige, fut disposée sur la rive droite du fleuve, de manière à pouvoir, non seulement tenir tête à l'ennemi, mais encore, au moyen de plusieurs têtes de pont sur la rive opposée, prendre l'offensive.
Nous restâmes ainsi pendant cinq jours, assez tranquilles, mais, lorsque le Vice-roi eut connaissance de l'approche des masses autrichiennes, il voulut, avant de prendre une énergique résolution, connaître les forces et les dispositions de l'ennemi et pouvoir lui porter des coups plus certains. En conséquence, une forte reconnaissance fut ordonnée sur plusieurs points de la ligne ; je fus chargé de diriger celle en avant de Vérone, avec 200 hommes du régiment et 6 compagnies du 14e léger, soutenus par le reste du 31e Chasseurs et le 53e de ligne.
Animés par la présence du prince, nous tardâmes peu à voir réaliser le désir que nous avions de rencontrer l'ennemi : deux escadrons de hussards hongrois arrivant sur nous avec la plus grande résolution, nous fûmes au-devant. Bientôt mêlés, combattant corps à corps avec acharnement, mais prenant le dessus par le courage et l'énergie des chasseurs, les hussards tournèrent bride et nous les poursuivîmes le sabre dans les reins avec une telle persistance que nous passâmes sous le feu d'un bataillon autrichien posté dans un verger à gauche de la route, et que nous les suivîmes ainsi jusqu'en vue de Caldiero, où nous fûmes arrêtés par la présence d'une masse d'infanterie et trois décharges à mitraille. Cette poursuite imprudente, qui pouvait nous coûter cher, fut heureusement réparée par l'arrivée du 53e de ligne et le colonel Desmichels qui, en nous appuyant, avait fait mettre bas les armes au bataillon dont nous avions essuyé le feu.
Ce combat, qui, en principe, n'avait d'autre but qu'une reconnaissance, fut un engagement assez meurtrier qui dura trois heures et dans lequel l'ennemi eut 40 hommes tués et 60 prisonniers. Notre infanterie eut 35 tués, 100 blessés, et le régiment perdit 5 chasseurs tués, 27 blessés et un trompette pris. Deux jours après, les Autrichiens, jaloux de prendre leur revanche, vinrent en masse sur nos postes avancés avec l'intention d'enlever le couvent de San-Giacomo placé à notre gauche, sur une petite élévation et défendu par un bataillon du 53e.
La fusillade commença d'abord par être très vive entre l'infanterie, mais le colonel Desmichels, s'apercevant que six escadrons de hussards et uhlans soutenaient cette attaque, disposa aussitôt le régiment pour les repousser.
Plusieurs charges vigoureuses eurent lieu, à la suite desquelles 100 hommes tombèrent entre nos mains et une trentaine furent tués, ayant nous-mêmes à regretter 6 chasseurs et un maréchal des logis dont le corps fut coupé en deux par un boulet. Le lieutenant Charbonnier, commandant les tirailleurs, se fit particulièrement remarquer par son intrépidité deux fois, son peloton perça un escadron, au milieu duquel il tua de sa main un officier et 3 hussards.
Le Vice-roi le fit citer à l'ordre de l'armée, et, le lendemain, en venant visiter nos postes, il lui promit de le présenter pour la croix d'honneur.
Dans la soirée du 14, veille de la fête du prince Eugène, toutes les dispositions d'une attaque furent faites pour le lendemain. Une division d'infanterie et 12 pièces d'artillerie vinrent à nos postes avancés, afin d'être en mesure d'opérer lorsqu'il en serait temps ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 203).
Le 14 novembre 1813, le Général Quesnel reçoit depuis Vérone les instructions suivantes : "Vous trouverez ci-joint mon cher général les dispositions arrêtées pour le mouvement que devra faire la 1ère lieutenance demain 15 novembre … Je donne aussi l’ordre au général Bonnemain de faire partir avec votre 2e brigade les 100 chevaux du 31e régiment qui doivent marcher avec votre division ; une fois en marche vous pourrez leur donner la direction nécessaire pour la plus grosse portion que je crois nécessaire à votre 1ère brigade" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 137 page 287).
Le Général Grenier écrit également, depuis Vérone, le 14 novembre 1813, au Général Bonnemain : "Vous trouverez ci-joint mon cher général les dispositions arrêtées pour le mouvement de demain 15, Son Altesse Impériale a apporté quelques changements dans les heures fixées pour le départ afin de donner le temps à la division Quesnel de manœuvrer sur la droite de l’ennemi ...
Vous ferez partir avec la deuxième brigade de la division Quesnel qui doit coucher à Saint-Martin les 100 chevaux du 31e de chasseurs que vous devez mettre à la disposition de ce général, et ferez suivre en même temps les deux pièces d’artillerie légère que vous avez à Saint-Martin et qui appartiennent à cette division.
Votre brigade sera à cheval à huit heures du matin pour se porter en arrière de Vago à hauteur de la division Marcognet" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 138 page 289).
"Dispositions d’attaque pour le 15 novembre.
La première division aux ordres de M. le général Quesnel se mettra en marche dans l’ordre ci-après : la première brigade partira le 15 novembre à 7 heures du matin pour se diriger par le chemin le plus court de Montorio sur Illasi, soit par Lavagno, soit par Marulise ; elle sera dirigée par M. le général Quesnel. Il sera attaché à cette brigade 100 chevaux du 31e de chasseurs qui la rejoindront sur Lavagno dans la direction qu’indiquera M. le général Quesnel.
La seconde brigade de cette division partira à 7 heures précise du matin pour se rendre à Saint-Martin et suivre de là la route qui conduit à Colognola ; un peloton de 25 chasseurs pris sur l’escadron mis à la disposition du général Quesnel marchera avec cette brigade ...
La brigade de cavalerie aux ordres de M. le général Bonnemain se mettre en mouvement avec la première ligne du général Marcognet et fournira quelques pelotons pour soutenir les tirailleurs de cette division, manœuvrera à sa hauteur est aussitôt que l’ennemi sera forcé dans la position de Caldiero, elle débouchera rapidement au-delà de cette position avec les pelotons de tirailleurs et les compagnies d’élite que M. le général Marcognet aura disposées pour faire tête de colonne ..." (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 141 page 295).
Le 15 novembre, à 10 heures du matin, la Brigade Jeanin replie les postes ennemis jusqu'à la gauche de la porte de Caldiero. Le 53e de ligne, conduit par son brave Colonel Grobon, enlève cette position par une brusque attaque, dépasse le mamelon enlevé situé à la droite de la route, se rabat sur ce mamelon et le prend à revers, contribuant, avec un peloton du 31e de Chasseurs à cheval, à s'emparer du retranchement qui couvre ce point en faisant prisonnier tout ce qui s'y trouve. Pendant ce temps-là les voltigeurs de la colonne du Général Mermet tournent cette position … Caldiero est prise. Le 31e Chasseurs poursuit l'ennemi qui doit se replier derrière l'Alpone. Cette brillante journée coûte à l'ennemi 1,500 tués ou blessés, 900 prisonniers et 2 canons ; et à l'armée du vice-roi 500 soldats. Le Prince Eugène cite particulièrement les Généraux Jeanin et Bonnemains et surtout le Colonel Grobon, du 53e, auquel ce brillant fait d'armes vaut quelques jours plus tard le grade de Général de Brigade ; le Colonel Desmichels, du 31e de Chasseurs, et plusieurs autres officiers de tout grade (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 413).
Après la bataille, le 15 novembre 1813, Eugène écrit, depuis Caldiero, à Clarke : "… Nous avons trouvé l'ennemi occupant les hauteurs de Caldiero, au nombre d'environ 10,000 hommes. JI a été attaqué franchement, et, malgré sa vive résistance, le village d'Ilasi, celui de Colognola et les mamelons de Caldiero ont été successivement emportés aux cris de Vive l'Empereur ! L'ennemi, poursuivi dans la plaine, a été rejeté jusqu'au-delà du torrent de 1'Alpon, et dans le défilé notre artillerie lui a fait beaucoup de mal. Il a eu plus de 1,500 hommes tués ou blessés, et 900 prisonniers sont restés en notre pouvoir. Les généraux et les ·troupes se sont parfaitement conduits. Je dois citer plus particulièrement les 42e, 53e et 102e régiments de ligne, ainsi que le 31e de chasseurs.
En attendant que les rapports des généraux me mettent à même de vous faire connaître les braves qui se sont distingués, je dois nommer le général de brigade Jeanin, le colonel Grobon et le lieutenant Charbonnier, du 31e de chasseurs. Notre perte est modérée comparativement à celle de l'ennemi ; nous n'avons eu qu'environ 500 hommes hors de combat ; malheureusement il s'y trouve au moins 30 officiers, parmi lesquels il y a déjà, à ma connaissance, 6 officiers supérieurs ; mais la journée coûte certainement à l'ennemi de 2,200 à 2,400 hommes" (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 451).
Le 15 novembre 1813 au soir, après la bataille, le Général de Brigade Baron Bonnemain adresse, depuis Caldiero, son Rapport au Lieutenant général Comte Grenier, commandant le 1er Corps : "La brigade de cavalerie que je commande, composée du 31e régiment de chasseurs à cheval et du 4e chasseurs italien, ayant presque toujours agi sous les yeux de votre excellence dans la journée mémorable du 15 ce mois, je ne crois pas devoir vous donner aucuns détails. Je me bornerai à rappeler à Votre Excellence qu’au moment où mes pelotons de tirailleurs, de concert avec les voltigeurs de la division d’infanterie, s’engagèrent près de Caldiero, je partais à gauche et parvins, malgré les difficultés du terrain, et le feu de l’ennemi, à placer la batterie d’artillerie légère du capitaine Faure en la faisant soutenir par mes escadrons, à demie portée de fusil des lignes ennemies qui occupaient les hauteurs entre Colognola et la grande route, que cette artillerie y servit si utilement et fit tant de mal à l’ennemi qu’il ne put tenir ses positions, ce qui facilita le mouvement de nos colonnes de gauche sur Colognola et permit de déboucher par le grand chemin de Villanova.
Vous avez vu, mon général, avec quelle intrépidité ce dernier mouvement fut exécuté par toutes les troupes ; je crois cependant que celle des 31e chasseurs et 4e italien se firent remarquer.
Pendant que je me portais avec ma colonne sur le grand chemin, un peloton du 31e régiment de chasseurs, commandé par M. Charbonnier, monta de front dans les retranchements ennemis et deux autres peloton du même régiment, commandés par le lieutenant Couget les tournèrent. Ces mouvements hardis étonnèrent l’ennemi et produisirent le plus beau résultat.
Je continuai ensuite la marche vers le pont de Villanova, chassant l’ennemi de toutes les positions qu’il voulut prendre jusque dans les ouvrages qu’il avait établi sur l’Alpon. Il s’engagea alors une canonnade des plus vives dans laquelle la batterie du capitaine Faure rendit de grands services, comme elle l’avait fait toute la journée. Une autre batterie que Votre Excellence m’envoya et que je déplaçais à gauche dans la direction de Soave produisit aussi le meilleur effet. Ma brigade qui éclairait et protégeait ces batteries reçut pendant plusieurs heures la canonnade la plus vive de la part de l’ennemi avec le sang-froid et le calme qui ferait honneur à de vieux soldats. Je passais devant le 4e italien au moment où un boulet emporta la cuisse d’un chasseur de ce régiment. Tous crièrent Vive l’empereur, Vive le roi, avec un enthousiasme admirable.
Je ne puis assez faire l’éloge des corps qui ont combattu sous mes ordres dans cette journée ; ils ont montré ce qu’on peut attendre de troupes aussi dévouées.
Je citerai particulièrement la grande bravoure et l’élan du colonel Desmichels, commandant le 31e chasseurs à cheval, et du chef d’escadron Duboy, commandant le 4e italien. Ces deux officiers supérieurs, qui se sont faits remarquer dans toutes les occasions de cette campagne, ont les droits les plus signalé aux bontés de l’Empereur.
Mm. Martin capitaine, Autric capitaine, Charbonnier capitaine, Couget lieutenant, Audibert sous-lieutenant, Schreiner sous-lieutenant, Boulanger sous-lieutenant, Rabert maréchal des logis, Labarthe maréchal des logis, Boutard brigadier, Richard brigadier, Guet chasseur, tous du 31e régiment de chasseurs à cheval ...
Tous ces militaires qui se sont conduits avec la plus grande bravoure ont mérité des récompenses. Je vous prie très instamment, mon général, de les recommander à la haute bienveillance de Son Altesse Impériale, ainsi que mes aides de camp, MM. Grombaud de Seréville et Olivier, qui aux attaques de Cassoni, de Vago, à Bassano et enfin à Caldiero, se sont conduits avec une rare intrépidité.
M. Frion, chirurgien major du 31e chasseurs à cheval, a rendu dans toutes les affaires les plus grands services ; je l’ai vu en première ligne donner des secours aux militaires de tous les corps" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 139 page 291).
Dans sa lettre datée de Zevio, le 17 novembre 1813, adressée à M. Audéaud, payeur-général de l'Armée d'Italie, Hippolyte d’Espinschal poursuit : "Le 15, dès la pointe du jour, la division Quesnel fut dirigée par notre gauche pour tourner l'ennemi, tandis que le général Mermet, avec une brigade d'infanterie, le 1er Hussards et les dragons italiens de la Reine, devait exécuter le môme mouvement à droite, sur Villa-Bella.
Sur les dix heures du matin, le prince, voyant le général Quesnel opérer son mouvement et convaincu qu'il en était de même sur la droite, se mita la tête du centre, composé de la division Marcognet, avec 12 bouches à feu et de la brigade de cavalerie du général Bonnemain, et déboucha de Vago sur la grande route, pour se porter de front sur la position de Caldiero, ayant pour réserve la brigade Rouyer, et la garde royale, dont deux bataillons restèrent à Vérone.
Lorsque nous arrivâmes en vue de la position ennemie, nous fûmes foudroyés par son artillerie, sans pour cela arrêter la marche du général Jeanin, à la tête du 53e de ligne, qui bientôt la dépassa, tandis que le 1er régiment étranger (La Tour d'Auvergne) recevait l'ordre de gravir le mamelon de Caldiero et de l'enlever a la baïonnette. Ce mamelon, célèbre par plusieurs combats livrés dans les premières guerres d'Italie, devait encore être témoin de la valeur française. Situé au milieu d'une plaine qu'il dominait d'une soixantaine de pieds, les abords en étaient difficiles par la pente rapide du terrain, au sommet duquel se trouvait un plateau assez large, hérissé de retranchements et de canons, défendu par le régiment hongrois Jellachich, réputé un des plus braves de l'armée autrichienne.
Le Vice-roi, sentant que le succès de cette journée dépendait de la prise de ces retranchements et s'apercevant que le 1er étranger, repoussé deux fois avec perte, ne parviendrait pas à les enlever, eut une de ces inspirations familières à Napoléon et qui ne sont point étrangères a son digne élève ; il fit aussitôt rabattre le 53e au pied du mamelon qu'il venait de dépasser en lui ordonnant de tourner tout à fait la position et de la gravir. Puis, s'approchant du régiment : « Allons, braves chasseurs du 31e, dit-il en ôtant son chapeau et nous montrant les redoutes, à vous l'honneur des retranchements de Caldiero !» Des cris de « Vive l'Empereur ! » répondent à cet appel, et le colonel Desmichels tourne la montagne par la gauche avec la moitié du régiment, tandis que j'exécute le même mouvement a droite avec l'autre moitié ; et, gravissant au galop suivis par le brave 53e, nous franchissons les retranchements comme une avalanche au milieu d'un nuage de poussière, des décharges de l'infanterie, de l'effroyable vacarme de la mitraille portant la mort dans nos rangs. Ce fut pendant un instant un horrible carnage ; le régiment Jellachich, attaqué de tous côtés, résistant avec le plus grand courage, fut presque entièrement anéanti ; le reste mit bas les armes.
Mais, à ce terrible tableau de destruction vient se joindre un nouvel épisode : les soldats du 53e, tournant les pièces dont nous venions de nous emparer du côté des masses autrichiennes en bataille dans la plaine, portèrent le désordre dans leurs rangs en les forçant à se mettre en retraite avec précipitation. Le Vice-roi, s'apercevant de ce mouvement rétrograde, eut un moment l'espoir de faire mettre bas les armes aux 14000 hommes que nous avions en présence, dans la conviction que le général Mermet, en vertu des ordres qu'il avait reçus, devait leur couper la retraite ; il ordonna aussitôt au 31e Chasseurs de quitter le plateau dont il venait de s'emparer pour se mettre à la suite de l'ennemi. Ce fut alors que nous pûmes apprécier le mérite de notre action, l'infanterie ayant été obligée de nous ouvrir un passage pour sortir des redoutes, d'où notre arrivée dans la plaine ne put se faire que lentement par la rapidité de la côte que nous avions à descendre. Alors le général Bonnemain, se mettant à la tête de sa brigade avec deux batteries d'artillerie légère, nous suivîmes l'ennemi sur la route de Villa-Nova, le serrant de près et le chargeant chaque fois qu'il voulait prendre position. Après avoir dépassé cet endroit, notre artillerie engagea une vive canonnade avec les batteries du général Stutterheim, placées sur la digue de gauche de l'Alpon. Ce fut alors que le Vice-roi acquit la triste certitude que le général Mermet n'avait point opéré son mouvement, et que l'ennemi lui échappait. Cette fâcheuse circonstance lui fut confirmée par un officier d'état-major qui lui apprit que cette division, arrêtée à chaque pas par les mauvais chemins et les inondations qui couvraient le terrain qu'elle avait à parcourir, ne put arriver que fort tard à Castelletto, ce qui l'empêcha de prendre part à l'action où sa présence eut été si décisive.
Enfin, la nuit vient terminer ce brillant combat qui coûta à l'ennemi plus de 4000 hommes, dont 1500 restèrent sur le terrain. Le feld-maréchal Merville y fut blessé, le lieutenant-colonel des uhlans de l'archiduc Charles, comte de Balfi, fut tué par un brigadier de la compagnie d'élite du régiment, blessé lui-même de deux coups de sabre par le colonel qui ne voulut jamais se rendre.
Le Vice-roi, en passant dans les rangs du régiment, lui fit compliment sur sa conduite, et promit 12 croix de la Légion d'honneur, au choix du colonel ; il nous envoya ensuite passer la nuit dans le village de Caldiero, en ajoutant avec grâce qu'il nous appartenait par droit de conquête.
L'armée proclama unanimement que le succès de cette journée appartenait en grande partie au 53e de ligne et au 31e Chasseurs, ce que le prince constata par un ordre du jour à l'armée. Nous le payâmes au reste assez cher, car nous eûmes deux officiers et 27 chasseurs tués et 35 blessés en enlevant les retranchements et, par une singulière coïncidence, le cheval du colonel ainsi, que le mien, furent blessés de deux coups de baïonnette. Dans la canonnade de la soirée, nous perdîmes seulement un homme et trois chevaux. La tête d'un jeune officier d'artillerie, encore coincée de son colback, vint tomber dans nos rangs et nous vîmes le cheval galoper dans la plaine, traînant le cadavre dont un pied était pris dans l'étrier.
Le lendemain, dès la pointe du jour, le régiment se porta en avant de l'infanterie, à une demi-lieue de Villa-Bella, où les Autrichiens en position ne pensèrent nullement à nous inquiéter. La journée se passa à relever les blessés, enterrer les morts et détruire les ouvrages de l'ennemi. Dans l'après-midi, le Vice-roi vint visiter nos postes, et fit reconnaître comme capitaine le brave Charbonnier qui, non content de l'action qu'il avait faite trois jours avant, avait franchi le premier les retranchements ; avec son peloton d'avant-garde. Le soir, le 1er Hussards vint nous relever aux avant-postes, et nous pûmes nous établir aux villages de Vago et la Rotta. Le Vice-roi, entrant à Vérone, y trouva son épouse, arrivée de Milan la veille pour lui souhaiter sa fête que l'armée venait de célébrer en lui offrant une victoire pour bouquet.
Tels sont, mon cher Théodore, les faits qui se sont passés depuis votre départ, sur lesquels je vous donne, avec une petite dose d'amour-propre, des détails sur ce qui concerne plus particulièrement le brave régiment dont j'ai l'honneur d'être le second chef, laissant au Bulletin de l’Armée le récit plus circonstancié de cette belle journée qui ajoute une nouvelle palme à toutes celles dont notre prince est paré ; mais sa modestie lui fera refuser tout ce qu'on devrait en dire, réservant les éloges pour ceux qui savent si bien le seconder. Il parait du reste que le Vice-roi, en livrant ce combat, avait pour intention de modérer l'ardeur des Autrichiens dans le désir qu'ils avaient de s'emparer de Vérone et de bien les convaincre qu'il n'abandonnerait l'Adige qu'à la dernière extrémité. Notre digne chef sait trop bien que la manière la plus avantageuse de faire la guerre défensive est de harceler l'ennemi en prenant continuellement l'initiative de l'attaque, et quelle que soit la supériorité des forces de l'adversaire qu'on veut combattre, on est sûr, en l'attaquant à chaque instant et sur différents points, de suspendre ses mouvements offensifs et de le forcer à changer de projets ou à rester dans une incertitude toujours désavantageuse. Ce système, qui me paraît être adopté par le prince d'après tout ce que j'ai remarqué depuis que je suis à l'armée d'Italie, lui réussit trop bien pour qu'il ne continue pas de le suivre; aussi faut-il nous attendre encore à de nouveaux combats.
J'espère que cette lettre précédera votre départ de quelques jours seulement, Diernstein m'ayant annoncé votre retour avec force projectiles monnayés dont nous recevrons les décharges avec infiniment plus de plaisir que la mitraille de l'ennemi cependant, comme je veux utiliser votre absence et que, me rendre un service c'est vous procurer une jouissance, je vous prie de faire parvenir d'une manière sûre le paquet ci-joint, que vous couvrirez de votre griffe administrative, sans crainte de vous compromettre lorsque vous saurez que c'est tout simplement mon journal militaire que j'ai l'habitude d'envoyer à mon père lorsque j'en trouve une occasion de sécurité. Je compte donc sur votre obligeance à cet égard ; puis, pour mettre tout à fait votre complaisance à l'épreuve, veuillez passer chez Ursule Minière, la plus gracieuse des ballerines, dont le cœur, aussi flexible que ses petits pieds, a bien voulu s'émouvoir en ma faveur et à qui j'ai promis de donner de mes nouvelles si un indiscret boulet n'y mettait obstacle.
Sur ce, cher Théodore, bonne santé et surtout prompt retour, attendant impatiemment cet instant pour vous serrer la main, avec ma franche et cordiale amitié" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 203).
Dans son rapport du 18 novembre 1813, adressé au Lieutenant-général Grenier, depuis Veronette, le Général de Division Baron Quesnel écrit: "Rapport des mouvements et des opérations faites par la 1ère division dans la journée du 15 novembre
Armée d’Observation d’Italie, 1ère Lieutenance, 1ère Division
1ère brigade commandée provisoirement par M. le colonel Tissot du 92e régiment
La 1ère brigade composée de deux bataillons de la 30e demi-brigade (1er léger et 10e de ligne), des trois bataillons du 92e régiment de ligne, et de 60 chasseurs à cheval du 31e régiment, partit de Lavagno où j’avais rejoint cette brigade, le 15 à 7 heures du matin pour marcher sur Illasi que l’ennemi occupait avec à peu près 250 hommes. Les deux bataillons de la 30e demi-brigade avait ordre de tourner le village d’Illasi et le château, un bataillon par la droite et l’autre par la gauche, tandis que l’avant-garde de ces deux bataillons et des chasseurs à cheval soutenus par le 92e attaquèrent de front le village ; cette opération se fit avec autant d’impétuosité que de succès, dans un instant on fut maitre du village et bientôt après des hauteurs d’Illasi. Le 1er bataillon d’infanterie légère fit une centaine de prisonniers, dont trois officiers du régiment de Chatlair, le détachement de chasseurs en sabra quelques-uns et une compagnie du 2e bataillon du 92e en prit 10. L’ennemi ne se défendit point au château d’Illasi, il se retira fort en désordre sur Colognola, suivi avec vigueur par les tirailleurs du 1er légers. La brigade étant réunie sur les hauteurs d’Illasi, je m’aperçus qu’une forte canonnade et fusillade était engagée à Colognola entre l’ennemi est la 2e brigade la division et que ce premier défendait avec opiniâtreté cette forte position. Je crus alors qu’il était important de faire attaquer le village de Colognola par-derrière pour l’en chasser, afin de faciliter par ce mouvement les opérations de la seconde brigade. Le 1er léger et le 10e reçurent ordre d’attaquer l’ennemi qui se trouvait à la droite de Colognola et furent suivis par le 92e régiment ; la marche se fit par la crète de la montagne et bientôt l’ennemi qui s’aperçut du mouvement de la 1ère brigade commença à s’ébranler, ce qui facilita à la seconde la prise des positions de Colognola.
La 1ère brigade arriva à temps pour faire des prisonniers et les tirailleurs de l’une et l’autre brigade poursuivirent vivement l’ennemi, jusqu’au-delà du mont Bisson (dans ce moment je reçus un petit billet de M. le lieutenant général comte Grenier pour faire attaquer Colognola par deux bataillons, mais alors le mouvement de la brigade était totalement prononcé). Le 1er bataillon du 92e régiment donna dans une embuscade de l’ennemi, qui ne se montra pour faire son feu, que lorsque l’on était à brûle pourpoint, les grenadiers de ce bataillon se précipitèrent sur lui, tuèrent 14 hommes et mirent le reste en fuite. Le capitaine Hérisson se distingua par l’exemple et l’impulsion qu’il donna à ses grenadiers. Toutes les positions de Colognola et celles en arrière étant prises, la 1ère brigade descendit vers le mont Bisson où elle se réunit ; une heure après, elle se remit en mouvement pour aller occuper les auteurs de Soave ; elle avait peu de distance à parcourir, mais les routes été si mauvaises qu’on resta près de 7 heures en marche, avant que la queue de la colonne fût arrivée à Soave. Les soldats étaient exténués de fatigue, beaucoup étaient nu pied, quelques-uns avaient perdu leurs shakos et même leurs armes dans des fossés profonds et plein d’eau, dans lesquels ils étaient tombés. L’ennemi couronnait en force toutes les hauteurs en arrière de Soave et était maître du château. Je jugeai qu’il était impossible de l’attaquer dans ces positions pendant la nuit et je fis entrer en ville la 1ère brigade, elle fut placée dans la rue qui traverse la ville et j’ordonnai toutes les mesures de précaution que commandait la prudence afin d’être en mesure contre toute entreprise de la part de l’ennemi.
Le 16 à 5 heures du matin, la brigade se mit en marche ayant deux compagnies du 3e bataillon du 92e en arrière garde, elle se dirigea d’abord vers la grande route qui conduit à Villanova, elle prit ensuite une traverse à sa droite qui conduisait au mont Bisson ; les chemins étaient très mauvais, ce qui retarda considérablement le mouvement. L’ennemi alors descendit du château, et l’arrière garde fut attaquée, le capitaine Gaudin qui la commandait, tomba mort, ainsi qu’un caporal de voltigeurs. Une section de voltigeurs chargea l’ennemi à la baïonnette, lui tua quelques hommes et le fit rentrer en ville, d’où il ne ressortit plus. Nous arrivâmes au mont Bisson à 8 heures du matin, le 1er léger et le 10e de ligne prirent position, et trois bataillons du 92e se portèrent au château et sur les hauteurs de Illasi.
Le 17 la brigade s’est mise en marche pour rentrer à Veronette.
2e brigade aux ordres de M. le général de brigade baron Soulier.
La 2e brigade partit de Saint-Martin le 15 à 7 heures du matin, composée de 2 bataillons du 42e, trois du 84e, 25 chasseurs à cheval du 31e, et trois pièces d’artillerie à cheval de la batterie de M. le capitaine Faure. Cette brigade arriva à 8 heures aux avant-postes de gauche de la division de M. le général Marcognet. M. le général Soulier fit des dispositions pour l’attaque de la position du village de Colognola ; à 9 heures sa colonne fut entièrement réunie et voyant la première brigade arriver sur Illasi il commença son opération. Cinq compagnies de voltigeurs des 42e et 84e de ligne attaquèrent cette position par la droite et par la gauche et furent soutenues et renforcées par les deux bataillons du 42e de ligne, le 84e était en réserve en colonne serrée par division et à cheval sur la route. Au moment où l’affaire était sérieusement engagée, M. le général Soulier reçu l’ordre de ralentir l’attaque, les ordres furent donnés en conséquence. L’ennemi s’apercevant de ce mouvement crut sans doute que c’était l’effet de la crainte que sa forte position inspirait, il s’élança par la gauche de ses retranchements et positions, alors M. le général Soulier crut devoir donner suite à l’attaque, il repoussa cet élan avec une compagnie du 42e et deux du 84e, il fit tirer quelques coups de canon et d’obusiers sur divers retranchements, d’où partaient des feux qui lui faisaient beaucoup de mal, l’ennemi s’élança de nouveaux par sa droite, pour tomber sur l’artillerie, le 1er bataillon du 84e le culbuta, lui fit environ 20 prisonniers, lui tua et blessa beaucoup de monde.
Ce mouvement et le feu vif de l’artillerie ainsi que le mouvement que faisait la première brigade qui arrivait en arrière de Colognola, avait ébranlé l’opiniâtreté de l’ennemi. M. le général Soulier jugea ce moment favorable pour attaquer avec vigueur et enlever la position, il ordonna au 1er bataillon du 84e de poursuivre les avantages et les fit soutenir par le second bataillon, il dirigea sur la droite de la position le 42e au pas de charge ; ce mouvement exécuté avec la plus grande bravoure et le plus parfait ensemble, joint au feu de la 1ère brigade qui s’était engagée déjà sur les positions à la droite et en arrière de Colognola, obligea l’ennemi à la retraite sur ses retranchements supérieurs, où il fut suivi de très près et obligé de les abandonner. Pendant cette opération, une colonne de 400 hommes ennemie intermédiaire entre Caldiero et Colognola, voyant cette dernière position au moment d’être enlevée, se portait à la course à son secours ; mais le troisième bataillon du 84e fut dirigé à sa rencontre et une pièce de six placée par les ordres de M. le général Soulier à deux tiers de portée ralentit ce mouvement et donna le temps à ce troisième bataillon d’arriver et força cette colonne à se jeter en désordre dans la vallée qui conduit au mont Bisson ; enfin à midi et demi on fut en possession entière de la position de Colognola.
L’ennemi y a perdu beaucoup de monde en tués et blessés, plusieurs maisons en étaient remplies. Le nombre des prisonniers fait par la seconde brigade s’élève à 120 hommes.
M. le général Soulier se loue beaucoup de la bonne conduite des deux régiments qui composent sa brigade ; ils méritent les plus grands éloges, leurs chefs aussi s’y sont particulièrement distingués, l’artillerie a très bien dirigé son feu et son tir a été des plus juste.
M. Labordes capitaine aide de camp de M. le général Soulier s’est distingué en chargeant l’ennemi à la tête des voltigeurs, il a vu son cheval tué sous lui ; cet officier a déployé dans toutes circonstances et particulièrement dans cette affaire une activité, un zèle et une bravoure exemplaires.
La seconde brigade ayant été remplacée dans les positions de Colognola par deux bataillons de la division Rouyer, elle a quitté ses positions à deux heures après midi. Arrivée en arrière des troupes qui combattaient à Villanova, elle reçut ordre de M. le lieutenant général comte Grenier de se porter sur Soave et entrer en communication avec la 1ère brigade. A 7 heures et demie du soir M. le général Soulier est arrivé à la ferme San Martino près Soave, où il a pris position, en me rendant compte de son arrivée.
Le 16, la 2e brigade est venue prendre position à Colognola, le 17 elle est rentrée à Veronette" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 152 page 317).
10 croix de la Légion d'Honneur seront gagnées par le Régiment.
Le 16 novembre 1813, le Général de Division chef d’état-major général Comte de l’Empire Vignolle adresse, depuis le Quartier général à Caldiero, au Général Grenier, les "Dispositions arrêtées par Son Altesse Impériale le Prince Vice-Roi.
Le but de Son Altesse Impériale le Prince Vice-Roi étant rempli, c'est-à-dire de chasser l’ennemi de la position de Caldiero et le rejeter au-delà de l’Alpone, les divisions qui ont été employées à cette expédition, reprendront leurs anciennes positions, sauf les changements nécessités par les circonstances...
A six heures précises du matin, demain 17, la cavalerie se mettra en mouvement pour dépasser Vérone et prendre ses positions, la brigade de M. le général Bonnemain à Zevio et Saint-Jean Lopato, les dragons de la reine à Casa Davide ..." (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 147 page 307).
Dès le 19, l'ennemi réoccupe ses emplacements.
"Ronco le 19 novembre 1813, à 6 heures du soir.
Au Lieutenant général Comte Grenier à Vérone, commandant le corps de droite.
Le 31e de chasseurs à cheval a très certainement ses postes (?) dans cette direction maintenant.
Le général Mermet" (Papiers du Général Paul Grenier. IX. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 159 page 331 - Sans doute écrit le 19 novembre 1813)
Des ateliers sont établis à Vérone pour rééquiper les hommes qui portent alors une tenue "à la polonaise" en même temps que doit être formé un escadron de lanciers. Les mémoires d'Hippolyte d'Espinchal, nommé récemment Major au Régiment nous apprennent : "... Les combats successifs et meurtriers auxquels le régiment venait de prendre part ayant mis un peu de confusion dans nos rangs, le Vice-roi pensa que nous avions besoin de repos et nous envoya en cantonnements sur la rive droite de l'Adige, à quelques lieues de Vérone, où, peu de jours après, nous reçûmes de France un renfort de 125 chasseurs qui devait être suivi bientôt d'un autre plus considérable et réparer nos désastres. Nous eûmes aussi la visite du général Bonnemain, envoyé par le Vice-roi pour faire reconnaître, à la satisfaction générale du régiment, le brave capitaine Jouanet, de la compagnie d'élite, comme chef d'escadron, et organiser un escadron de lanciers choisi parmi les plus braves et meilleurs sujets du régiment. Cette émulation, sans être nécessaire, produisit cependant un grand encouragement et servit de véhicule aux chasseurs qui, outre une haute paye, porteraient avec orgueil un galon de laine sur la manche.
Le commandement en fut donné au capitaine Couget, brave et intrépide militaire, qui ne tarda point à en faire une espèce de phalange infernale. Dans la soirée du 18, une nouvelle attaque eut lieu en avant de Vérone, dans laquelle les Autrichiens furent repoussés sur tous les points ; cependant, le prince croyant urgent de resserrer la ligne de l'Adige, fit passer l'armée sur la rive droite, gardant simplement quelques points pour s'assurer une facilité de passage en cas d'attaque. Trois jours après, la division Marcognet marcha sur Isola-della-Scala, afin de rejeter les Autrichiens qui avaient passé l'Adige à Lavagno et surpris les avant-postes du 19e Chasseurs ; cette opération s'exécuta avec succès et moyennant une perte de 200 hommes par l'ennemi ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 211).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Dans la soirée du 24, le prince, prévenu que les Autrichiens avaient opéré un débarquement assez considérable sur le bas Adige, partit le lendemain, de grand matin, accompagné du général Mermet avec deux bataillons du 53e de ligne, et les quatre compagnies d'élite du 1er Hussards, 31e Chasseurs, dragons Napoléon, dragons de la Reine italien, sous mes ordres.
L'ennemi, que nous trouvâmes fortement retranché au village de Giacciano, fut attaqué avec la plus grande vivacité ; il opposa une résistance d'autant plus meurtrière qu'étant abrité par les maisons, nous recevions son feu sans pouvoir résister avec avantage. Déjà le prince venait d'être frappé d'une balle à la main, le cheval du général tué sous lui, un officier et quatre hussards blessés mortellement et plusieurs voltigeurs atteints, lorsque les grenadiers, franchissant les barricades, les déblayèrent et nous ouvrirent un passage dans lequel nous entrâmes pêle-mêle.
Alors, nos baïonnettes et nos sabres firent pendant quelques instants un véritable carnage : 160 hommes restèrent sur la place et les 300 qui échappèrent au même sort ne le durent qu'à la ferme volonté du prince qui ordonna de cesser cette horrible boucherie. Il partit une heure après pour retourner à Vérone avec la cavalerie et les prisonniers, laissant les deux bataillons en observation, avec l'ordre de détruire une vingtaine de barques, les retranchements, et de revenir le lendemain. La blessure du Vice-roi n'offrait aucun danger, la balle, en coupant la petite rêne de la bride de son cheval, lui avait percé le bas des chairs de la main gauche, d'où s'était échappé beaucoup de sang que l'on parvint facilement à arrêter, et le chirurgien-major du 53e, qui l'avait pansé, nous rassura tout à fait en nous affirmant qu'il n'y paraitrait plus dans quelques jours.
Tandis que nous obtenions journellement des succès sur l'Adige, le général Pino, avec sa division italienne, venait aussi de livrer un brillant combat près Ferrare. Cependant, malgré tous ces avantages partiels, le Vice-roi ne pouvait s'illusionner sur sa position et devait s'attendre à voir fondre sur lui, d'un moment à l'autre, toutes les forces autrichiennes lorsque Venise et Trieste seraient tombés en leur pouvoir. Un décret impérial venait, à la vérité, d'augmenter l'armée de 15000 hommes, mais il fallait les prendre dans la conscription ; le prince avait aussi reçu l'avis de la prochaine arrivée d'un corps de troupes napolitaines qui devait d'abord se rendre dans la haute Italie : sa force était de 32 bataillons, 20 escadrons, et 40 bouches à feu. Il était certain que, ces renforts arrivant à propos, les Autrichiens eussent été rejetés en Carinthie, et que l'armée d'Italie marchait sur Vienne ; mais, au lieu de cela, la marche des Napolitains était lente et déjà Murat méditait une trahison que jamais la loyauté du Vice-roi n'eût pu soupçonner et à laquelle il n'a cru que le jour où il a fallu combattre ceux qu'il croyait nos alliés.
La ligne étendue que nous occupions sur l'Adige était garnie de 35000 combattants en face de 75000 et il fallait, pour y tenir avec tant de succès, tout le génie de prince et le dévouement des troupes dont le courage était admirable ; mais, malgré ces considérations, il était impossible de ne pas pressentir l'abandon de l'Adige, soumis toutefois aux événements de la Grande Armée commandée par l'Empereur et à la conduite du roi de Naples ..." (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 212).
Le 31e Chasseurs reçoit, dans le même temps, des renforts de France pour être porté à plus de 1000 cavaliers et mettre au complet les 3 escadrons.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le 28, il arriva au régiment un nouveau détachement de 216 chasseurs venant de France, ce qui porta le corps à plus de 1000 combattants, non compris les malades et les blessés rejoignant à mesure de leur guérison. Ce môme jour, le Vice-roi fit annoncer à l'ordre de l'armée la prochaine arrivée de deux divisions d'infanterie qui s'étaient organisées à Turin et Alexandrie, voulant que les Autrichiens ne pussent ignorer cette nouvelle.
Le lendemain, je reçus du prince l'autorisation de m'établir à Vérone, pour y faire confectionner des équipements d'hommes et de chevaux et y surveiller les nombreux ateliers du régiment établis pour réparer nos avaries. J'obtins à cet effet un fort beau logement dans le palais du comte Marco Marioni, avec la faculté d'y venir toutes les fois que cela serait nécessaire, ce qui me fut d'autant plus agréable que, le 31e subdivisé dans plusieurs cantonnements où il prenait du repos, je pouvais me livrer au plaisir d'habiter une des plus belles villes d'Italie, ayant une population de 50000 habitants, sympathisant avec les Français de cœur et d'affection, mais ce que j'éprouvai encore de plus heureux, ce fut de trouver dans mon hôte une ancienne connaissance de mon père lorsqu'il fit le voyage d'Italie en 1790.
Ma présence rappelant à ce beau et aimable vieillard une des époques de sa jeunesse, il me reçut avec la plus touchante cordialité et me présenta à sa nombreuse famille au nombre desquels se trouvait la comtesse Cornaro, le type des beautés vénitiennes, à la taille riche et svelte, aux yeux noirs remplis d'expression, et aux manières libres d'une femme pour qui l'amour était le besoin et l'occupation de la vie.
Ce fut à cette même époque que se termina l'affaire de l'officier de chasseurs italien qui avait si légèrement abandonné son poste sur le Tagliamento. Interrogé par le conseil de guerre, je tâchai de paralyser la sévérité des lois, en palliant une faute, bien grave sans doute, mais dont les résultats eussent été trop affreux pour n'en pas sentir toutes les conséquences. Aussi répondis-je au président m'être rappelé avoir donné l'ordre au détachement de se retirer dans la direction de Cornegliano, si une force majeure l'empêchait de me rejoindre ; cette déclaration, dont les juges ne furent nullement dupes, rendit pourtant la liberté et l'honneur à ce jeune officier qui vint le lendemain m'en témoigner toute sa reconnaissance" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 214).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le 2 décembre, l'armée célébra l'anniversaire du couronnement de l'Empereur et de la bataille d'Austerlitz ; nous apprîmes en même temps que le général Deconchy venait d'avoir une belle affaire à Occhio-Bello, sur le bas Adige, dans laquelle il avait tué à l'ennemi 400 hommes, fait 1200 prisonniers, et l'avait contraint de repasser l'Adige. Le Vice-roi fit mettre à l'ordre de l'armée ce brillant combat, et annonça en même temps, pour le 12 de ce mois, l'arrivée à Bologne d'une division napolitaine, précédant de peu la marche des autres. Cette nouvelle, qui fut accueillie avec joie, ne devait pas tarder à se changer en une infâme trahison.
Cette guerre, dans laquelle nous avions à lutter contre tant d'obstacles, n'empêchait pas que nous ne nous livrions à la joie et au plaisir toutes les fois que l'occasion s'en présentait et, sous ce rapport, Vérone, où le prince avait capté toutes les sympathies, ne laissait rien à désirer, surtout dans la haute société et près de ces belles Italiennes près de qui nous trouvions des affections et des rapports intimes, qui nous faisaient rechercher avec empressement toutes les occasions de nous approcher d'elles, sans en vouloir calculer la durée" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 215).
Le 12 décembre 1813, Hippolyte d'Espinschal écrit, depuis Vérone, à son père : "La lettre que je reçois de vous en ce moment, mon père, me détermine à vous répondre sur-le-champ, bien que je vous aie écrit il y a peu de jours par une occasion qui me donne l'assurance que vous aurez reçu de mes nouvelles lorsque celle-ci la suivra de près ; mais le plaisir de m'entretenir avec vous me délasse trop agréablement de mes fatigues pour m'en priver, surtout en pensant à l'accueil réservé à mes missives, puisqu'elles sont pour vous l'assurance que je suis toujours plein de vie, de gaîté et d'insouciance, trois choses assez nécessaires dans notre métier ; mais, lorsqu'on est créé et mis au monde pour le faire, le mieux est d'en subir les conséquences sans arrière-pensée et de s'en rapporter à la destinée qui fait aussi bien mourir sur un lit de plumes que sur un champ de bataille car une pleurésie s'attrape avec autant de facilité qu'une balle; la différence n'existe donc que dans la manière dont on doit quitter ce monde. Rassurez-vous donc sur ma position, elle est beaucoup plus agréable que vous ne pourriez le penser, la partageant avec de bons compagnons qui, ainsi que moi, s'occupent peu des inconvénients qu'elle peut avoir. Ici, la nature est resplendissante de richesse et de beauté, et souvent c'est sur des tapis de verdure émaillés de fleurs et sous des bosquets de myrtes et d'oliviers que se livrent nos combats les plus sanglants. Nous savourons dans nos moments de repos, sur cette terre de prédilection, toutes les douceurs du paradis de Mahomet et, lorsqu'il faut nous livrer à l'action dramatique, nous éprouvons de ces émotions dont le souvenir ne peut jamais s'effacer de la mémoire, bien préférable à la vie tranquille et monotone de la campagne ou à la poursuite de quelques emplois subalternes ; aussi ne puis-je admettre un état plus beau, plus noble que celui d'un militaire exposant sa vie sur un champ de bataille et faisant à sa patrie le sacrifice de son sang, payé quelquefois par un peu de renommée et le plus souvent par l'oubli.
Nous sommes ici toujours dans la même situation, grâce aux bonnes dispositions du Vice-roi, dont la contenance ferme, calme et inébranlable, dans le succès comme dans l'adversité, ne rompra la semelle que pour porter des coups plus certains ; aussi, avant que nous ayons atteint les frontières de ce beau pays, il faudra que les rivières, les collines et les plaines soient témoins de nouveaux combats. Mais, malheureusement, nous ne sommes ici qu'un bien faible accessoire au grand drame européen qui se joue en France, à moins toutefois qu'avec l'assistance du roi de Naples nous n'allions à Vienne inviter l'empereur d'Autriche à y revenir. Ce projet, qui n'est pas dénué de fondement, pourrait fort bien se réaliser si nous voyions arriver ces 35000 Napolitains qui nous sont annoncés, mais, en attendant, nous nous chamaillons sur l'Adige, tenant tête à 75000 Autrichiens, qui apprennent journellement à leurs dépens ce que nous savons faire.
Quant à moi, toujours dans la plus heureuse situation par les bontés du prince, en souvenir de notre liaison d'enfance, il ne cesse de m'en donner des preuves en me chargeant de missions délicates, afin de me voir mériter tout le bien qu'il veut me faire ; j'ai donc lieu d'espérer dans un avancement rapide, pourvu qu'une balle indiscrète ou un malencontreux boulet n'y mette obstacle.
L'infatigable activité du Vice-roi n'a point de relâche toujours aux avant-postes, voyant tout par lui-même, et dirigeant une attaque, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, s'exposant avec une témérité dont il n'a pas l'air de s'apercevoir ; aussi, la présence de ce jeune prince, beau, courageux et modeste, produit sur nos soldats une impression difficile à décrire, mais au milieu de laquelle on distingue l'amour, le dévouement et la confiance qu'il inspire. Il vint, il y a peu de jours, à huit heures du matin, visiter, au village de Zevio, la ligne de l'Adige mise sous ma surveillance, ayant la main enveloppée d'un mouchoir de soie noire, sa blessure, bien que légère, n'étant pas encore guérie. Cette position, que j'étais chargé de défendre avec six compagnies du 14e léger, deux pièces de canon et 200 chevaux, occupait une étendue de près d'une lieue, ayant en face de moi 1500 à 1800 Autrichiens, pouvant à tout instant tenter un débarquement sur un point ou sur un autre, ce qui rendait ce poste assez épineux et d'une grande importance par sa proximité avec Vérone.
Le prince examina mes postes avec la plus scrupuleuse attention, changea différentes dispositions, et, voulant reconnaître une petite île qui nous séparait de l'ennemi de moins de cinquante pas, m'emmena avec lui, laissant sa suite en arrière ; mais à peine arrivions-nous sur les bords de la plage que nous vîmes un poste de grenadiers hongrois prendre les armes et se mettre en bataille. « Allons, me dit le prince, préparons-nous à recevoir le salut militaire, car je m'aperçois un peu trop tard de mon imprudence ». Et, continuant de maintenir son cheval, nous arrivâmes juste en face du poste, sans qu'il eût jamais voulu permettre que je me misse entre lui et le bord de l'eau. Mais, au même moment, le commandant de ce détachement qui avait reconnu le Vice-roi à son chapeau garni de plumes blanches et à sa plaque de la Légion d'honneur, rectifie l'alignement de sa troupe, fait présenter les armes et battre aux champs. Cette courtoisie militaire, que je trouvai du meilleur goût, fut accueillie par le prince d'un salut gracieux, qu'il adressa au poste et à l'officier. Le soir même, en rentrant à Vérone, un de ses aides de camp fut envoyé au général autrichien pour lui témoigner combien le prince avait été sensible à ce noble procédé.
Le surlendemain de cette promenade sentimentale, prévenu sur les huit heures du soir que les Autrichiens faisaient des préparatifs de débarquement à un quart de lieue sur ma droite, je m'y transportai aussitôt, avec une confiance d'autant plus grande que je voyais réaliser les prévisions du Vice-roi, qui m'avait prescrit de changer les dispositions des postes à la nuit tombante de manière que ceux du jour ne fussent pas les mêmes et, par un heureux hasard, celui sur lequel se dirigeaient les barques se trouvait avoir en batterie une pièce masquée. L'ennemi, attendu dans le plus grand silence, fut reçu à vingt pas du bord de la rivière par le feu continuel du poste et deux décharges à mitraille. En peu d'instants, une partie des barques chavirèrent au milieu des cris des blessés et des mourants ; et, après un feu assez vif entre les deux rives qui dura plus d'une heure, tout rentra dans le calme et la tranquillité, sans que le jour vînt apporter aucun changement sur le lieu de cette scène tragique, les eaux du fleuve ayant emporté les barques brisées et les cadavres, sans que rien pût faire constater l'horrible drame qui avait eu lieu quelques heures avant.
Deux jours après cet événement, relevé de ce poste par un chef de bataillon du 53e, je revins à Vérone où je trouvai une lettre de mon frère m'annonçant l'impossibilité où il était de pouvoir rester plus longtemps à Livourne, bloqué du côté de la mer par les Anglais qui venaient de tenter un débarquement et sur le point d'être cerné par les troupes autrichiennes ; il faut donc nous attendre à voir arriver le receveur général d'un moment à l'autre, ses fonctions se trouvant furieusement compromises pour le moment présent. A ces fâcheuses circonstances s'est joint un bien funeste évènement. Rentrant il y a quelques jours, vers les onze heures du soir, d'une assemblée où il avait été avec sa femme, ils eurent l’affreux spectacle de la cuisinière gisant dans une mare de sang, la tête séparée du corps ; les voleurs, n'ayant pas eu le temps d'enfoncer l'armoire de fer renfermant près de 500 000 francs, ont forcé le bureau de mon frère et pris 3 800 francs qui s'y trouvaient.
Adieu, mon père, je vous embrasse tendrement" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 216).
Le 23 décembre 1813, le Général de Division Mermet, commandant la cavalerie, adresse, depuis Isola Porcarizza les "Dispositions ordonnées par S. A. I. pour la cavalerie de l’Armée, qui auront leur exécution le 24 ...
2e brigade
Le 31e régiment de chasseurs à cheval continuera d’occuper Santa-Maria et Zevio. Ce régiment fournira comme par le passé les 100 hommes qui sont aux avant-postes et qui doivent être relevés tous les trois jours. Ce régiment se liera par des postes de correspondance avec Ronco et se gardera par la gauche dans la direction de Verone en occupant les postes qui lui ont été assignés …" (Papiers du Général Paul Grenier. X. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 83 page 177).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "Les récompenses demandées à l'Empereur pour le régiment arrivèrent le 28 décembre. Le Vice-roi, toujours heureux du bonheur qu'il procurait, me fit venir chez lui pour m'annoncer qu'il allait adresser au général dix brevets de la Légion d'honneur, et deux de la Couronne de fer pour le colonel et moi, ajoutant avec cette bonté qui lui était si familière : « J'espère qu'avant peu le 31e sera dans le cas d'en mériter d'autres. » Puis, après m'avoir appris cette heureuse nouvelle, S. A. I. me chargea d'une expédition sur le bas Adige, avec l'injonction de chasser un détachement autrichien qui venait de s'établir sur la rive droite, au couvent de San-Giuliano. Je partis avec quatre compagnies du 53e et 200 chevaux, ayant pour instructions de n'arriver que la nuit, afin de pouvoir surprendre l'ennemi. La distance que nous avions à parcourir était de huit lieues, à travers un pays coupé de ruisseaux, de vergers, de villages et de nombreux chemins où il était facile de s'égarer, mais dont les habitants nous étaient dévoués ; aussi arrivâmes-nous sans obstacle, sur les neuf heures du soir, à Castagnora, distant d'une petite lieue de San-Giuliano, où deux guides, marchant avec 25 voltigeurs d'avant-garde, nous dirigèrent dans le plus grand silence. Il était à peu près dix heures lorsque nous arrivâmes à une faible distance d'un poste de huit hommes, placé en dehors du couvent ; 12 voltigeurs, marchant à pas de loup, s'en emparèrent, après avoir poignardé le factionnaire et sans qu'un coup de fusil eût été tiré ; alors toute ma troupe pénétrant dans une vaste cour, notre présence fut annoncée par une décharge générale faite sur des groupes épars placés autour de plusieurs feux, qui tua quelques hommes et en blessa beaucoup d'autres; cette attaque inopinée, dans une cour n'ayant d'autre issue que celle dont nous venions de nous emparer, produisit sur l'ennemi une telle terreur qu'il se rendit sans la moindre résistance et que trois officiers et 160 hommes, du régiment de Spleny, furent aussitôt désarmés et renfermés dans une grange, sous la surveillance d'un poste, tandis que nous prenions leur place pour le reste de la nuit ; mais ce qui offrit une plus vive résistance, ce fut l'intérieur du couvent, gardé par les vierges du Seigneur, dont les portes, hermétiquement fermées, refusèrent, pendant plus d'une heure, de s'ouvrir malgré mes pressantes sollicitations. Cependant, vaincue par les menaces et surtout par la crainte que nous n'abusions de notre forcé, la supérieure, à la tête de son troupeau, vint, sur le péristyle, implorer notre miséricorde, nous croyant plus méchants que nous n'étions. Mettant aussitôt le plus grand empressement à rassurer ces pauvres nonnes effarées sur le but de nos prétentions, et voyant qu'il ne s'agissait que de nous procurer une nourriture dont nous avions le pressant besoin, à l'instant, des vivres, du vin et des provisions furent apportés en abondance au bivouac, et, quelques moments après, trois sœurs d'un aspect respectable vinrent m'engager, ainsi que les officiers, à vouloir bien accepter une collation dans leur réfectoire. Cette invitation, que nous nous empressâmes d'accepter, n'était pas sans un motif de réflexion assez juste de la part des religieuses, qui s'assuraient par là une protection dont elles croyaient avoir besoin.
J'envoyai chercher les trois officiers prisonniers que nous accueillîmes avec tous les égards dus à leur infortune, et nous nous mimes gaiement à la table servie avec le plus grand empressement par les sœurs, dans le nombre desquelles s'en trouvaient de fort respectables par leur antiquité, mais de très jolies et si gracieuses que cette vue achevait de dissiper les émotions violentes qui avaient présidé à l'envahissement de ce lieu saint, surtout en les voyant circuler autour de nous sans trouble ni crainte et avec une innocente curiosité.
Des vivres furent aussi portés aux prisonniers, et nous gagnâmes ainsi le jour dans une parfaite harmonie, nous séparant de ce troupeau virginal en emportant sa bénédiction et le désir bien naturel de ne plus nous revoir, en laissant cependant, pour preuve de notre présence, le soin d'enterrer les morts et de panser dix de nos prisonniers, trop grièvement blessés pour être transportés.
Lorsque je me présentai le soir chez le Vice-roi pour lui rendre compte de la mission dont il m'avait chargé, il ne put s'empêcher de rire de l'invasion du couvent ; et, après m'avoir complimenté sur l'issue de mon mandat, il m'ordonna de rejoindre le régiment qui devait le lendemain, dans la journée, retourner en avant de Vérone avec le 35e de ligne et le 1er étranger" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 220).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le 30 fut une véritable fête pour le régiment, par l'arrivée des généraux Mermet et Bonnemain venant procédera la réception des nouveaux élus dans la Légion d'honneur ; le 31e, en ligne de bataille, dans une superbe tenue, fut d'abord passé en revue ; puis, après une chaleureuse allocution sur sa brillante conduite et les récompenses qui s'ensuivaient, le colonel et moi fûmes reconnus comme chevaliers de la Couronne de fer, le capitaine Couget officier de la Légion d'honneur, et, comme légionnaires, trois officiers, trois sous-officiers et trois chasseurs. Cette cérémonie, faite avec toute la pompe militaire que demandait une si éclatante récompense pour le régiment, fut suivie d'un splendide repas pour les nouveaux élus, après lequel nous fûmes nous établir aux avant-postes.
Dans la nuit, une alerta assez vive, produite par une attaque sur le poste de Santa-Maria, placé sur une hauteur à notre gauche et occupé par un détachement du 1er étranger, nous fit prendre les armes et nous rendit presque témoins de l'échec éprouvé par les Autrichiens qui, loin de surprendre notre infanterie, furent eux-mêmes contraints de mettre bas les armes, au nombre de 340 hommes, après avoir eu une trentaine de tués" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 223).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Dans la journée du 31, le Vice-roi, ayant reçu l'avis que l'ennemi faisait vis-à-vis de nous des mouvements qui semblaient hostiles, ordonna au colonel Desmichels et au 35e de ligne de le prévenir, le joindre et l'attaquer ; en effet, sur les cinq heures après-midi, nos éclaireurs signalèrent une avant-garde de hussards, suivie d'un corps assez considérable marchant en colonne sur la grande route. Notre apparition dut d'autant mieux surprendre l'ennemi que, dans le même instant, le 35e, embusqué derrière une ferme et protégé par un large fossé le long de la route, le prenant en flanc, lui fit essayer un feu bien nourri, qui le mit dans le plus grand désordre, augmenté par la charge d'un escadron du régiment, dirigée par le colonel. En moins de dix minutes, plus de 60 hommes tombèrent sur la route, 180, et trois officiers mirent bas les armes, aussi bien que le peloton de hussards d'avant-garde. Cette courte et béante affaire aurait pu avoir encore un meilleur résultat en laissant engager la colonne ennemie plus avant et sans aucun moyen de pouvoir se développer, la route étant bordée d'un côté par un ruisseau large et profond et de l'autre par notre infanterie.
Cette colonne, forte de 1500 hommes d'infanterie, deux pièces d'artillerie et trois escadrons de hussards, qui marchait dans la confiance de surprendre nos postes, éprouva une de ces stupeurs qui démoralisent la troupe et dont nous eussions bien certainement profité si la nuit ne nous eût contraints de reprendre nos positions en avant de Vérone" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 223).
Vers la fin du mois, les troupes italiennes qui étaient en Espagne étant rentrées et les divers corps de l'armée ayant reçu un assez grand nombre de conscrits, armés, habillés, équipés, et assez bien instruits au dépôt d'Alexandrie, le Prince Vice-Roi réorganise son armée en 6 Divisions de la manière suivante :
... CAVALERIE. - Général MERMET. Général de Brigade, Rambourg, 3e Chasseurs italien, 4 Escadrons ; 19e Chasseurs français, 2 Escadrons. Général de Brigade, Bonnemains, 4e Chasseurs italien, 2 Escadrons ; 31e Chasseurs français, 3 Escadrons et demi. Général de Brigade Perremond, 1er Hussards français, 4 Escadrons ; Dragons de la réserve, 3 Escadrons. Force, 3,010 hommes, et 6 bouches à feu. (Mémoires du Prince Eugène, t.9, page 441).
Fin Décembre, les positions n'ont guère évoluées en Haute Italie. L'Armée d'Eugène est toujours derrière l'Adige en deux Lieutenances qui correspondent à deux masses de manœuvre: une adossée à Mantoue et une autour de Vérone. Les 3 escadrons du 31e Chasseurs à cheval sont à la division de cavalerie du général Mermet, brigade Bonnemains. Mais plus au Sud, les troupes napolitaines de Murat remontent la péninsule, en ayant changé d'alliance …
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Dans la matinée du 1er janvier, je fus avec le colonel Desmichels chez le Vice-roi, lui présenter nos hommages et nos vœux sur le renouvellement de l'année ; cet excellent prince nous accueillit avec sa bonté ordinaire et, tout en nous faisant compliment sur notre petit combat de la veille, il se moqua de nous de n'avoir pas mieux fait ; puis il nous entretint sur l'arrivée de plusieurs divisions napolitaines sur le Pô et sur son intention de prendre l'offensive aussitôt la jonction des deux armées effectuée ; il était loin de penser que Murat, comblé de faveurs, arrivé au dernier échelon des grandeurs, pourrait trahir son bienfaiteur et sa patrie ; son noble caractère eût répugné à soupçonner même l'idée d'un attentat aussi horrible ; aussi attendait-il avec la plus vive impatience le moment de marcher sur Vienne afin de contraindre l'empereur d'Autriche à abandonner l'armée coalisée pour défendre ses États et sauver sa capitale. Cependant les fourrages commençaient à manquer ; une partie de la cavalerie fut envoyée dans les environs de Mantoue ou nous eûmes d'excellents cantonnements et où le régiment reçut de France un nouveau détachement qui porta sa force à 1200 hommes, dont une compagnie d'élite et une de lanciers, de 125 hommes chacun, bien montés et équipés, ce qui faisait un des plus beaux corps de cavalerie légère de France, dont le bon esprit, le courage et l'instruction le mettaient à même de soutenir devant l'ennemi sa brillante réputation" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 225).
8 Janvier : Affaire de Goito (le colonel à la suite Chevalier est tué).
Le 13 janvier 1814 à midi, le Général Mermet écrit, depuis San Giovani Lupatoto, au Lieutenant général Comte Grenier à Isola Porcarizza : "La pénurie des fourrages ne permettant pas aux corps de cavalerie d’occuper plus longtemps le même emplacement, j’ai l’honneur de vous prévenir que conformément aux dispositions arrêtées par S. A. I. le Prince Vice-roi qui m’ont été communiqués ce matin ...
La 2e brigade composée des 31e chasseurs et 4e italien occupera Isola della Scala et environs, elle fournira 100 chevaux de Roverchiaretta à Ronco, et Isola Porcarizza, elle laissera une compagnie à Zevio, une à Lupatoto, une à Vérone et une à Saint-Michel ...
Les divers détachements seront relevés tous les huit jours ..." (Papiers du Général Paul Grenier. X. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 120 page 251).
Le régiment est alors envoyé aux environs de Mantoue et reçoit de nouveaux renforts. Il y a à présent une compagnie d'Elite et une de lanciers bien équipés, de 125 hommes chacune.
Fin Janvier, Eugène, sûr de la trahison de Murat, décide de se replier sur le Mincio.
En appendice de ses souvenir militaire, Hyppolite d'Espinchal donne la composition du Corps des Officiers en 1813-1814, sans précision de date, mais sans doute avant la défection de Murat :
Etat-major : Le baron Desmichels,* O, Couronne de fer, Colonel, fait général;
d'Espinchal (Hippolyte),* O. Couronne de fer, ***, Major, Lieutenant-colonel; Jouanet, * O, Chef d'Escadron; Gérard dit Vieux, *, Chef d'Escadron; Duhoux, *, Capitaine, Adjudant-major; Autrie, *, Capitaine, Adjudant-major; Foix, Lieutenant, Officier-payeur; Plok, *, Adjudant sous-officier; Dubois, *, Adjudant, tué; Trion, *, Chirurgien-major.
Capitaines : Trogné, *, Compagnie d'élite, tué; Caquerai, *, Lanciers; Martin, *; Laminette, *, estropié; Charbonnier, * 0., mort; Sapay, *, tué; Ricoumont, * ; Simonin, *, blessé; Couget,* 0.; Laurent, *, la jambe emportée.
Lieutenants : Forget, *, tué; Caillard, *, tué; Dornau, *; Audibert, *; Charmoulue; Alban, *; Amat, *,six coups de sabre; bonnemain; Varoquet, *; Vedy, la cuisse emportée.
Sous-lieutenants : Scheiner, *, tué; Taillerger, tué; Falth, *; Brion; Boulanger, *, tué; Tromler; Autric, *; Dubourdieu; Prague; Meyer, *, tué; Rigoudet; Signoret, *; Frailly, *;
Poullain, tué (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 390).
Hippolyte d'Espinschal écrit : "Il n'est rien, je crois, de plus ignoble, de plus méprisable et de plus lâche qu'une défection méditée sous les dehors d'une fidélité trompeuse ; aussi l'armée apprit-elle avec une juste indignation l'infâme trahison de Murat. Cette nouvelle fut annoncée le 2 février, par une proclamation du Vice-roi où s'exprimait toute la noblesse de son âme qu'on ne peut mieux rendre qu'en la retraçant dans son entier.
« Soldats de l'Armée d'Italie, depuis l'ouverture de la campagne, vous avez supporté de grandes fatigues, vous avez donné à l'ennemi de grandes preuves de votre courage et à votre souverain de grandes preuves de votre fidélité. Mais, combien ils sont glorieux les prix que vous avez déjà reçus de vos généreux efforts vous avez conquis l'estime de vos ennemis, vous avez obtenu les récompenses de l'Empereur, et vous pouvez vous enorgueillir au fond de vos âmes d'avoir longtemps préservé de toute invasion ennemie la plus grande partie du territoire italien et un grand nombre de départements français. Soldats des espérances d'une paix solide et prochaine s'élèvent de toutes parts, je les crois fondées ; cependant le jour de repos n'est pas encore levé pour vous; un nouvel ennemi s'est présenté. Quel est cet ennemi ? Quand je vous l'aurai fait connaître, vous refuserez, d'ajouter foi à mes paroles et votre incrédulité, que j'ai longtemps partagée, sera pour vous un nouveau titre de gloire. Les Napolitains nous avaient solennellement promis leur alliance. Sur la foi de leurs promesses ils ont été reçus dans le royaume comme des frères, ils ont été admis non seulement à occuper plusieurs de nos départements, mais même à partager avec nous toutes nos ressources ; ils sont entrés comme des frères, et c'est pourtant contre nous qu'ils avaient préparé leurs armes. Soldats ! je lis dans vos âmes toute votre indignation, et je sais ce qu'un sentiment semblable, dont la cause est si noble, peut ajouter à votre vaillance.
Les Napolitains ne sont pas non plus invincibles ! Peut-être même compterons-nous des amis dans leurs propres rangs. Certes, si le sentiment de la loyauté peut être égaré, qui doute qu'un instant de réflexion suffise pour le rallumer et lui rendre tout son empire ? Il est dans les troupes napolitaines un grand nombre de Français ; ils abandonneront bientôt des drapeaux qu'eux aussi ont crus fidèles à leur souverain et à leur patrie ; ils se réuniront à vous ; ils trouveront au milieu de vous les mêmes grades qu'ils ont acquis par leurs services vous les consolerez par votre accueil de la déplorable défection dont ils n'ont pas mérité d'être victimes.
Français ! Italiens ! je compte sur vous ; comptez sur moi, vous me trouverez partout où votre intérêt et votre gloire auront marqué ma place.
Soldats, voici ma devise : Honneur et Fidélité ; que cette devise soit aussi la vôtre. Avec l'aide de Dieu, nous triompherons encore de nos ennemis.
Donné au quartier général de Vérone, le 1er février 1814 ».
La défection du roi de Naples, en ôtant au Vice-roi la possibilité de prendre l'offensive ainsi qu’on en avait le projet, le plaçait dans une situation d'autant plus critique que l'armée autrichienne, alors sous les ordres du feldmaréchal comte de Bellegarde, s'était considérablement renforcée, et que sa droite, qui devait être occupée par les troupes napolitaines, au lieu de lui servir d'appui, aggravait sa position, puisqu'elles s'en étaient emparées comme ennemies.
Le prince sentit donc la nécessité de changer son plan d'opérations en se déterminant sur-le-champ à quitter l'Adige pour prendre la ligne du Mincio" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 227).
Hippolythe d'Espinschal écrit : "Dans la soirée du 2, une division d'infanterie, la grosse artillerie et les administrations de l'armée furent dirigées sur Mantoue, tandis que les troupes se concentraient dans les environs de Vérone.
Le lendemain, de grand matin, l'infanterie et la cavalerie de la Garde royale se mirent en marche, suivies successivement de toutes les divisions de l'armée, laissant le général Bonnemain à Vérone avec quatre bataillons d'infanterie, une batterie d'artillerie légère, le 31e Chasseurs et le 4e italien.
Le Vice-roi n'en partit que dans la nuit, mais, avant, il adressa ses adieux aux habitants par une proclamation qui contenait en peu de mots l'expression de ses sentiments : si elle était honorable pour les Véronais, dont elle faisait connaître la loyauté et le patriotisme, elle honorait également le prince qui avait su apprécier le dévouement des habitants.
Le Vice-roi voulant éviter à Vérone les horreurs d'un combat et cependant prouver qu'il ne sortait pas par la force des armes, envoya le colonel Bataille, un de ses aides de camp, au maréchal de Bellegarde, lui dire sans détour que les nouvelles circonstances politiques seules obligeaient l'armée d'Italie de quitter l'Adige, où elle avait jusqu'alors été prête à recevoir une bataille ; qu'elle allait prendre position sur le Mincio, déterminée à s'y défendre et à livrer, s'il le fallait, plus d'un combat avant de quitter ce poste. Il fut en conséquence convenu que l'évacuation se ferait paisiblement, qu'on ne se battrait pas dans la ville et que l'armée autrichienne n'y entrerait qu'après le départ de notre arrière-garde.
Ainsi le Vice-roi, avec 40000 hommes contre 110000, prescrivait ses volontés et donnait à l'Europe une nouvelle preuve de son courage, de son énergie et de ses talents militaires ; il prouvait aussi combien il était digne de la couronne qui lui était destinée, et que son âme haute et fière convenait à la devise qu'il venait de prendre.
Dans la soirée, j'accompagnai le général Bonnemain et le colonel chez lui ; il était calme et tranquille, bien décidé à résister de tout son pouvoir aux nouveaux embarras de sa position ; il nous dit : « Les Autrichiens n'iront pas aussi vite qu'ils peuvent le penser ; nous leur ferons connaître encore le pouvoir de nos baïonnettes ; au reste, attendez-vous demain à quelque échauffourée » ; et, nous quittant, avec sa grâce habituelle, il nous souhaita bonne chance" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 228).
Dès le 5, l'Armée est déployée le long du fleuve avec des têtes de pont à Goïto et Mozembano. Eugène une fois de plus se porte aux devant des Autrichiens pour les forcer à reculer.
Les 4 et 6 Février, ont lieu les premières escarmouches sur le Mincio. Ce que le Vice- Roi ne sait pas, c'est que les Autrichiens ont décidé eux aussi de passer le Mincio dans l'autre sens. Les deux armées vont donc intriquer leurs mouvements.
Dans un Rapport rédigé par Tascher de la Pagerie, Aide de camp du Prince Eugène, destiné à Napoléon, on peut lire : "Le prince vice-roi a· opéré son mouvement de Vérone sur Mantoue le 4 février à huit heures du matin. Son Altesse Impériale sortit de Vérone avec l'arrière-garde ; l'ennemi pénétrait déjà dans Veronette par le château San-Felice. Ce poste n'était que faiblement gardé et ne fit pas grande résistance ; les troupes se replièrent pour se joindre, sur la grande place, à la colonne qui venait de la porte de Vicence. A neuf heures du matin, les premières troupes autrichiennes entrèrent dans Vérone ; à-onze heures, l'avant-garde traversait la ville et se portait sur Villafranca. L'arrière-garde française opéra son mouvement sans avoir été nullement inquiétée, et prit position à Villafranca. Vers les cinq heures du soir, le général ennemi, pensant qu'on ne gardait que faiblement ce poste, voulut s'en rendre maître. 4 bataillons d'infanterie et 3 escadrons furent chargés d'attaquer la ville. Le général Bonnemain a réuni 2 bataillons et sa brigade de cavalerie ; l'ennemi fut culbuté et poursuivi pendant une lieue et demie. Un escadron du 31e de chasseurs fit une belle charge : l'ennemi prit position, notre arrière-garde revint à sa position, on fit 40 à 50 prisonniers, parmi lesquels un officier ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.10, page 26).
Le 5 févier 1814, le Général Porson écrit, depuis Turin, au Général Vignolle : "Mon général, le général de division Gratien ayant été chargé de faire diriger sur l'armée d'Italie tous les hommes provenant de la conscription de 1808 à 1814 au fur et à mesure qu'ils seraient habillés, équipés et armés, le prince gouverneur avait lieu de penser que l'on aurait exécuté cette disposition envers ceux qui appartiennent au 31e régiment ; mais, puisque cela n'a pas été fait, Son Altesse Impériale vient d'ordonner au général Despinois de les faire partir d'Alexandrie, le 7 du courant, pour Plaisance, sous la conduite d'un certain nombre d'officiers et de sous-officiers ..." (Mémoires du Prince Eugène, t.10, page 73).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le 4, à cinq heures du matin, le général Bonnemain se mit en position une demi-lieue en arrière de la ville, me laissant avec 400 chevaux et l'ordre de n'en sortir qu'à 9 heures. Un escadron fut placé près du pont de l'Adige, en face de 300 uhlans, et le reste de ma troupe en bataille sur une vaste place. Lorsque l'heure prescrite fut arrivée, traversant la ville au pas, nous fûmes remplacés par le général Bonnemain, qui fit aussitôt son mouvement rétrograde en m'ordonnant de ne quitter ma position qu'à 10 heures, et de venir ensuite un quart de lieue en avant de Villafranca où je trouverais pour me soutenir 2 bataillons et 2 pièces de canon afin de garder ce poste jusqu'à nouvel ordre ; nous arrivâmes sur les midi, sans avoir été inquiétés dans notre marche ; mais, sur les trois heures, parut l'avant-garde ennemie avec l'intention de nous débusquer. Alors commença un feu de tirailleurs assez vif qui dura près d'une demi-heure et finit par une charge de six escadrons de uhlans et de hussards qui nous ramenèrent sur l'infanterie et les deux pièces, derrière lesquelles nous nous ralliâmes ; cependant l'ennemi se déployait dans la plaine avec l'intention de nous tourner ; ses forces me faisaient sentir la nécessité de me retirer, lorsque le colonel Desmichels, débouchant de Villafranca avec un bataillon du 48e et le 31e Chasseurs, se joint à nous, fait battre la charge, conduit l'infanterie baïonnette en avant, et m'ordonne de charger, tandis que les deux pièces d'artillerie font de leur côté un feu soutenu ; tous ces mouvements furent exécutés avec une telle vigueur qu'en un instant l'ennemi, culbuté sur tous les points, se retira dans le plus grand désordre, laissant sur la place une cinquantaine de morts, 400 prisonniers, parmi lesquels deux officiers, 10 hussards et 8 uhlans qui tombèrent entre nos mains. De son côté, le général Bonnemain, à la tête du 4e italien, un bataillon et deux autres pièces, avait opéré sur notre droite avec le même succès et balayé la plaine dans laquelle nous reprîmes nos positions avec l'espoir d'y rester tranquilles ; mais, sur les sept heures du soir, le général, accompagnée du colonel et de la compagnie d'élite du régiment, arrivant à mes postes, m'ordonna de pousser une reconnaissance avec 25 chevaux sur la grande route et d'aller jusqu'à la Casa San Giovani, appuyant lui-même ce mouvement quelque cent pas en arrière ; un quart d'heure s'était à peine écoulé que mon détachement fut assailli par des décharges continuelles partant d'un bois sur le bord de la route ; quatre chasseurs, parmi lesquels mon ordonnance, sont frappés mortellement, et mon cheval, percé de plusieurs balles, tombe en m'entrainant sous lui.
Au milieu de cette position dont le péril augmentait à chaque instant par le feu incessant de l'ennemi, arrive le colonel Desmichels avec quelques chasseurs. Me croyant blessé, il met pied à terre pour m'aider à sortir de dessous mon cheval et me placer sur le sien ; heureusement je n'étais pas touché mais les balles qui continuaient à pleuvoir autour de nous venaient de frapper encore trois chasseurs.
Il était urgent de quitter promptement cette dangereuse embuscade ; le cheval de mon malheureux ordonnance me fut amené ; on déshabilla le mien, et nous nous retirâmes sur nos postes, où le reste de la nuit fut tranquille. Cependant, sur les onze heures du soir, je fis prévenir le général qu'on entendait sur la route le bruit d'une nombreuse artillerie ; il fit aussitôt retirer l'infanterie et nos deux pièces en me prescrivant de faire le même mouvement à minuit, de traverser Villafranca et m'arrêter en avant du village de San Zeno, où je trouvai l'infanterie du général Verdier prête à se mettre en marche pour passer le Mincio.
Le lendemain, sur les dix heures du matin je passai le fleuve près du village de Goïto, où je rejoignis, avec mes deux escadrons, le régiment au village de Piubega.
Le combat de Villafranca fut considéré comme un beau fait d'armes, l'arrière-garde ayant tenu tête à plus de cinq mille hommes et arrêté un mouvement qui eût pu troubler la retraite de l'armée ; le colonel Desmichels s'y couvrit de gloire, et c'est à son audace et à sa brillante valeur que nous dûmes le succès de cette journée qui coûta cher à l'ennemi, et dans laquelle le régiment eut 8 chasseurs tués et 22 blessés. Le Vice-roi, par un ordre du jour du 6, cita le 31e Chasseurs et le 84e de ligne sur le drapeau duquel était écrit : Un contre dix ; il désigna aussi le général Bonnemain, le colonel Desmichels et moi, et, ce même jour, le général Mermet vint me dire que mon détachement serait porté pour trois croix dans les demandes qui seraient faites par le prince.
La perte de mon cheval me fut un véritable chagrin : c'était celui que j'avais pris en Espagne lorsque le général anglais lord Paget tomba entre mes mains, et duquel j'avais refusé 65 napoléons peu de jours avant" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 229).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le Vice-roi, dont le génie était toujours à la hauteur des circonstances, sentit en arrivant sur le Mincio qu'il fallait combattre ou abandonner l'Italie ; aussi sa détermination fut-elle bientôt prise : il savait trop bien tout ce qu'on peut attendre de la valeur française pour s'effrayer de la grande disproportion qui existait entre nos forces et celles de l'ennemi ; cependant, pour ne pas perdre les avantages de sa position, calculant que la jonction des Napolitains n'était point encore effectuée et que l'armée autrichienne ne pouvait être entièrement réunie par suite des opérations qui venaient d'avoir lieu sur l'Adige, le Vice-roi, dis-je, se décida à livrer bataille au comte de Bellegarde avec d'autant plus de raison que toutes les chances étaient en sa faveur. Non seulement, s'il la gagnait, le résultat de la victoire devait être de paralyser pour quelque temps les mouvements de l'ennemi, mais, même dans le cas où il l'aurait perdue, les conséquences de ce revers ne lui auraient pas moins été avantageuses : la victoire ne pouvant pas être décisive pour l'ennemi, puisque l'armée d'Italie, maîtresse des têtes de pont de Goïto et de Mazinbona et des places de Mantoue et Peschiera, avait une retraite assurée, et il aurait fallu que l'ennemi livrât une nouvelle bataille le lendemain pour passer le Mincio. Cette opération était impossible à une armée déjà affaiblie par la victoire même. Ainsi, vainqueur ou vaincu, le prince était certain de paralyser le plan d'opérations du comte de Bellegarde et de gagner le temps nécessaire pour fondre sur les Napolitains et les détruire sans peine, car l'expérience avait prouvé depuis longtemps que deux divisions françaises étaient plus que suffisantes pour disperser les 30000 Napolitains que le roi Murat trainait à sa suite. En conséquence, le 7, toutes les dispositions furent faites pour que l'armée d'Italie fut en mesure de passer le Mincio le lendemain. Les troupes prévenues s'empressèrent de se préparer comme pour une grande revue, et lorsque le soleil vint éclairer la matinée du 8, le jour se montra radieux comme nos espérances, et si, comme les Romains, on devait croire aux présages, l'ardeur et la joie qui brillaient dans les yeux de nos jeunes soldats devaient être un augure favorable à nos armes.
Les troupes, dans une tenue brillante, animées d'un enthousiasme qui ne laissait aucun doute sur le succès de cette journée, attendaient impatiemment et avec une gaieté toute nationale l'instant de marcher au combat" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 232).
Le 8 février 1814 au matin, l’Armée du Prince Eugène commence son mouvement. La colonne du centre, formée par la Division Quesnel (de la 2e Lieutenance), ayant une avant-garde aux ordres du Général Bonnemains, avant-garde composée du 31e de Chasseurs à cheval, de 2 Bataillons et de 4 canons, débouche par le pont de Goito, sous la direction spéciale du Prince lui-même. La colonne, débouchant de Goito, se trouve tout à coup, et à peu de distance de cette ville, en présence des premiers postes de la Division Merville en opération sur Pozzolo. La Brigade d'avant-garde Bonnemains franchit les ponts des canaux autour de Villabona. Le 31e de Chasseurs s'étend dans la plaine entre Marengo et Mazimbona, au pied du rideau des hauteurs qui dominent le Mincio de Valeggio à Mazimbona. Les postes ennemis sont enlevés, près de 500 Autrichiens faits prisonniers par quelques pelotons de Chasseurs.
Le Général Bonnemains, qui revient de Belvédère après avoir enlevé un convoi d'équipages, se trouve bientôt en face de la droite de la ligne ennemie. Il déploie ses deux Bataillons, les couvre par ses 4 pièces et oppose le 31e de Chasseurs à la cavalerie autrichienne qui s'avance vers Remelli. Le combat s'engage; le Général Merville essaie de menacer les 2 Bataillons du Général Bonnemains. Le 31e de Chasseurs fait un changement de front pour prendre en flanc l'ennemi, qui se retire. Dix-huit bouches à feu ne tardent pas à ouvrir leur feu contre le Général Bonnemains, qui se trouve dans une position critique, lorsque la Division Rouyer arrive pour soutenir la Division Quesnel. La ligne du Vice-Roi a pour appui la Brigade de Cavalerie Perreymond à gauche, l'avant-garde du Général Bonnemains à droite.
Le Rapport rédigé par Tascher de la Pagerie, Aide de camp du Prince Eugène, et destiné à Napoléonn raconte : "… le 1er régiment de hussards français fut culbuté et perdit du monde ; le régiment italien des dragons de la reine le sauva d'une perte entière. Le prince engagea une seconde division d’infanterie pour soutenir celle qui était engagée. Les masses ennemies furent renvoyées ; on en vint plusieurs fois à la baïonnette ; 5 bataillons de grenadiers autrichiens, tenant la gauche de l'ennemi, s'avancèrent bravement pour tourner la droite de la division qui était engagée ; mais, reçus presqu'à bout portant par 2 bataillons, ils furent culbutés, laissant près de 100 hommes tués ou blessés. Le 31e de chasseurs à cheval fit une belle charge contre les bataillons de grenadiers ; deux mirent bas les armes. Une charge, que l'ennemi fit contre ce régiment, ne lui permit de conduire prisonnier qu'un des bataillons" (Mémoires du Prince Eugène, t.10, page 29).
L'ennemi, voyant se dessiner l'attaque de Pozzolo, essaie une diversion en faisant avancer contre l'aile droite du Prince quelques Bataillons de Grenadiers en carré. Le 31e de Chasseurs prend la charge, et, quoiqu'il n'ait pas de succès, il peut se replier derrière les deux Bataillons du Général Bonnemains sans éprouver de pertes sensibles, se reformer et exécuter une nouvelle charge des plus heureuses contre 5 Escadrons autrichiens qui viennent soutenir les Grenadiers. Eugène s'est porté à son aile droite; il ordonne une troisième charge sur l'infanterie ennemie. Cette infanterie culbutée est poursuivie jusque vers Querni. Le Général Merville, voyant ses deux ailes enfoncées, bat en retraite (Mémoires du Prince Eugène, t.10, page 13).
Au cours de cette bataille complexe, le Régiment a de nombreuses pertes: 5 Officiers et 70 tués, 11 Officiers et 190 blessés, en chargeant plusieurs fois. Si l'issue du combat revient à Eugène, celui-ci n'est pas décisif. Avec ses troupes affaiblies, il se replie et repousse une nouvelle tentative autrichienne le lendemain.
"Le prince, dirigeant lui-même la division du général Marcognet, fut un moment exposé au danger d'être pris ou tué, sans un détachement de 25 lanciers du 31e Chasseurs formant son escorte.
Le chef, nommé Path, ne balança pas à se sacrifier pour le sauver; . . . 8 hommes furent tués, 9 blessés, et le prince parvint à se dégager de plus de 300 Hongrois dont il était entouré".
Le 9 févier 1814, Eugène écrit, depuis Goito, à Clarke : "… Dans une seule charge du 31e de chasseurs, un carré de grenadiers a été écharpé ..."(Mémoires du Prince Eugène, t.10, page 78).
Hippolyte d'Espinschal donne le récit suivant de la bataille : "... L'armée se mit en mouvement sur trois colonnes : celle de droite composée des divisions Rouyer et Marcognet, de la garde royale et de la cavalerie légère du général Perreymont, sortit de Mantoue sous les ordres du général comte Grenier par la grande route de Vérone passant par San Brizio et se dirigeant sur Roverbella. Celle de gauche, formée de la division Fressinet, sous les ordres du général Verdier, et du 4e chasseurs italien, réunie sur les hauteurs de Mazinbona, devait passer le Mincio au pont de ce village et se diriger sur Villafranca par les hauteurs de Vallegio.
Le centre, où se trouvait le Vice-roi en personne, se composait de la division Quesnel et de la brigade du général Bonnemain, ayant sous ses ordres le 31e Chasseurs, deux bataillons du 1er léger et deux du 4e (sic; 14e ?) avec six bouches à feu.
Le point de réunion de la colonne de droite avec celle du centre était fixé au coude de la route, entre Marengo et Roverbella.
Celui de la colonne de gauche avec les deux autres, l'avait été à Villafranca ; c'était la que le prince Eugène avait compté trouver le corps d'armée ennemi et lui livrer bataille.
Telles étaient les dispositions du prince qui, dès la pointe du jour, se trouvait avec son état-major près du pont de Goïto pour voir défiler la colonne du centre, qui devait commencer l'attaque ; sa présence inspira une ardeur difficile à décrire ; sa figure était rayonnante d'espérance et de satisfaction.
Lorsque le 31e Chasseurs, fort de 1100 chevaux, chargé de former l'avant-garde de l'armée, défila devant lui dans une tenue magnifique et brandissant le sabre aux cris de « Vive l'Empereur », il nous fit, au colonel et à moi, un petit signe amical de la main qui me fit l'effet d'une commotion électrique.
Aussitôt que nous eûmes passé le pont, nos tirailleurs rencontrèrent l'ennemi, foncèrent dessus et enlevèrent tout un grand poste avec l'officier qui le commandait puis, traversant rapidement le défilé de Majoli, nous nous formâmes en ligne de bataille et nous nous mimes aussitôt en marche, en colonne d'attaque dans la direction de Marengo, afin de protéger le développement des troupes qui passaient le Mincio.
Ce fut en ce moment que je reçus l'ordre de prendre le commandement de l'avant-garde avec 300 chevaux et quatre compagnies du 14e léger, ayant l'injonction d'attaquer vigoureusement. Nous tardâmes peu à rencontrer quatre escadrons des dragons d'Hohenlohe, en colonne par pelotons, que nous chargeâmes avec une telle promptitude qu'ils n'eurent pas le temps de se déployer et furent culbutés, poursuivis le sabre dans les reins plus d'un quart de lieue jusqu'au village de Roverbella, d'où débouchait alors un bataillon autrichien ; l'aspect de cette troupe qui semblait vouloir nous éviter, animant les chasseurs, nous abandonnâmes les dragons pour foncer dessus, tandis que nos voltigeurs arrivaient au pas de course. Ce bataillon, abandonné par les dragons, chercha vainement à former le carré et mit en entier bas les armes, après nous avoir fait essuyer deux décharges qui tuèrent un maréchal des logis, quatre chasseurs et en blessèrent sept. Je le dirigeai aussitôt sur le pont de Goïto, sous l'escorte de 25 voltigeurs et 4 chasseurs, en écrivant au crayon au général Vignolles, chef d'état-major général de l'armée, que je le priais de dire à Son Altesse Royale que je lui envoyais un bataillon du régiment de Chateler, deux officiers et un drapeau puis, ralliant aussitôt ma troupe et continuant de marcher sur Marengo ainsi que j'en avais reçu l'ordre, nous tombâmes au milieu des équipages de l'armée ennemie, y portant le désordre et enlevant sans la moindre résistance plus de 60 chevaux de main, des fourgons, trois caissons et une centaine de prisonniers.
Déjà, je comptais pousser ma chance heureuse sur Vérone, lorsque le chef d'escadron Méjan, aide de camp du Vice-roi, arrivant à moi, m'apporta l'ordre de changer de direction en m'annonçant l'étrange événement qui se passait. Il m'apprit qu'au moment où nous passions le Mincio à Goïto, une partie de l'armée autrichienne le passait de son côté, sur notre gauche, à Vallegio, et attaquait la division du général Fressinet. Le maréchal de Bellegarde était loin de prévoir que le Vice-roi viendrait l'attaquer et lui livrer bataille ; il croyait au contraire que le prince pensait à abandonner le Mincio, ce qui l'avait décidé à passer cette rivière ainsi, par une de ces circonstances vraiment extraordinaires, presque incroyables et tout à fait imprévues, les deux armées ennemies exécutaient, dans le même moment et dans un sens opposé, un mouvement semblable, ce qui m'expliquait l'événement du bataillon de Chateler placé en observation à Roverbella avec les dragons d'Hohenlohe et la facilité avec laquelle nous avions enlevé les équipages de l'ennemi. Le commandant Méjan ajouta que le prince, en lisant mon billet, avait eu l'idée que j'allais me fourvoyer en suivant la direction qui m'avait été donnée, toutes les dispositions d'attaque se trouvant changées, et il me prescrivit en son nom de rejoindre le régiment en m'indiquant le lieu où il devait être.
Au moment où j'y arrivais, le centre et la colonne sortie de Mantoue, qui avaient fait leur jonction, firent un changement de direction à gauche en se dirigeant sur Pozzolo et laissant la garde royale en réserve près le pont de Goïto. Dans ce moment, le combat devint terrible, nous trouvant en face de plus de 25000 hommes auxquels nous en opposions tout au plus 12000. Le général Mermet, à la tête de la brigade Perreymont, voulut attendre la charge d'un régiment de hussards et de uhlans au lieu de la prévenir ; le 1er Hussards fut culbuté et mis en désordre ; le prince, qui se trouvait là dans ce moment, n'eut que le temps de se mettre dans un carré dont la contenance ferme arrêta la fougue du l'ennemi.
Le général Mermet, culbuté de cheval par un hussard, fut sur le point d'être pris et tiré de cette bagarre par un brigadier, lorsque le colonel Narboni, arrivant avec les dragons italiens de la Reine, charge avec furie et donne le temps au 1er Hussards de se rallier ; son intrépidité, qui répara la faute du général, fut achetée au prix d'un tiers de son brave régiment, mais il eut la gloire de rétablir le combat sur ce point. Dans ce même moment, le 31e Chasseurs était, à la droite, exposé sous le feu de trois bataillons hongrois et de 18 pièces d'artillerie vomissant la mort dans nos rangs. Le colonel Desmichels, voulant prévenir le désastre du régiment, ordonna la charge sur les Hongrois au moment où ceux- ci marchaient sur nous à la baïonnette : deux fois nous fûmes repoussés avec pertes, déjà le brave et estimable colonel Chevalier, commandant les hussards de la garde napolitaine, qui était venu se placer dans nos rangs, venait d'avoir la tête fracassée d'un coup de mitraille ; une partie de sa cervelle sauta sur mes habits ; plusieurs officiers et grand nombre de chasseurs venaient d'être frappés, lorsque le général Bonnemain, à la tête du 1er et du 14e léger soutenus de huit pièces, vint porter le ravage dans le carré et nous ordonna de charger sur deux régiments de cavalerie qui venaient à son secours ; la mêlée fut affreuse pendant quelques instants, mais les Autrichiens, forcés de tourner bride, se retirèrent en désordre et se rallièrent sous la protection de leurs batteries.
Il était alors cinq heures du soir ; le combat se soutenait avec acharnement sur tous les points, et rien n'était encore décidé, lorsque le Vice-roi, arrivant près du général Bonnemain, examina avec attention pendant quelques instants, puis ordonna au 31e Chasseurs de fournir une nouvelle charge et aux deux régiments d'infanterie légère de marcher à la baïonnette. La présence du prince au milieu de la fusillade et des boulets, son calme et cette confiance qu'il savait si bien inspirer, produisirent sur la troupe une exaltation difficile à rendre ; la musique des deux régiments, placée en arrière, se fait entendre, les tambours battent la charge, et le général Bonnemain, marchant en tête, se dirige sur l'infanterie ennemie avec son artillerie, tandis que le colonel Desmichels, quinze pas en avant du régiment, brandissant son sabre en nous montrant les dragons et les cuirassiers autrichiens qui commençaient à s'ébranler, lance le régiment avec impétuosité. Ce combat, qui fut, pour le centre, le dernier de la journée, décida de notre succès l'ennemi culbuté, poursuivi sans relâche pendant près d'une demi-heure se retira en désordre, laissant entre nos mains 1500 à 1800 prisonniers, 8 pièces de canon, 2 étendards, 3 drapeaux et le terrain jonché de cadavres. Une heure après, cette plaine, au milieu de laquelle avaient retenti pendant près de douze heures le bruit du canon, de la fusillade, les cris des mourants et des blessés, n'était plus témoin que de notre allégresse.
Nous restâmes sur le champ de bataille que nous venions de conquérir, où nous passâmes une partie de la nuit, harassés de fatigue, pendant que les voitures d'ambulance venaient enlever les blessés pour les transporter de l'autre côté du Mincio, ignorant encore si le combat ne recommencerait pas le lendemain ; mais nous tardâmes peu à apprendre que l'ennemi se retirait sur Vérone.
Ce brillant combat, dans lequel l'armée perdit près de 2000 hommes, en coûta 6000 à l'ennemi, 3000 prisonniers, en partie faits par le régiment, et 19 pièces de canon, résultat obtenu par le centre depuis le commencement de la journée. La perte du 31e Chasseurs fut considérable : nous eûmes 5 officiers et 70 chasseurs tués, 11 officiers et 190 hommes blessés ; le colonel eut un cheval tué sous lui, un autre blessé, son habit percé de deux balles et coupé de plusieurs coups de sabre. C'est à son intrépidité et a sa courageuse persévérance que le régiment dut ses succès. Quant à moi, toujours sous la bienveillante protection de mon heureuse étoile, j'en fus quitte pour un trou de balle dans mon schako ; mais je n'en éprouvai pas moins un bien vif chagrin par la perte de mon fidèle cosaque. Il était en arrière du régiment où il tenait un cheval de main ; je lui fis dire de m'apporter ma gourde d'eau-de-vie pour rendre un peu de force au capitaine Trogué, de la compagnie d'élite, frappé mortellement ; mais, au même moment, il fut coupé en deux par un boulet et j'eus le regret de voir mourir ce brave et digne serviteur dont j'avais sauvé la vie à Tilsitt, en 1807, et qui, en reconnaissance, m'avait dévoué la sienne ; cet homme estimable m'avait continuellement suivi en Pologne, en Allemagne et en Espagne pour venir terminer sa vie nomade en Italie.
Nous eûmes, dans la matinée du 9, des détails sur le combat soutenu la veille par la division Fressinet. Ainsi que je l'ai dit plus haut, le feld-maréchal Bellegarde, persuadé que le Vice-roi abandonnait la ligne du Mincio, s'était déterminé à le passer précisément au même instant que-nous allions à lui pour le combattre, coïncidence vraiment extraordinaire et qui peut-être n'a jamais eu un exemple pareil ; il avait choisi pour le passage de la rivière le lieu de Borghetto, où il n'éprouva aucun obstacle, le général Fressinet ayant commencé le mouvement qui lui avait été prescrit. 18000 hommes passèrent à Borghetto, s'emparèrent des hauteurs de Volta et poussèrent des partis de cavalerie vers Cerlungo, qui enlevèrent une partie des équipages de la brigade Bonnemain restés dans ce village. (Ceux du colonel Desmichels et les miens furent sauvés par la présence d'esprit et la bravoure de nos ordonnances, que nous y avions laissés avec huit chasseurs.) Le Vice-roi, placé sur une hauteur près Monzenbano, vit l'ennemi derrière lui, occupant Volta et s'étendant dans la plaine de Goïto. II ne balança pas à livrer bataille à la partie de l'armée autrichienne qui était encore sur la gauche du Mincio ; ce fut alors qu'il ordonna un changement de direction et que se livrèrent les combats que j'ai décrits dans lesquels les Autrichiens finirent par succomber. Mais, dans ce même moment, le général Verdier avait à tenir tête, avec la division Fressinet forte de 9 000 hommes, à une masse deux fois plus forte il prit position en arrière du ruisseau de Monzenbano, appuyant sa gauche au village et occupant la tête de pont ; nos troupes se battirent avec la plus grande valeur et doublèrent de courage lorsque notre canon se fit entendre à Pozzolo ; par suite des mouvements opérés par le prince, l'incertitude se mit dans les rangs ennemis ; le général Verdier en profita pour ordonner une charge à la baïonnette qui força les Autrichiens à la retraite, se repliant dans le coude que forme la rivière à Borghetto et, pendant la nuit, ils repassèrent le Mincio, laissant quelques troupes pour garder le pont.
L'armée d'Italie n'eut, dans la journée, que 24000 hommes engagés sur les deux rives du Mincio, tandis que l'ennemi en avait 50000. Tel fut l'événement d'une des plus singulières batailles par la disposition des troupes qui se soit encore livrée : l'erreur de cette disposition ôta au comte de Bellegarde tout l'avantage qu'il aurait pu espérer de la supériorité numérique de son armée. La croyance où était le feld-maréchal que le Vice-roi avait abandonné, le Mincio peut bien expliquer le mouvement de ce premier, mais ne peut l'excuser ; car cette croyance portait sur un fait qu'il pouvait facilement vérifier. Ainsi, le comte de Bellegarde, sans aucune reconnaissance préalable, fit exécuter un passage entre les deux têtes de pont que nous occupions, se livrant de cette manière aux mouvements de flanc dont le prince, en militaire habile, s'était ménagé la possibilité ; il fallut toute la surprise que dut causer une opération tout à fait imprévue pour sauver l'armée autrichienne d'un désastre complet ; au reste, les conséquences de la bataille du Mincio furent telles que le comte de Bellegarde ne put plus reprendre l'offensive" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 234.
Eugène établit son QG à Volta et réorganise les 30.000 hommes qui lui restent.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le Vice-roi pouvait, le 9, hasarder une nouvelle bataille dont le succès eût rejeté l'armée autrichienne en désordre de l'autre côté de l'Adige, mais il ne crut pas devoir abandonner sa forte position du Mincio, voulant attendre le résultat des grands événements qui se passaient en France. Cependant, il fit toutes ses dispositions pour refouler l'armée napolitaine, et il pensa avec raison que deux divisions françaises suffiraient pour cette opération. En conséquence, dans la matinée du 9, l'armée se mit en mouvement sur Goïto ; cette marche rétrograde se fit par échelons et lentement, ayant à l'arrière-garde le 31e Chasseurs avec deux bataillons d'infanterie légère et quatre pièces de canon, sans que les Autrichiens fissent mine de nous inquiéter.
Les positions furent prises sur la rive droite du Mincio, le quartier général du Vice-roi à Volta en arrière, le 31e Chasseurs au village de Cereta, la garde royale à Cerlungo et l'infanterie dans différentes positions le long de la rivière, appuyée de plusieurs détachements de cavalerie.
Dans la journée, le prince fit, par un ordre du jour, ses remerciements à l'armée sur sa brillante conduite ; il voulut bien ajouter mon nom à ceux du général Bonnemain et du colonel Desmichels, ainsi que de plusieurs autres officiers, et adressa d'une manière particulière les éloges les plus flatteurs aux 1er et 14e d'infanterie légère aussi bien qu'aux dragons de la Reine et au 31e Chasseurs, comme ayant le plus contribué au gain de la bataille" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 241).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le maréchal de Bellegarde, persistant à croire que la bataille du 8 n'avait été livrée par le prince que dans l'intention de ménager sa retraite, voulut de nouveau tenter un passage dans la journée du 10, mais il fut accueilli avec une telle vigueur qu'il se vit contraint de se retirer avec une perte de plus de 1000 hommes. Le 1er Hussards, qui se trouvait de service sur la ligne, répara dignement son échec du 8, précisément avec le même régiment de uhlans auquel il avait eu affaire ce jour-là ; les hussards, animés du désir de se venger, culbutèrent les uhlans dans deux charges consécutives, leur tuèrent 60 hommes et firent 120 prisonniers, parmi lesquels se trouvaient le colonel et cinq officiers. Le prince, dirigeant lui-même la division du général Marcognet, fut un moment exposé au danger d'être pris ou tué, sans un détachement de 25 lanciers du 31e Chasseurs formant son escorte, dont le chef, nommé Path, ne balança pas à se sacrifier pour le sauver ; 8 hommes furent tués, 9 blessés, et le prince parvint à se dégager de plus de 300 Hongrois dont il était entouré. Le soir, les Autrichiens reprirent leurs positions sur la rive gauche du Mincio, bien convaincus qu'ils ne parviendraient point à nous chasser par la force des armes. Peu de jours après, le Vice-roi, voulant donner des récompenses à l'armée pour les journées du 8 et du 10, fit demander par un ordre du jour les propositions aux généraux et aux chefs de corps ; le général Mermet me fit dire que j'étais porté pour l'avancement et que, probablement j'aurais le commandement du 31e Chasseurs, le colonel Desmichels, étant désigné pour général de brigade (à cette époque un chef d'escadrons devenait colonel).
Le prince agréa cette demande mais, comme ses pouvoirs ne lui permettaient pas de nommer à ce grade, il me fit sur-le-champ reconnaître comme gros major (lieutenant-colonel), ce qu'il avait la faculté de faire, en attendant la réponse de l'Empereur. Lorsque je fus le remercier, il eut la bonté de me dire qu'il demandait pour moi à l'Empereur le commandement du 31e Chasseurs et qu'il ne m'avait nommé lieutenant-colonel que pour faire place à un capitaine. « J'espère, me dit-il, que tu seras content ; tu vois si je tiens parole lorsqu'on sait le mériter. »
Je lui exprimai toute la reconnaissance dont j'étais pénétré pour tant de bienveillance, en lui renouvelant l'assurance de mon entier dévouement.
Il me parla du colonel Desmichels dans les termes les plus flatteurs, le considérant comme un des meilleurs officiers de l'armée et m'ajouta qu'il l'avait désigné à l'Empereur pour remplacer le général Bonnemain, en faveur duquel il réclamait le grade de général de division.
Dans cette même journée, on remplaça les emplois vacants et plusieurs sous-officiers du régiment reçurent l'épaulette. Douze nouvelles croix furent promises, dont une d'officier au brave commandant Johanet ; le sous-lieutenant Path fut fait lieutenant et désigné pour la croix ; le prince, en l'assurant sa protection, lui fit cadeau d'un fort beau cheval pour remplacer le sien grièvement blessé en combattant si vaillamment près de lui. Ce fut le chef d'escadron Tascher de la Pagerie, aide de camp du Vice-roi, qui fut chargé de porter à l'Empereur le rapport des événements qui venaient de se passer et les demandes de récompenses en faveur de l'armée.
Dans la matinée du 12, le général de Livron, un de mes amis, aide de camp du roi de Naples, vint en mission près du prince, ce qui prêta à beaucoup de conjectures, mais aucune favorable pour Murat. Ce mêmejour, des nouvelles de France nous apprirent les continuels succès des armées coalisées, ce qui ne nous laissait d'espérance que dans une paix que, disait-on, l'Empereur ne voulait pas signer; le vice-roi en paraissait accablé et semblait craindre une funeste issue à tant de revers; cependant toujours ferme et fidèle à l'honneur, il déclara hautement qu'il ne poserait les armes que lorsque son épée ne serait plus utile à sa patrie.
L'armée resta tranquille jusqu'au 13 que le général Grenier partit avec sa lieutenance, composée des divisions Rouyer et Marcognet, se dirigeant sur Crémone afin d'attaquer les troupes napolitaines réunies au corps du général autrichien Nugent ; mais, malgré cette grande disproportion de forces numériques, le général Grenier ne balança point à les attaquer, les repoussa avec perte et fit quantité de prisonniers, entre autres les lanciers de la garde, qui mirent tous bas les armes au moment où deux escadrons du 19e Chasseurs allaient les charger. Cette armée inspirait si peu de crainte à nos troupes que, quelle que fût sa force, nos jeunes soldats couraient dessus comme à une curée.
Le 24, je reçus du Vice-roi la mission de me rendre à Crémone, puis à Plaisance, où je devais remettre des dépêches au général Grenier, et ensuite suivre la rive gauche du Pô jusqu'à Borgoforte, où devait se trouver le général Vilatte, et revenir au quartier général à Volta pour rendre compte au prince de la situation de cette ligne.
Au moment où j'arrivai près de Guastalla, j'assistai à la déroute de 4000 Napolitains et 1200 Autrichiens, mis dans la plus grande confusion par le 5e de ligne et deux bataillons du 3e italien, qui à tuèrent l'ennemi 200 hommes et firent 1500 prisonniers, poursuivant le reste avec acharnement lorsque je continuais ma route.
J'arrivai à Volta le 29 au soir, ayant fait à cheval, suivi de deux ordonnances, 42 lieues en cinq jours ; au moment où je rendais compte au prince de ma mission, arriva un officier d'état-major apportant la nouvelle que, la veille, le général Grenier avait enlevé la ville de Parme à la baïonnette, fait 3000 prisonniers et pris 18 pièces de canon, en présence du roi de Naples qui avait eu le crève-cœur d'être le témoin de la lâcheté de ses troupes et obligé de fuir lui-même pour ne pas tomber dans les mains de la cavalerie du général Rambourg" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 242).
Hippolyte d'Espinschal écrit : "... Je reçus, dans la matinée du 4 mars, l'ordre d'aller rejoindre la division Fressinet, avec 400 chevaux du régiment, afin de tenir la ligne du Mincio en remplacement du 1er Hussards. Le général m'indiqua plusieurs postes et me prescrivit d'établir mon quartier au village de Ponti, où le comte Emmili m'offrit l'hospitalité dans son château, séjour délicieux, remarquable par son architecture, son luxe intérieur et ses alentours, mais veuf de la belle châtelaine qui avait cru prudent de s'éloigner. Notre position n'était guère favorable à la cavalerie, mais, dans les continuelles escarmouches qui avaient lieu sur les bords de la rivière, notre présence donnait de la confiance à l'infanterie, qui savait qu'elle pouvait compter sur notre appui ; aussi nos petits postes n'avaient guère besoin de s'occuper de leur cuisine, les fantassins, fort supérieurs aux cavaliers dans l'art culinaire, s'empressaient de partager avec les chasseurs le produit de leurs visites domiciliaires et bientôt l'union la plus parfaite fut établie entre les deux armes.
Le lendemain de mon arrivée à Ponti, je fus rendre visite au général de brigade Bartoletti, commandant à Peschiera ; cette place, avantageusement située sur les bords du lac de Garde, qui a plus de six lieues d'étendue, placée à l'embouchure du Mincio, est l'appui naturel de la ligne de cette rivière entre le lac et la place de Mantoue, par conséquent de la plus haute importance ; aussi peut-on considérer cette ligne fermée entre deux forteresses comme une autre frontière de la partie de l'Italie que nous voulions garantir de l'invasion autrichienne. Indépendamment des ouvrages et des moyens de défense naturels de Peschiera, le prince Eugène avait profité de la petite ville de Sermione, qui se prolonge vers le nord du lac d'où l'on communique facilement par eau avec la place. Il y avait une douzaine de bâtiments armés avec 400 hommes d'équipage et le bourg de Sermione était entouré d'un bon retranchement défendu par 500 hommes.
Je trouvai la place de Peschiera garnie de 60 bouches à feu et d'une garnison de 2500 hommes, ce qui rendait cette position formidable. Le général me demanda d'y ajouter 100 chevaux pour appuyer une sortie qu'il voulait faire ; mais je crus ne pas devoir obtempérer à son désir à moins d'ordre supérieur, l'assurant toutefois que je serais toujours à sa disposition lorsque notre assistance lui serait nécessaire, ayant reçu des instructions à cet égard. Nous demeurâmes ainsi quatre jours, n'ayant à repousser que de petites attaques assez insignifiantes ou des rencontres de petits postes …" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 245).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "… dans la nuit du 8, fort moelleusement étendu dans un bon lit, à la suite d'un excellent repas fait avec la famille du comte Emmili, je fus subitement réveillé par un de ses fils, introduisant dans ma chambre un ordonnance du général Fressinet m'apportant de sa part un pli qui me prescrivait de me trouver avant le jour avec tout mon monde près la tête de pont de Monzambano pour participer à une attaque générale sur la ligne, ordonnée par le Vice-roi sur l'avis que l'ennemi semblait faire des mouvements hostiles qu'il fallait prévenir.
Je répondis au général que ses ordres seraient ponctuellement exécutés ; puis, ayant quelques heures devant moi, je rentrai dans mon lit, et j'y terminai fort doucement ma nuit.
Rendu sur le terrain à 4 heures du matin, j'y trouvai la brigade du général Pégeot, se composant des 42e et 84e de ligne, qui débouchèrent aussitôt de Monzambano, appuyés de mes quatre escadrons, et enlevèrent à la baïonnette les premiers retranchements en avant de la rivière, tandis que le 62e, placé à notre gauche, prenait position pour soutenir cette attaque ; puis, pénétrant dans le village de Borena malgré la fusillade et la vive résistance de l'ennemi, il me fut ordonné de soutenir les voltigeurs du 84e et de gravir le mamelon de Monte-Bianco, rester en bataille et tenir ferme sans trop m'engager si nous étions obligés de charger.
Dans le même moment le général Bartoletti faisait sur notre extrême gauche une sortie de Peschiera à la tête de 1500 hommes, dont la fusillade prouvait qu'il repoussait l'ennemi. Le général Jeanin, de son côté, obtenait le même succès à droite, chassant les Autrichiens jusqu'à Rovorbella, dont il s'empara. Ces différents succès obtenus, il me fut prescrit d'envoyer, en toute hâte, deux détachements de 50 chevaux à droite et à gauche afin de soutenir l'infanterie des généraux Bartoletti et Jeanin.
Sur les midi, l'ennemi ayant reçu des renforts considérables et mis plusieurs pièces en batterie, le combat devint plus sérieux, sans pouvoir toutefois nous déloger des positions que nous avions enlevées. A deux heures, le général Fressinet, arrivant avec un bataillon du 84e sur le mamelon où nous étions toujours en bataille, salué par quatre pièces d'artillerie et un obusier et voyant les voltigeurs imprudemment engagés, m'ordonna de charger et de tâcher d'enlever les pièces soutenues par trois escadrons de hussards hongrois ; mais nous fumes si bien reçus par un bataillon du régiment de Bartenstein masqué par une sinuosité de terrain qu'il fallut y renoncer et reprendre notre position après avoir perdu un officier et cinq chasseurs tués par la mitraille. Cependant le général Fressinet, voulant avoir les pièces ou tout au moins les forcer à se retirer, lance le 84e à la baïonnette et m'ordonne de tourner l'ennemi ; alors, le combat s'engage de nouveau avec acharnement, et nous avions tout lieu d'espérer un succès, l'ennemi commençant à se retirer, lorsqu'un officier d'ordonnance du Vice-roi arrivant avec l'ordre de ne pas dépasser les positions prescrites, il nous fallut reprendre celles que nous venions de quitter ; ce qui ne put se faire qu'après avoir fourni deux charges contre les hussards hongrois afin de protéger le 84e fortement engagé et dans lesquelles nous perdîmes trois chasseurs tués et sept blessés.
Le Vice-roi, en ordonnant cette attaque générale sur la ligne du Mincio n'avait eu d'autre intention que de détruire tous les retranchements de l'ennemi ; ce but atteint sur notre point, il me fut ordonné de rester sur le mamelon jusqu'au moment où notre infanterie aurait repris ses postes de l'autre côté de la rivière, ce qui nous valut plusieurs boulets inoffensifs ; mais, à l'instant où nous exécutions notre mouvement rétrograde, nous trouvant à découvert, un obus vint éclater au milieu de nos rangs, y porter le désordre en tuant et blessant plusieurs chevaux. Le mien, frappé sous le ventre, m'emporte quelque cent pas, ses entrailles tramant à terre, et tombe mort sur la pente du mamelon, me laissant contusionné par la chute que je venais de faire au milieu des ronces et des cailloux ; l'abondance du sang que je perdais par une blessure à la tête fit croire aux chasseurs que j'avais été atteint mais, bientôt relevé, nous gagnâmes la rivière ou je me lavai et me bandai la tête avec mon mouchoir, me trouvant fort heureux d'en être quitte encore cette fois pour la perte de mon cheval. Nous trouvâmes, sur le bord du Mincio, le brave colonel Vauthier, du 84e, avec plusieurs officiers et soldats, nous attendant pour nous témoigner toute leur gratitude pour le dévouement avec lequel les chasseurs avaient soutenu leurs camarades ; quelques brocs de vin vinrent ajouter à cette honorable réception et nous nous quittâmes avec l'espoir de nous retrouver encore bientôt à même de prouver l'affection que nous avions les uns pour les autres. Cette reconnaissance, pendant laquelle notre infanterie se battit avec le plus grand courage, lui coûta cependant une quarantaine d'hommes l'ennemi, de son côté, y laissa une cinquantaine de morts et 185 prisonniers. Nous apprîmes le soir que le général Bartolotti, avec l'aide du détachement du 31e Chasseurs, avait fait 215 prisonniers, et que, sur le point de Goïto et de Mantoue, nous avions eu le même succès, mais que le brave général Caverone, à la sortie de cette place, avait eu la cuisse emportée par un boulet. Nous sûmes aussi que le comte de Bellegarde, qui s'était continuellement tenu sur la défensive pendant cette journée, avait craint que l'armée ne passât de nouveau le Mincio dans l'intention de lui livrer une nouvelle bataille" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 247).
Le 10 Mars, le Vice-Roi oblige les Autrichiens à se replier derrière l'Adige, autour de Vérone. Mais plus au Sud, la Toscane est perdue et Gênes est sous la pression.
12 Mars : Combat de Monzembano.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Le 15, je fus témoin d'un combat sur le lac de Garde, en vue de Torri, entre la flottille italienne de 12 barques canonnières, commandée par le capitaine Tempié, et la flottille autrichienne de 14 barques, sous les ordres du commandant Accurté.
Après une canonnade assez vive, la flottille autrichienne ayant eu trois barques coulées à fond, les autres furent obligées de s'échouer à la côte. Les Autrichiens eurent beaucoup de monde hors de combat, ainsi que les nôtres, parmi lesquels le capitaine Tempié très grièvement blessé ; le surlendemain, après être resté douze jours sur la ligne, je fus relevé par quatre escadrons du 1er Hussards commandés par le major (le colonel) Pécard et, aussitôt ma troupe rentrée dans les quartiers du régiment à Mandola et Castel-Gifreda, je vins présenter mes hommages au Vice-roi qui voulut bien me garder près de lui pendant deux jours ; il daigna, à cette bienveillance, ajouter celle de me donner un des chevaux du comte de Bellegarde dont nous avions enlevé les équipages dans la journée du 8 février, et m'apprit qu'une gratification en argent devait être donnée au détachement qui avait coopéré à cette prise.
Pendant les événements que je viens de décrire, le général Grenier continuait d'avoir des succès sur les Napolitains, malgré la présence du roi transfuge et l'appui des Autrichiens sous les ordres du général Nugent ; plusieurs engagements avaient eu lieu sur le Taro, dans lesquels le général Maucune avait déployé sa brillante valeur et battu continuellement l'ennemi ; mais ces avantages obtenus par notre armée ne calmaient pas la vive anxiété où nous étions sur les grands événements qui se passaient en France dont nous attendions si impatiemment des nouvelles" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 250).
Le 22, un détachement du régiment fait 215 prisonniers.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "Dans la journée du 22, le général Mermet réunit 25 escadrons et l'artillerie légère de sa division qu'il fit manœuvrer dans les vastes plaines de Castiglione, lieux célèbres dans nos fastes militaires par la victoire mémorable que remporta Bonaparte, alors général en chef de l'armée d'Italie.
Cinq jours après cette manœuvre, la lieutenance du général Verdier et la division de cavalerie, réunies dans la plaine de Pozuelo, sur les bords du Mincio, passèrent la revue du Vice-roi, qui nous fit faire pendant plusieurs heures différentes évolutions en présence des Autrichiens placés sur les bords de la rivière.
Le 3 avril, je reçus de nouveau l'ordre de me rendre sur la ligne, avec deux escadrons du régiment et deux du 1er Hussards. Pendant quatre jours nous restâmes tranquilles, mais, dans la journée du 8, nous apprîmes que la ligne autrichienne venait d'être renforcée de 7000 à 8000 hommes (Serviens), tandis que le comte de Bellegarde évacuait ses positions et ses deux camps pour concentrer son armée, partie à Villafranca et partie en arrière de Vérone ; cette circonstance, que la force numérique était loin de nécessiter, nous parut d'autant plus surprenante que nous apprîmes dans le même instant le départ du prince pour Mantoue avec son quartier général" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 251).
Le 11 Avril, Eugène apprend la chute de Paris et l'abdication de l'Empereur.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "... Dans la matinée du 11, prévenu qu'un officier parlementaire était à mes postes avancés, je m'y rendis aussitôt afin de connaître le motif de sa présence, mais quelle ne fut pas ma surprise en voyant, entre les mains des chasseurs et des hussards, une quantité de proclamations annonçant l'occupation de Paris par les armées étrangères, un armistice général jusqu'à la conclusion de la paix et enfin la déchéance de l'Empereur.
Cette nouvelle me parut tellement absurde par la manière déloyale dont elle était annoncée que je signifiai à l'officier de se retirer, et, faisant aussitôt monter à cheval, je fis attaquer un poste d'une quarantaine d'hommes qui fut enlevé à l'instant ; continuant de marcher en avant, nous étions à tirailler vers le village de Borona, dont j'étais sur le point de m'emparer, lorsqu'un aide de camp du général Fressinet m'apporta l'ordre de cesser toute agression et de rentrer dans ma position.
Ce même soir, je dus quitter la ligne du Mincio pour rejoindre le régiment à Mandola ; en y arrivant, j'appris que les bruits les plus sinistres circulaient dans la ville et qu'ils avaient une grande affinité avec les proclamations du matin. Nous restâmes ainsi pendant deux jours dans la plus grande anxiété, mais, dans la journée du 18 (13 ?), une proclamation du Vice-roi vint terminer toutes nos illusions en nous prouvant que la France et Napoléon venaient de subir le sort imposé par un million de baïonnettes étrangères.
PROCLAMATION DU VICE-ROI
Soldats français !
De longs malheurs ont pesé sur notre patrie ; la France, cherchant un remède à ses maux, s'est replacée sous son antique égide. Le sentiment de toutes ses souffrances s'efface déjà pour elle dans l'espoir du repos si nécessaire après tant d'agitations.
En apprenant la nouvelle de ces grands changements, votre premier regard s'est porté vers cette mère chérie qui vous rappelle dans son sein. Soldats français, vous allez reprendre le chemin de vos foyers.
Il m'eût été bien doux de pouvoir vous y ramener. Dans d'autres circonstances je n'aurais cédé à personne le soin de conduire au terme du repos les braves qui ont suivi avec un dévouement si noble et si constant le sentier de la gloire et de l'honneur.
Mais il est d'autres devoirs qui m'ordonnent de me séparer de vous.
Un peuple bon, généreux, fidèle, a des droits sur le restant de mon existence que je lui ai consacrée depuis dix ans. Aussi longtemps qu'il me sera permis de m'occuper de son bonheur qui fut toujours l'occupation la plus chère de ma vie, je ne demande pour moi aucune autre destination.
Soldats français ! en restant encore auprès de ce peuple, soyez certains que je n'oublierai jamais la confiance que vous m'avez témoignée au milieu des dangers, ainsi que dans les circonstances politiques les plus épineuses, et que mon attachement et ma reconnaissance vous suivront partout, ainsi que l'amour et l'estime du peuple italien.
Donné en notre quartier général de Mantoue, le 17 avril 1814.
EUGÈNE.
A la suite de cette proclamation si simple et si noble, le Vice-roi prévenait l'armée qu'il avait stipulé un traité avec le feld-maréchal comte de Bellegarde par lequel les troupes devaient se mettre en marche pour la France, avec tout leur matériel, les administrations, les magasins d'habillement et d'équipement sans que les Autrichiens pussent les suivre à plus de deux jours de distance ; il fut aussi convenu que les blessés et les malades resteraient dans les hôpitaux jusqu'à leur parfaite guérison sous la surveillance de médecins et commissaires français, pour, ensuite, être transportés dans leur patrie. Ce même jour, les généraux de division adressèrent au prince les adieux de l'armée en ces termes :
Monseigneur,
L'Armée française, avant de se mettre en mesure pour rentrer au sein de la patrie, se fait un devoir de mettre aux pieds de Votre Altesse Impériale les sentiments de reconnaissance et de respect dont elle est pénétrée pour votre auguste personne. L'Armée d'Italie sera toujours fière de son chef ; c'est pour elle un titre de gloire que d'avoir servi sous Votre Altesse Impériale. Puissiez-vous jouir de l'honneur et de la gloire que vous ont mérités vos belles et nobles qualités ! tel est le vœu de toute l'armée qui, ayant connu ces qualités dans tant d'occasions, en conservera éternellement le souvenir.
Mantoue, 17 avril 1814.
Le lieutenant général comte GRENIER ;
Les généraux de division Comte VERDIER ; comte VIGNOLLE, chef d'état-major général de l'armée ; baron FRESSINET ; baron QUESNEL ; comte DANTHOUARD ; baron SAINT-LAURENT ; baron MERMET ; baron DODE, du génie.
Cette séparation du Vice-roi d'avec l'armée fut vivement sentie par les soldats aussi bien que par les chefs ; en mon particulier, j'en éprouvai un chagrin véritable, mon attachement pour sa personne étant aussi sincère que la reconnaissance dont j'étais pénétré pour tout le bien qu'il m'avait fait et voulait me faire.
Je partis aussitôt pour Mantoue lui offrir mes hommages, mes regrets et mes vœux ; lorsqu'il m'aperçut, il me tendit la main : « Eh bien, mon cher d'Espinchal, me dit-il, tout est terminé, mais nous avons du moins la satisfaction d'avoir fait notre devoir jusqu'au dernier moment. Tu vas retourner en France, j'espère que tu m'y conserveras souvenir. Tu sais ce que je voulais faire pour toi, le sort en a décidé autrement, il faut se résigner ; au reste, l'avenir est encore bien gros d'événements. » J'avais les larmes dans les yeux ; je demandai à cet excellent prince la permission de l'embrasser, et je le quittai l'âme attristée et bourrelée de chagrin" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 251).
Après l'armistice, le 31e Chasseurs à cheval rentre en France et passe par Aix en Provence, Avignon et Cavaillon, Nîmes, puis Montpellier et ses environs.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "Le lieutenant général Grenier, en prenant le commandement en chef des troupes françaises pour l'évacuation de l'Italie, fit d'abord partir l'infanterie, le 18, suivie des administrations, de l'artillerie et des équipages ; la cavalerie devant marcher ensuite, laissant en arrière le 31e Chasseurs à un jour de distance pour former l'arrière-garde de l'armée. Notre première étape, en tournant nos regards vers la mère patrie, fut la ville de Castiglione, où nous vînmes coucher le 21 avril. Située au milieu d'une plaine immense, elle offrit à notre esprit le souvenir de cette mémorable campagne où Bonaparte marquait chaque jour par une nouvelle victoire. Celle de Castiglione fut une des plus célèbres : 15000 Français y battirent 42000. Autrichiens, firent 16000 prisonniers, et l'ennemi, dans une déroute complète, vint se réfugier derrière le Mincio et à Mantoue, dont la reddition se fit peu après. Plus tard, l'Empereur, en souvenir de ce brillant succès auquel le général Augereau avait puissamment contribué, institua en sa faveur un majorat de 100000 francs de rentes avec le titre de duc de Castiglione.
Nous fîmes, peu avant d'arriver en ville, nos adieux à une superbe colonne élevée sur la route en mémoire de cette victoire, bien convaincus que les Autrichiens, ne pouvant déchirer les pages de l'histoire, voudraient du moins détruire un monument parlant aux yeux.
Le lendemain, cinq milles avant d'arriver à Brescia par une route magnifique, nous passâmes par Monte-Chiaro, qui donne son nom à une vaste plaine traversée par la rivière de la Chiex, derrière laquelle se trouvait un camp retranché créé par Napoléon, pouvant contenir 25000 hommes.
On ne pouvait rien voir de plus gracieux, de plus élégant, joint aux fortifications et aux retranchements qui faisaient de cet endroit un poste de la plus haute importance.
Les baraques, toutes de la même forme, parfaitement alignées sur dix de profondeur, étaient entourées par des plantations qui offraient un coup d'œil charmant. La ville de Brescia, dans laquelle nous prîmes gite, est appuyée des coteaux qui se lient avec le Tyrol, coupés de vignes et de bois d'un effet très pittoresque la ville est grande, bien bâtie, percée de larges rues, renfermant de beaux palais la population y est considérable et le commerce assez étendu. Nous eûmes, dans la journée, des détails sur une insurrection qui venait d'éclater à Milan. Le peuple, oubliant la douce et bienfaisante administration du prince Eugène et instigué par des émissaires autrichiens, s'était livré aux plus grands excès, notamment sur le comte Prina, ministre des Finances, dont le palais avait été saccagé et détruit de fond en comble, après en avoir arraché cet homme respectable pour le massacrer impitoyablement. Il est même présumable que, sans le secours de la saine population qui prit les armes pour arrêter et réprimer ce ramassis de populace toujours prêt à commettre des crimes, le palais du Vice-roi eût éprouvé le même sort, lorsqu'on apprit son départ pour Munich.
Le général en chef comte Grenier, en apprenant cet événement, fit aussitôt partir le général Fressinet à la tête de sa division, dont la présence fit bientôt tout rentrer dans l'ordre et la tranquillité par l'énergie qu'il déploya, mais il ne put réparer l'affreux désastre qui avait eu lieu. Cependant le général, dans le bien de l'armée, ne voulant pas que sa mission fût inutile, exigea de la ville de Milan l'arriéré de solde qui était dû à sa division ; à cette demande, les autorités voulurent se soustraire par l'approche des Autrichiens qui n'étaient qu'à une petite journée de la ville ; mais le général ne se laissa pas intimider ; il fit mettre son artillerie en batterie, mèche allumée, fit prendre position à sa division et signifia aux Autrichiens que, s'ils faisaient un pas en avant, il leur livrerait combat, avec d'autant plus de raison qu'il avait droit de rester encore trois jours à Milan en vertu du traité passé entre le Vice-roi et le comte de Bellegarde. Cette énergique détermination, soutenue de 10000 baïonnettes, produisit son effet, et la ville, fort désireuse de se débarrasser de pareils hôtes, s'empressa de payer.
« Chiari, 23 avril.
Je ne pensais guère, mon père, lorsque je vous écrivais de Vérone, que nous fussions si près d'une catastrophe dont le résultat amènerait un changement tellement imprévu qu'on serait tenté de n'y pas croire, si la vérité n'était pas aussi constante. Ce phénomène, qui occupera une grande page dans l'histoire, m'afflige tellement que je n'ose vous dire toute ma pensée dans la crainte qu'elle ne soit pas conforme à la vôtre ; vous serez pourtant assez juste pour trouver tout simples mes regrets de l'anéantissement d'un état de choses qui laissait un si vaste champ à mes espérances dans la carrière que j'avais embrassée, surtout lorsque vous saurez que je touchais à la réalisation de mes désirs. La bataille du Mincio, dans laquelle j'avais été assez heureux pour mériter les éloges du Vice-roi, m'avait acquis de sa part une nouvelle preuve de ses bontés pour moi, et je serais aujourd'hui à la tête d'un des plus beaux et meilleurs régiments de France, sans l'événement extraordinaire et tout à fait imprévu qui vient détruire toutes mes espérances, sans prévoir même si l'on me laissera dans ma position présente. Le nouveau gouvernement qui va s'établir sera sans doute assailli par une foule d'intrigants toujours prêts à se prosterner au lever d'un pouvoir naissant ; mais je croirais manquer à ma conscience, à mon honneur et à la dignité de moi-même si j'accourais solliciter des faveurs en oubliant si vite la reconnaissance de celles dont j'étais l'objet. Je resterai donc tranquille spectateur de la grande curée qui doit être déjà commencée ; relevé par l'Empereur du serment que je lui avais prêté, je servirai le Roi avec la même fidélité et un dévouement aussi constant et j'attendrai qu'il m'accorde ce que je tâcherai de mériter. En attendant, nous allons rentrer en France dans la plus complète ignorance sur le sort qui nous attend et, si jamais l'on a pu dire que les militaires doivent toujours être impassibles et soumis aux faits accomplis, nous en sommes, en ce moment, un exemple frappant par le calme et la résignation dont nous faisons preuve en obéissant aveuglément aux ordres qui nous sont donnés ; cet exemple, j'espère, prouvera tout ce que Louis XVIII peut attendre de l'armée, et le meilleur conseil qu'on puisse lui donner, c'est qu'il sache en profiter.
Nous sommes en marche pour la France depuis trois jours, mais ce n'est qu'à Turin que les troupes recevront leurs différentes directions pour les garnisons qu'elles doivent occuper, ce dont je vous informerai aussitôt que nous connaîtrons la nôtre. Je prends aujourd'hui même le commandement supérieur du régiment, le colonel partant pour Turin afin d'obtenir du général en chef l'autorisation d'aller dans ses foyers y soigner sa santé gravement compromise, joint à une ancienne blessure qui s'est rouverte et l'empêche de monter à cheval ; le motif de ce départ m'afflige beaucoup, non seulement par les rapports intimes qui existent entre nous, mais aussi par une responsabilité qui me serait moins pénible si je devais la garder toujours, ainsi qu'il en eût été sans les événements survenus ; mais enfin, je ferai tout comme, et j'espère, en imitant mon digne chef, maintenir, parmi les braves chasseurs du 31e, le bon esprit et la discipline dont ils n'ont cessé d'être animés jusqu'à ce jour.
Adieu, mon père, je vous embrasse aussi tendrement que je vous aime. »
Favorisés par un temps superbe, nous suivîmes, dans la journée du 24, une route magnifique, plantée d'arbres et bordée par des ruisseaux arrosant de belles prairies, des vergers et de délicieuses villas ; nous traversâmes ainsi la ville de Romanengo après avoir passé la rivière d'Oglio, et nous arrivâmes de bonne heure à la grande et belle ville de Crema, située près de la rivière du Serio, qui éprouva en 1802 un tremblement de terre assez violent pour détruire plusieurs monuments et une grande quantité de maisons ; ce sinistre événement fut suivi d'une émigration considérable des premières familles du pays ; cependant lorsque nous passâmes dans cette ville, sa population était encore de 30000 âmes. Avant d'arriver à Lodi, où nous vînmes coucher le 25, on traverse l'Aida sur un pont célèbre, où le général Augereau, un drapeau en main, marchant à la tête de ses troupes, culbuta l'ennemi et décida la victoire de ce nom. Nous trouvâmes la ville en complète révolution ; les habitants avaient pris une nouvelle cocarde et prétendaient se créer un gouvernement à leur guise. Ce burlesque épisode, auquel nous devenions tout à fait étrangers, me fit cependant prendre toutes les mesures nécessaires pour que notre tranquillité ne fût pas troublée. Mais, dans la soirée, prévenu que l'intention des perturbateurs était de détruire un monument élevé au milieu de la place en l'honneur de l'armée française, je signifiai au podestat que je ne supporterais pas de voir flétrir nos trophées en notre présence, le rendant responsable de tout ce qui pourrait en advenir ; et, plaçant deux escadrons de service sur la place, j'ordonnai de disperser tous les groupes de plus de quatre personnes et de les charger en cas de résistance. Cette menace, jointe aux continuelles patrouilles circulant dans la ville, amortit bientôt l'effervescence des turbulents, et tout rentra dans l'ordre sans être obligé d'employer les moyens de rigueur. Cependant, bien convaincu qu'aussitôt notre départ cet acte de vandalisme serait exécuté, je crus de mon devoir de le retarder le plus possible et l'occasion qui s'en présentait était trop favorable pour ne pas la saisir.
Je savais que le général Sommariva, commandant l'avant-garde des troupes autrichiennes, suivant notre marche, venait d'arriver à Lodi de sa personne, et, par une coïncidence assez particulière, je me trouvai logé chez le comte Emerico Vestarini, homme du plus grand mérite, très dévoué aux Français, et dont la femme, demoiselle de Sommariva, était nièce du général. Je fus lui rendre visite en apprenant que, par un procédé délicat, il n'avait pas voulu descendre chez sa nièce lorsqu'il sut que sa maison était occupée par le commandant du régiment français et combien il eût été inconvenant qu'il fût sous la garde de mon factionnaire.
Le général me reçut avec toutes sortes de prévenances et d'honnêteté, paraissant très affecté de l'insurrection imprudente des habitants ; je le prévins de l'intention où j'étais de laisser le lendemain deux escadrons en ville avec l'ordre de n'en sortir qu'à l'arrivée de ses troupes afin d'empêcher la destruction du monument ; il eût bien certainement préféré que cette vengeance d'amour-propre fût exécutée par les habitants, mais, en homme sage et prudent, craignant les excès d'une populace ivre qui ne demandait que trouble et désastre, il se fit un mérite d'accéder à mes désirs et fit aussitôt partir un exprès portant l'ordre à un régiment de uhlans de se trouver le lendemain à six heures du matin aux portes de la ville. En effet, ce régiment entrait dans Lodi au même instant où nous en sortions, et j'ignore si, depuis, l'on a détruit ce monument élevé à la gloire de l'armée française.
En arrivant à Pavie nous ne pûmes douter du peu de sympathie des habitants par l'expression de leur joie en nous voyant abandonner l'Italie. Cette ville, si célèbre par la bataille livrée en 1525, dans laquelle François 1er devint le prisonnier de Charles-Quint, fut, deux ans après, saccagée par le maréchal de Lautrec pour venger l'affront reçu par la France ; mais il était un autre souvenir encore plus présent à la mémoire des habitants, c'est qu'en 1796, ils avaient éprouvé toutes les horreurs d'un pillage à la suite d'un combat sanglant ; il faut cependant ajouter que cette terrible vengeance avait été provoquée par l'affreux massacre de 200 prisonniers français blessés et laissas par les Autrichiens sous la sauvegarde de la population. Nous n'eûmes cependant aucun motif de répression, et notre séjour y fut tranquille. La ville de Pavie, grande, peuplée, est située sur le Tessin, où se trouve un pont magnifique ; elle renferme une bibliothèque remarquable par ses manuscrits, un cabinet d'histoire naturelle fort estimé et d'autres monuments qui rendent cette ville fort intéressante. Nous devions, d'après les ordres que j'avais reçus, faire séjour à Pavie ; mais l'arrivée de la division Fressinet venant de Milan ayant changé ces dispositions, nous dûmes lui faire place pour nous rendre à Mortara, jolie ville, fort avantageusement située, dans laquelle nous restâmes trois jours. Une garnison suisse qui y était restée fort longtemps avait laissé des souvenirs d'autant moins équivoques que presque toute la jeunesse, au teint blanc et frais et à la chevelure blonde, ne laissait aucun doute sur les droits de paternité acquis par les Grisons ; aussi les femmes, généralement très jolies, avaient-elles dans leurs manières des allures qui nous rendirent le séjour de cette ville on ne peut plus agréable.
Le lendemain de notre arrivée à Mortara, je reçus du général Bonnemain l'ordre d'envoyer un détachement de 50 chasseurs pour faire couper un pont sur le Tessin afin de modérer la marche un peu trop hâtive des Autrichiens, auxquels il envoya le capitaine Servilla, son aide de camp, leur déclarer qu'il était déterminé à les repousser par la force s'ils n'agissaient pas conformément aux conventions qui avaient été faites. Il me fut aussi prescrit, ce même jour, de demander aux officiers du régiment leur adhésion à la reconnaissance de Louis XVIII et de faire prendre la cocarde blanche dans le plus bref délai possible.
Nous quittâmes, non sans quelques regrets, la ville de Mortara, le 30, pour continuer notre vie nomade, sans prévoir encore le but que nous devions atteindre ; mais le pays que nous parcourions était tellement beau et la température si douce qu'il nous eût été fort agréable de voyager de cette manière sans la nécessité qui nous en imposait la loi ; heureusement, la philosophie venant au secours de tant d'illusions déçues, nous acceptions le présent avec insouciance sans chercher à approfondir un avenir inconnu. La ville de Novare, dans laquelle nous arrivâmes de très bonne heure, était occupée depuis la veille par la division Fressinet dont je devais former l'arrière-garde jusqu'à Turin.
Des ordres venus de Paris, transmis par le comte Grenier, prescrivaient au général, de la manière la plus formelle, de s'opposer avec la plus grande énergie et même par la voie des armes, à la marche déloyale des Autrichiens contrairement aux traités passés ; cette mesure, qui semblait incompatible avec la nouvelle situation dans laquelle se trouvait Louis XVIII, avait un but qui nous fut bientôt expliqué. Le prince Borghèse, gouverneur du Piémont, beau-frère de Napoléon, en oubli de toutes les lois de l'honneur, avait contracté un traité secret avec l'Autriche, par lequel il s'engageait à livrer à cette puissance toutes les places fortes de ce pays en les faisant évacuer sur-le-champ par les troupes françaises ; cette indigne lâcheté exaspéra tellement la population de Turin, lorsqu'elle apprit cette infamie, que le prince eut à peine le temps d'échapper à la fureur du peuple en fuyant sur Rome pour y porter sa honte et son déshonneur ; ce fut alors que l'empereur Alexandre, de concert avec les autres puissances, déclara que le roi de Sardaigne reprendrait possession de ses États et que les Français y resteraient un temps déterminé, en s'opposant jusqu'à cette époque à la marche des Autrichiens.
Le général Fressinet, en recevant les ordres du comte Grenier, fit aussitôt prendre position en dehors de la ville à une brigade d'infanterie, et un officier d'état-major, envoyé au comte de Bellegarde, le prévint des dispositions qui venaient d'être prises en raison des instructions arrivées de Paris. Cet appareil nous fit d'autant mieux espérer un moment que nous allions encore nous mesurer avec les Autrichiens que ceux-ci, ne tenant aucun compte de l'avis qu'on venait de leur donner, continuaient de marcher et qu'on voyait déjà leur avant-garde dans la plaine à portée de canon. Le général Fressinet, fort de son droit et auquel le courage ne fit jamais défaut, ordonna sur-le-champ au 31e Chasseurs de sortir de la ville et de se former en bataille ; les pièces furent mises en batterie, la mèche allumée et, m'appelant près de lui, il m'enjoignit de me rendre près du général autrichien commandant l'avant-garde, pour lui signifier que, s'il ne se retirait à l'instant, il allait être attaqué.
Arrivé près d'un groupe d'officiers et accompagné de l'adjudant-major, on me désigna quelques pas plus loin le comte de Bellegarde, à pied, entouré de son état-major. Il me reçut avec la plus grande honnêteté tout en me témoignant sa surprise des dispositions hostiles que nous semblions prendre.
« Monsieur le général, lui dis-je, si Votre Excellence veut bien prendre connaissance des pièces officielles dont je suis porteur, elle verra que le général Fressinet n'agit qu'en vertu des ordres reçus de Paris, et il espère que vous voudrez bien y avoir égard, car il est formellement décidé à s'y conformer. »
Le comte de Bellegarde, après avoir lu les papiers que je lui présentais, se retira quelques moments avec plusieurs généraux et, me les rendant, me dit que ses troupes allaient retourner à Pavie pour y attendre de Paris des instructions que bien probablement il allait recevoir, et qu'il en donnerait aussitôt connaissance au général Fressinet, auquel je vins rendre compte de ma mission et qui fit aussitôt rentrer les troupes en ville.
Les quelques jours que nous passâmes à Novare virent revenir parmi nous un assez grand nombre de militaires restés dans les hôpitaux ; le général passa la revue des troupes sous son commandement, et nos musiques se firent entendre pour la dernière fois aux Novarais affluant sur les promenades, où nous aperçûmes assez généralement peu de regrets sur notre départ ; il faut cependant dire que ce sentiment était plus particulièrement exprimé par le peuple, qui, ici comme ailleurs, se complaît dans le changement avec l'espérance d'un mieux qui se trouve rarement.
Je fis, pendant notre séjour, la rencontre de deux jeunes et jolies Françaises venant de Naples ; l'une était la femme du général Dest..., au service de Naples, l'autre la comtesse de Car..., dame d'honneur de la reine et citée comme un des plus beaux ornements de la cour ; ces deux dames, effrayées de se trouver seules dans leurs voitures au milieu de la nombreuse société qu'elles devaient rencontrer journellement jusqu'à Turin, acceptèrent l'offre que je leur fis de voyager sous la protection du régiment et voulurent bien permettre que je devinsse leur chevalier pendant les quelques jours que nous avions encore à marcher pour atteindre cette ville. Cependant, l'embarras consistait dans la manière de pouvoir les loger dans nos étapes ; mais, après avoir bien agité cette question, il fut convenu, au milieu de bruyants éclats de rire, que la comtesse de Car... serait ma belle-sœur avec son amie ayant quitté Livourne dans l'intention d'aller rejoindre son mari à Paris. Au moyen de ce passeport qui ne pouvait prêter à aucune maligne interprétation, nous commençâmes, dès la veille du départ, à vivre dans une intimité d'autant plus naturelle que j'occupais à Novare l'hôtel où ces dames étaient descendues.
Le lendemain, nous arrivâmes à la jolie ville de Verceil, où nous eûmes pour gite la belle maison du marquis de Monti, qui avait laissé les ordres les plus précis pour y recevoir convenablement l'officier qui serait logé chez lui ; aussi l'intendant s'empressa-t-il de satisfaire aux volontés de son maître en nous offrant de fort beaux appartements et nous mettant à même d'apprécier le talent d'un cuisinier de grand mérite mais, le jour suivant, ma belle-sœur et son amie eurent à supporter les vicissitudes attachées à notre état. Obligé de quitter la grande route pour éviter l’encombrement des troupes, je reçus du général Fressinet l'ordre de me diriger dans les terres et d'aller m'établir au bourg de Livorno, et, pour y arriver, nous fûmes contraints de traverser un pays marécageux, dans lequel la voiture des deux voyageuses, pesamment chargée, fut plusieurs fois menacée de s'engloutir ; cet inconvénient, paré à l'aide des chasseurs, ne devait pas être le moindre de la journée ; car, en arrivant à Livorno, la seule maison convenable de l'endroit étant le presbytère, nous y fûmes installés ; en toute autre circonstance, je m'en serais parfaitement contenté et ma présence n'eût probablement pas effarouché le curé ; mais l'aspect de deux jeunes femmes sous le costume le plus coquet, ayant les manières libres et aisées du grand monde, produisit sur le vénérable pasteur une impression qu'il lui fut difficile de réprimer ; cependant la nécessité de nous recevoir devenant une loi impérative, il en subit avec résignation toutes les conséquences, et, mettant à notre disposition son modeste garde-manger, sa cave et sa basse-cour, un de mes chasseurs trouva le moyen de nous donner une assez bonne collation à laquelle voulut bien participer notre respectable hôte. Le soir arrivé, prétextant l'obligation d'assister le lendemain de grand matin à un service qui devait avoir lieu dans une paroisse voisine, il nous abandonna aux soins de sa fidèle servante, qui nous mit en possession de deux petites chambres fort propres, dont l'exiguïté des meubles prouvait la modicité du casuel de la cure.
Ce nouvel épisode dans le voyage de mes deux jolies compagnes les ravit de contentement, et lorsque nous quittâmes le lendemain ce toit hospitalier, elles laissèrent 100 francs pour les pauvres de l'endroit, que j'accompagnai d'une pièce d'or à la gouvernante, qui aurait, je crois, consenti à ce prix à recevoir souvent de semblables visites. Nous éprouvâmes les mêmes difficultés en quittant ce détestable pays que nous avions eues à y entrer ; cependant, nous finîmes par en sortir sans malencontre, et rejoignîmes, sur les midi, la grande route qui nous conduisit à la ville de Volpian, où, sans être aussi saintement logés que la veille, nous fûmes fort agréablement établis chez un riche propriétaire qui nous reçut avec le plus grand empressement et nous fit passer trois jours en fête, au milieu de sa nombreuse et charmante famille.
La ville de Turin, dont nous n'étions plus éloignés que de quatre lieues, se trouvait tellement encombrée de troupes attendant leurs destinations et les différentes directions qu'elles devaient prendre pour passer les Alpes, qu'on fut obligé d'en faire cantonner une partie dans les environs. La cavalerie fut envoyée huit lieues en avant, sur la route de Coni, sa marche devant avoir lieu par le col de Tende. La division Fressinet resta en arrière, et je reçus l'ordre de n'entrer à Turin qu'après elle, afin de protéger l'entière évacuation de cette ville. Fort heureusement, nous n'avions que peu de jours à rester dans les quartiers que nous dûmes occuper, car la quantité de marais et de rizières dont nous étions entourés les rendant très insalubres, les fièvres se seraient bientôt mises parmi la troupe ; aussi les habitants de cette contrée avaient-ils généralement le teint blême et maladif, résultat de ces graves inconvénients. Lorsque nous arrivâmes à Turin, bien que la ville eût été évacuée par une grande partie des troupes, il en restait encore assez, joint aux administrations, pour qu'elle fût dans la confusion et l'encombrement ; cependant j'obtins un superbe logement dans le beau palais du comte Ponte de Lombriasco, occupé la veille par le général Jeanin parti avec sa brigade pour passer le Mont-Cenis.
Le comte Grenier, près duquel je m'empressai de me rendre afin de recevoir ses ordres, m'apprit que le 31e Chasseurs devait terminer l'évacuation de Turin et se diriger ensuite sur le col de Tende, ainsi que toute la cavalerie alors en marche sur ce point, tandis que le général Bonnemain, avec le 19e Chasseurs, devait nous attendre à Savillano, distant de 12 lieues de Turin. Le comte Grenier me prescrivit aussi de la manière la plus formelle de faire prendre dans la journée la cocarde blanche au régiment, de maintenir la plus exacte discipline et d'avoir toujours mes hommes prêts à monter à cheval, l'esprit du peuple ne nous étant guère favorable, et, après m'avoir donné ses instructions sur la conduite que j'avais à tenir pour l'évacuation de la ville, il me fit ses adieux en m'annonçant qu'appelé à Paris comme un des membres du gouvernement provisoire, il partait dans la nuit. Mais, déjà, la démoralisation s'était emparée de l'armée ces braves soldats qui avaient donné de si grandes preuves de courage et de dévouement sur le champ de bataille, sachant qu'ils n'avaient plus d'ennemi à combattre, oubliaient en grand nombre qu'ils ne devaient jamais abandonner leurs drapeaux ; l'infanterie surtout désertait par bandes, sans attendre même le passage des Alpes, et, par un inconcevable vertige, quantité de soldats, séduits par les fallacieuses promesses de nombreux embaucheurs autrichiens et piémontais, les avaient suivis sans considérer qu'ils se déshonoraient et renonçaient à leur patrie, joint à la terrible répression infligée aux déserteurs. Informé dans la journée que huit chasseurs avaient succombé à ce fatal exemple, je fis aussitôt monter à cheval le régiment pour lui faire connaître l'infâme conduite des chasseurs qui avaient ignominieusement abandonné leurs étendards pour entrer dans les rangs de ceux qui, la veille encore, étaient nos ennemis, et, rappelant au 31e la gloire dont il s'était couvert, la réputation brillante dont il jouissait dans l'armée, j'invoquai son honneur en l'engageant à persévérer dans la ligne de ses devoirs, lui promettant qu'aussitôt arrivés dans nos garnisons, l'arriéré de solde qui était dû serait payé intégralement et que des congés seraient donnés.
Après cette allocution, à laquelle j'ajoutai que tout déserteur repris devait s'attendre aux terribles conséquences d'un pareil délit, les chasseurs, agitant leurs sabres avec énergie, jurèrent de me suivre et d'être fidèles à leurs devoirs. Le soir même, trois des huit chasseurs qui avaient déserté la veille vinrent implorer leur pardon et rentrèrent dans les rangs. L'artillerie partie dans la nuit en suivant la route du Mont-Cenis, tandis que d'autres colonnes prenaient celles du Val-Stura, le col de la Madeleine, la route de Fenestrelle et le Mont-Genève. C'est ainsi que les Français abandonnèrent cette belle et douce Italie, où depuis si longtemps ils étaient établis par la victoire et les conquêtes ; cependant, notre armée avait la consolation de penser qu'elle n'en était pas expulsée par la force des armes, mais seulement à la suite des événements auxquels elle était étrangère.
Ce fut avec un véritable regret que je dus me séparer de mes deux belles compagnes de voyage, qui firent, aussitôt notre arrivée, leurs dispositions pour passer le Mont-Cenis et se rendre à Paris, en me laissant l'espoir de les y retrouver un jour, et me promettant un souvenir que j'étais bien certain de garder toujours.
D'après les ordres que j'avais reçus, le 31e Chasseurs devait quitter Turin le 7 mai, à midi, ne laissant derrière lui ni troupes ni détachements.
Vers dix heures, nous étions en bataille sur la grande place du Palais, attendant l'heure indiquée pour abandonner cette belle capitale que sa proximité avec la France avait initiée à nos mœurs, nos usages et nos habitudes. Cependant, il faut le dire, les Piémontais, tout en servant l'Empire avec honneur et fidélité, n'avaient pas cessé de conserver un culte religieux pour la maison de Savoie ; aussi apprirent-ils avec une joie indicible le retour de cette famille au trône qui lui avait été enlevé, et témoignèrent-ils, par leur enthousiasme, l'affection dont ils étaient pénétrés ; mais le peuple, toujours extrême dans ses sentiments, ne gardant aucune mesure dans sa conduite, aurait volontiers témoigné son amour par des actes de provocation et même de cruauté ; la veille, plusieurs soldats avaient été assassinés, et déjà se formaient autour de nous des groupes nombreux, qui grossissaient à tout instant avec des démonstrations hostiles précédées par des cris non équivoques.
Sentant la position critique dans laquelle nous étions, sans appui au dehors et au milieu d'une population aussi nombreuse, mais en même temps bien déterminé à remplir mon mandat, je fis, en présence du peuple, charger les carabines et les pistolets, tout on me rappelant que je m'étais tiré d'une semblable position le 27 mai 1813, lors de l'évacuation de Madrid.
L'attitude calme et martiale de 900 chasseurs, prêts à repousser avec vigueur la moindre agression, en imposa et fit aussitôt cesser les clameurs.
Lorsque l'horloge de la ville sonna midi, nous quittâmes tranquillement Turin, le sabre en main, faisant nos adieux aux habitants au bruit de nos fanfares et abandonnant une ville que l'Empereur avait constamment favorisée de sa sollicitude particulière et considérablement embellie par sa munificence impériale.
Nous suivîmes une route magnifique, conduisant à la jolie ville de Carignan. Peu après, nous passâmes le Pô, et, sur les cinq heures du soir, nous arrivâmes à Raconis, lieu de notre étape.
Le lendemain matin, en la quittant, j'appris avec chagrin que, malgré la surveillance des officiers et sous-officiers, neuf chasseurs avaient déserté pendant la nuit avec leurs chevaux et leurs armes, et je sus, par les renseignements que je parvins à obtenir, qu'ils s'étalent dirigés sur Turin. Cet événement me faisant craindre qu'il ne fût suivi d'autres semblables, je pris à cet égard les ordres du général Bonnemain en traversant la ville de Savigliano, où il se trouvait avec le 19e Chasseurs. Il me prescrivit de mettre à l'ordre du régiment qu'un conseil, venait d'être formé pour faire fusiller les racoleurs et les déserteurs qu'on parviendrait à saisir. Malheureusement cette mesure ne produisit aucun effet ; la ville de Fossano, dans laquelle nous restâmes trois jours, se trouvant ouverte de toutes parts, la surveillance la plus active et plusieurs appels chaque jour ne purent empêcher la fuite de 30 chasseurs qui emmenèrent leurs chevaux avec eux. Cette calamité était d'autant plus effrayante que les habitants y participaient par leurs conseils et que les chasseurs n'ignoraient point qu'on payait le cheval tout équipé 300 francs, et que l'homme était incorporé dans un régiment de la garde royale piémontaise qui se formait à Turin. Je pris le parti d'établir une surveillance par les chasseurs de la compagnie d'élite et les lanciers dont aucun n'avait déserté, espérant qu'en nous éloignant, et une fois le col de Tende passé, ce qui demandait trois jours de marche, ce désastre cesserait. Nous arrivâmes le 11 à Coni, chef-lieu du département de la Stura, dont le préfet, M. le Pelletier d'Aunay, un de mes parents et amis, venait de partir, abandonnant une administration qu'il n'avait plus le droit de régir, mais emportant l'estime et le regret des habitants. Cette jolie ville, dans une situation charmante au confluent de la rivière de Gesse et de la Stura, avait, d'un côté, la perspective des Alpes avec son bonnet de neige et, de l'autre, les belles plaines d'Italie que nous laissions derrière nous avec de bien vifs regrets.
Nous eûmes dans la journée une nouvelle désertion de trois hommes, mais un ayant été repris, le conseil de guerre, réuni sur-le-champ, le condamna à la peine de mort, et il dut être passé par les armes le lendemain ; cet exemple terrible devenait trop nécessaire pour qu'il n'eût pas son exécution, aussi prit-on les mesures les plus sévères pour que le coupable ne puisse échapper au sort qui lui était réservé.
J'appris aussi dans la soirée que le fournisseur de la ville, chargé de livrer trois jours de viande sur pied (le pays que nous avions à parcourir n'offrant aucune ressource), venait de faire partir pour notre étape du lendemain six bœufs dont la peau seule pouvait offrir quelque valeur ; indigné de cette friponnerie qui nous exposait à mourir de faim, je fis arrêter le délinquant en attendant que l'autorité locale eût fait justice de cette prévarication ; mais, malheureusement pour lui, enfermé au corps-de-garde, les chasseurs, informés de son délit, se crurent dans le droit de lui infliger une punition préparatoire à cet effet, le déshabillant et le plaçant dans une couverture de cheval en compagnie de deux paires de bottes garnies de longs éperons et d'un chat auquel on avait attaché les pattes de manière qu'il ne put fuir, on le fit bondir comme un volant sur une raquette pendant quelques instants à la satisfaction générale de tout le poste et, le portant ensuite dans le bassin d'une fontaine placée non loin de là, on le plongea à plusieurs reprises dedans et il eût peut-être fini par rester au fond sans l'arrivée d'un officier attiré par les cris de la victime ; cette justice expéditive, qui fut sévèrement réprimée, n'empêcha pourtant pas le coupable fournisseur d'être condamné par le comte Lingamasso, vice-préfet, à nous fournir la même quantité de bestiaux en première qualité, nonobstant ceux qu'il avait déjà livrés qui restèrent en notre possession. Le lendemain matin, au moment du départ de Coni, devait avoir lieu cette affreuse exécution, malgré l'intercession des autorités de la ville et de nombreux habitants ; tout en déplorant le sort de ce pauvre jeune homme que j'eusse alors désiré savoir bien loin, il ne m'appartenait pas de lui éviter sa fatale destinée ; les lois militaires, dont la justice est si prompte et si terrible, n'admettent pas les faux-fuyants de la chicane et un fait accompli doit subir le châtiment de son crime.
Celui de désertion à l'ennemi avec armes et bagages est irrémissible rien ne pouvait donc sauver cette malheureuse victime mais il fallait espérer que ce terrible exemple produirait une salutaire impression et qu'on ne serait point obligé de le renouveler. L'infortuné jeune homme, qui avait passé toute la nuit en compagnie d'un ecclésiastique, conduit en dehors de la ville par un détachement à pied de vingt chasseurs, fut placé à cinquante pas de distance du régiment en bataille et à cheval, où, après l'avoir dépouillé de son uniforme et lui avoir bandé les yeux, l'adjudant ordonna le feu. Aussitôt après, la troupe défila devant son corps et se mit en marche pour Limone. La route que l'on suit pour arriver à ce vilain endroit se rétrécissait tellement en remontant la Stura, qu'il eût été impossible d'y faire passer une voiture au milieu des amas de rochers et des ravins produits par la chute des eaux lors des grandes pluies et de la fonte des neiges ; aussi, pouvais-je difficilement concevoir une aussi considérable agglomération de maisons, généralement mal bâties et surtout fort sales, placées d'une manière si dangereuse aux pieds de cette partie des Alpes que nous devions commencer de gravir le lendemain. L'autorité locale avait fait venir plus de cinq cents paysans, occupés depuis plusieurs jours à ouvrir un passage au milieu des neiges amoncelées à plus de 60 pieds au-dessus de nos têtes, qui nous eussent infailliblement engloutis à la moindre tourmente.
Le col de Tende n'est vraiment praticable que trois mois de l'année ; l'époque où nous le traversions offrait les plus grands dangers, la neige commençant à s'affaisser et la cristallisation étant moins ferme ; aussi fallait-il maintenir de grands intervalles dans la troupe afin qu'elle ne fût pas toute écrasée dans le cas d'une avalanche, ce qui arrive assez fréquemment.
Nous trouvâmes, à peu près au tiers de la montagne, les vestiges d'un monument, jadis un couvent, dont les restes, encore assez solides, servaient de refuge à une famille de montagnards, aux manières rudes et sauvages, peu faites pour inspirer de la confiance aux voyageurs contraints de traverser cet horrible pays.
Deux chasseurs non montés ayant eu l'imprudence de s'y arrêter pour allumer leur pipe et boire de l'eau-de-vie, y furent complètement dévalisés par une quinzaine de bandits qui voulurent bien ne pas les massacrer ; ces malheureux arrivèrent le soir à l'étape dans l'état le Plus piteux, n'ayant pour tout vêtement que la chemise et un caleçon de toile qu'on leur avait laissés ; il fallut tous les soins imaginables pour les rétablir, et sans la frayeur qui leur donna des jambes, ils eussent infailliblement péri s'ils se fussent arrêtés un seul instant, leurs membres se seraient engourdis et la mort eût été instantanée.
Nous atteignîmes enfin, après cinq heures de marche, le sommet de la montagne d'où l'on descend pour arriver, au bout d'une heure et demie, à la vilaine petite ville de Tende, jadis défendue par une forteresse détruite lors des premières campagnes d'Italie ; non loin de cet endroit se trouve la ville de Saorgio, place forte entièrement démantelée qui résista aux Français pendant près d'une année. Tende ne pouvant contenir toute la troupe, plusieurs compagnies furent détachées dans le bourg de Briga et au village de Fontan.
La température de ce pays est assez douce : il n'y avait pas vestige de neige et l'on y voyait quantité de figuiers et d'oliviers. Les habitants placés au fond de cet entonnoir semblaient se suffire à eux-mêmes, s'occupant tellement peu des intérêts de l'Europe qu'ils ignoraient complètement les événements qui venaient de les replacer sous l'autorité du roi de Sardaigne ; depuis plus de deux ans, aucun passage de troupes ne les avait troublés, vivant dans un isolement dont ils ne paraissaient nullement désirer de sortir.
En quittant Tende, on monte le col de Brouis, que l'on descend ensuite pour arriver à Sospello, qui n'a d'autre avantage que de pouvoir abriter les voyageurs fort heureusement, les bestiaux de notre fripon de fournisseur de Coni vinrent à notre secours, car nous n'aurions trouvé, pendant nos différentes ascensions, aucun moyen d'existence, pas même la bienfaisante pomme de terre.
La quatrième journée fut encore employée à gravir le col de Berra, du sommet duquel on découvre la délicieuse plaine de Nice, que nous devions parcourir le lendemain ; il ne fallait rien moins que cette perspective pour nous faire prendre patience sur l'épouvantable gite du bourg de Savena, où, dans ma mauvaise humeur, je fis une petite exécution militaire afin d'obtenir la restitution de plusieurs vols commis par les habitants au préjudice des chasseurs.
La plaine que l'on suit après avoir passé les Alpes offre un coup d'œil enchanteur par la richesse de la culture, ses champs d'oliviers, de citronniers et d'orangers, ses jolies bastides, habitations de luxe et de plaisir, entourées de ravissants jardins, enfin une température douce et suave qui rend cette contrée un des plus délicieux pays du monde.
C'est au milieu de toutes ces séductions de la nature que nous atteignîmes la jolie ville de Nice qui, après avoir été pendant vingt ans le chef-lieu du département des Alpes-Maritimes, échappait à la France pour rentrer sous la puissance de la maison de Savoie. Cette perte, qui fut la conséquence de la Restauration, n'est pas une des moindres que nous ayons éprouvées : sa proximité avec la Provence et la Méditerranée étant d'un immense avantage pour le commerce, dont les débouchés servaient à enrichir le pays.
Nice est, pour ainsi dire, bâtie sur un amphithéâtre de rochers qui s'avancent dans la mer ; en y arrivant, on se sent impressionné d'une émotion douce et ravissante que vous porte un suave vent du Midi, tout chargé des émanations des orangers couverts de fleurs et de fruits ; cette contrée est dans un climat bienfaisant avec un hiver sans glace qui même dure à peine deux mois.
Lorsque nous arrivâmes à Nice, 500 hussards hongrois en occupaient une partie des faubourgs, et plusieurs rixes sérieuses avaient déjà eu lieu entre ceux-ci et les colonnes françaises revenant d'Italie qui nous avaient précédés. Prévenu de cette circonstance par le brave général Eberlé commandant encore la citadelle en attendant qu'un Piémontais vint le remplacer, des ordres furent donnés pour éviter tout contact entre les chasseurs et les hussards, et il fut prescrit aux officiers d'observer la plus grande surveillance pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité pendant notre présence en ville qui devait être de trois jours, par la nécessité de réparer la ferrure presque entièrement tombée en traversant les montagnes.
La troupe eut d'excellents quartiers, et mon logement fut désigné chez un riche banquier de cette ville (M. Avigdor), dont l'accueil cordial et empressé me mit en rapport avec sa nombreuse et aimable famille mais ce qui m'intéressa au dernier point fut d'y rencontrer dans la soirée sir Tower, capitaine de frégate anglais, arrivant de l'île d'Elbe où il était resté trois jours près de Napoléon ; les détails qu'il donnait sur l'illustre proscrit, dont il paraissait grand admirateur, offraient des particularités du plus grand intérêt ; il nous dit que l'Empereur, tout à fait résigné à son sort, se portait à merveille, qu'il montrait une activité incroyable dans ses projets d'embellissement et de fortification à Porto-Ferrajo et Porto-Longone ; passant une partie de ses journées à cheval, parcourant l'île en tous sens dans l'intention d'y faire percer des routes et de donner de l'importance à cette petite souveraineté, seul débris de tant de puissance que la parcimonie de ses ennemis venait de lui laisser.
Le capitaine Tower ne laissa point ignorer que le but de son voyage était d'aller chercher la princesse Borghèse pour la prendre à son bord et de la conduire près de son frère dont elle voulait partager le sort ; cette frégate, que plusieurs officiers furent visiter, était arrangée dans son intérieur avec une recherche et un goût qui prouvaient le motif de sa mission et le désir qu'avait le commandant d'être agréable à la belle princesse.
Engagé par lui à accompagner la famille Avigdor qui devait aller son bord, je crus, dans ma position, devoir le remercier de son aimable invitation que, dans toute autre circonstance, j'eusse acceptée avec empressement. Les précautions et la surveillance des officiers ne purent empêcher, l'irritation de nos hommes en apprenant qu'un de nos jeunes trompettes avait été gravement insulté par un Hongrois ; il s'ensuivit, dans la matinée du lendemain, une rencontre entre un brigadier de la compagnie d'élite et un hussard, dans laquelle ce dernier succomba ; de nouveaux défis avaient eu lieu et un combat de plusieurs devait avoir lieu dans la soirée, lorsque je reçus la visite du commandant des hussards qui vint me proposer de consigner nos hommes afin d'empêcher le sang prêt à couler. « Je suis désolé, lui dis-je, de ne pouvoir accéder à votre demande ; ce serait infliger une punition aux chasseurs qui ne la méritent pas ; votre hussard a été l'agresseur, il en a subi les conséquences ; mais, ce que je puis vous affirmer, c'est que mes chasseurs ne seront point provocateurs, mais qu'ils repousseront toujours avec énergie l'insulte qu'on pourrait leur faire ; libre à vous de consigner vos hommes, mais, quant aux miens, ils continueront de circuler dans la ville, le sabre au côté. » Et, saluant le commandant, nous nous séparâmes. Les hussards restèrent dans leur quartier, et pas une plainte n'eut lieu pendant notre séjour.
Le lendemain nous passâmes la revue du général Eberlé, qui avait désiré voir le régiment, bien que sa position ne fût que précaire. Ce brave militaire, qui commandait Nice depuis quatorze ans, avait espéré y terminer sa carrière d'honneur et de gloire, mais cette fatale destinée à laquelle la France n'avait pu se soustraire pesait sur lui ainsi que sur tant d'autres ; il fut surpris, en passant dans nos rangs, de la belle tenue du régiment et lui fit compliment sur la quantité de croix qui paraient la poitrine des chasseurs ; mais ce qui l'étonna surtout et mérita ses éloges, c'était d'avoir résisté à cette funeste influence qui avait démoralisé l'armée. Le 31e Chasseurs était encore fort de 840 hommes, et depuis le terrible exemple de Coni il n'y avait eu aucune désertion" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 256 et suivantes)
Le 31e est dissous le 12 Mai 1814 et les hommes versés dans le 14e Régiment de Chasseurs à Cheval.
Hippolyte d'Espinschal raconte : "Nous quittâmes Nice pour nous rendre à Grasse cette. ville aux mille fleurs, dont les rues étroites, tortueuses, rapides sont imprégnées d'une odeur de rose, de jasmin, d'héliotrope et de tubéreuse, qui ne laisse pas que d'être on ne peut plus désagréable, car il n'est pas de maison qui n'ait son laboratoire et ses alambics pour faire cette parfumerie si renommée en Europe, et l'on pouvait juger au teint des habitants que, si ce commerce est profitable à leurs bourses, l'émanation continuelle de tant de fleurs a une fâcheuse influence sur leur santé ; nous fûmes cependant obligés de rester deux jours au milieu de cette atmosphère embaumée qu'il me tardait de fuir, malgré l'obligeante hospitalité de M. de Gourdon, maire de Grasse, qui voulut bien m'offrir un gîte chez lui.
Cette ville, berceau de tant de nos célébrités militaires, me fit espérer d'y trouver le comte Gazan, qui avait eu tant de bontés pour moi en Espagne lorsqu'il remplissait les fonctions de général en chef de l'Armée du Midi ; mais j'appris avec chagrin, en me présentant chez lui, qu'il en était parti depuis peu de jours pour aller siéger à la Chambre des Pairs. Je ne parlerais pas de la petite ville de Seillans, dans laquelle nous vînmes coucher le 22, si elle ne faisait partie de notre itinéraire de marche, car le temps, la route et même les habitants, furent dans un si. parfait accord que je ne puis rien faire de mieux que d'oublier cette journée ; mais il n'en fut pas de même du lendemain, bien que nous ayons eu à traverser des montagnes arides et presque impraticables pour arriver à Draguignan, chef-lieu du département du Var ; nous y fûmes accueillis avec tant de bienveillance que nous oubliâmes facilement les petits déboires de la veille et les mauvais chemins que nous venions de parcourir ; mais, ce qui nous frappa en les traversant, ce fut de rencontrer une population nombreuse accourue sur notre passage, attirée par la curiosité, ce pays étant peu habitué à voir des troupes. Nous eûmes la satisfaction, en arrivant à Draguignan, d'y trouver nos frères d'armes de l'armée d'Italie ; le brave 35e de ligne, avec lequel nous avions combattu si souvent, venait d'y prendre garnison; aussi, notre joie fut-elle marquée par un repas de corps qui nous fut offert et par une fusion des deux régiments dont les cabarets de la ville profitèrent. Le soir M. Leroy, préfet du département, voulut bien me faire l'honneur d'assister à un punch flamboyant que j'offris aux deux corps d'officiers ; ce digne magistrat, d'un caractère ferme et impartial et du plus grand mérite, ne balança pas, lorsque Napoléon dut traverser son département pour s'embarquer à Fréjus, d'aller au-devant de l'illustre proscrit pour lui offrir ses hommages et lui témoigner tout ce qu'on doit de respect à une si haute infortune. Cette conduite, à une époque où l'ingratitude semblait une vertu, lui mérita l'estime de tous les honnêtes gens et fut même approuvée des ministres et du Roi lui-même mais il en fut autrement de la populace qui se porta aux plus grand excès et eût infailliblement massacré l'Empereur sans l'assistance et le dévouement de plusieurs personnes qui sauvèrent ce crime à des Français.
M. Leroy voulut bien me donner quelques détails sur la dernière conversation qu'il avait eue avec Napoléon et je m'empressai d'en transcrire les expressions.
« Je voulais, dit-il, le bien du monde; j'ai été cruellement trahi par Augereau et Marmont; sans eux, tout serait maintenant terminé et la paix de l'Europe assurée ; j'anéantissais la maison d'Autriche ; la Hongrie devenait indépendante, la Pologne royaume, Murat chassé de Naples que je rendais à Ferdinand. La paix avec l'Espagne et l'Angleterre, la France heureuse, les impôts diminués et plus de conscription pendant dix ans. Le Sénat savait tout cela ; je lui avais communiqué mes vues et cependant j'en ai été abandonné.
« Je désire que la France soit heureuse sous le règne des Bourbons, mais je crains que les intrigants n'empêchent Louis XVIÏÏ de profiter du beau royaume que je lui laisse. »
Je ne mettais pas en doute les paroles de l'Empereur, mais j'avoue que ma croyance n'était pas assez robuste pour accepter la réalité d'un aussi beau projet. Le pays que nous parcourions était dans la plus grande exaltation contre les troupes,. surtout dans les campagnes et les petites villes dont les habitants eussent été cent fois plus accueillants envers les Russes et les Prussiens et, n'était le calme, la réserve, joints à l'énergie que nous montrions, nous eussions été à tout instant dans le cas de repousser par la voie des armes les agressions du peuple qui semblait nous comprendre dans sa haine contre l'Empereur. Cependant, malgré cette modération, il me fut impossible de ne pas donner des marques de mon indignation sur la conduite du maire et les habitants de la petite ville d'Aups, où nous vînmes coucher en quittant Draguignan. Au moment où nous allions nous mettre en marche pour abandonner ce détestable endroit, informé que deux chevaux avaient été votés dans une auberge et que le maître lui-même avait cherché à débaucher plusieurs chasseurs en les engageant à déserter ; je lui fis sentir sévèrement toute l'inconvenance de sa conduite et, le rendant responsable du vol commis dans ses écuries, dont j'étais presque certain qu'il était l'auteur, je le prévins que si les chevaux n'étaient rendus à l'instant, j'allais adresser une plainte au préfet et au procureur du roi. Le maire qui jusqu'alors était resté, quoique présent, fort indifférent à cette discussion, prenant la parole, me signifia, en termes fort grossiers, de quitter à l'instant son endroit ou, sinon, qu'il allait faire sonner le tocsin.
Cette menace, appuyée des cris de la population qui nous entourait, m'indigna tellement que, faisant mettre le sabre en main aux chasseurs et ordonnant à deux pelotons de charger la populace, nous en fûmes en un instant débarrassés et partîmes, en emmenant avec nous l'aubergiste, malgré les vociférations et les pierres que nous lançaient les émeutiers, et, continuant tranquillement notre route, nous arrivâmes à Barjols, lieu d'étape où nous devions coucher. Deux heures après notre installation, les chevaux furent restitués avec une lettre d'excuses du maire auquel je répondis que c'était avec le préfet qu'il aurait à rendre compte de sa conduite, que j'adressais aussi mon rapport au ministre de la Guerre et que, bien que les chevaux eussent été rendus, j'avais remis l'aubergiste entre les mains de la gendarmerie. Les habitants, instruits de la malveillance de la ville d'Aups, nous firent l’accueil le plus affectueux pendant les deux jours que nous restâmes à Barjols. La ville de Saint-Maximin nous reçut de son mieux et, par surcroit d'obligeance, nous évita le désagrément d'aller à frets, assez mauvais endroit, dont les habitants s'arrangèrent avec ceux de Saint-Maximin pour nous garder vingt-quatre heures de plus ; cette circonstance me fut d'autant plus agréable qu'elle me procura la satisfaction de passer tout ce temps avec le général Gasquet que j'avais connu particulièrement en Espagne.
Cet officier général, retiré dans ses foyers, ignorait, comme tant d'autres, le sort qui l'attendait, mais il avait du moins la conscience de son honorable conduite et l'estime de ses concitoyens.
J'appris ce même jour, en lisant un journal, ce que je n'avais pas fait depuis Turin, que, dans le nombre des grands dignitaires de l'Etat, se trouvait assez ridiculement placé l'archevêque de Malines en qualité de grand chancelier de la Légion d'honneur. Cette fiche de consolation qui lui fut accordée à défaut du ministère des Affaires étrangères dont il se croyait digne pour avoir rempli le rôle de la mouche du coche parmi les membres du gouvernement provisoire, m'inspira la pensée de profiter de son ancienne liaison avec mon père pour obtenir du Roi, par sa médiation, les récompenses justement acquises par le régiment, tandis qu'on en accordait tant, avec une aussi grande prodigalité, à l'intrigue et à la corruption. En conséquence, j'adressai au grand-chancelier une pétition, jointe à l'état de propositions, dans laquelle je sollicitais, en faveur du 31e Chasseurs que j'avais l'honneur de commander provisoirement, les deux croix d'officier et les douze de légionnaire que le prince Eugène avait demandées à l'Empereur comme récompense méritée par le régiment à la bataille du Mincio ; osant espérer que Sa Majesté, trop juste appréciatrice du mérite et du courage, daignerait accueillir cette réclamation en faveur des braves militaires dont la reconnaissance serait égale au bienfait. Puis, faisant partir ma demande sans en rien dire à personne dans la crainte d'un non-succès, j'en attendis l'effet avec confiance. L'on verra plus tard quel en fut le résultat.
Les chaleurs commençant à se faire sentir d'une manière assez vive et la marche que nous avions à parcourir pour arriver à Aix étant très forte, nous partîmes de grand matin, dans l'intention de faire une halte au premier endroit favorable ; cette détermination devait me procurer une satisfaction tout à fait imprévue. Déjà, nous avions atteint onze heures et le soleil de la Provence commençait à darder sur nos têtes, lorsque l'aspect d'une longue et belle avenue, offrant les douceurs d'un tranquille repos sous un ombrage assuré et conduisant à une charmante habitation, m'engagea à envoyer un adjudant-major près du propriétaire pour lui demander s'il n'y aurait pas d'indiscrétion à s'arrêter deux ou trois heures pendant la forte chaleur dont nous et nos chevaux étions accablés. Non seulement une réponse favorable ne se fit point attendre, mais encore le châtelain y ajouta la bienveillante courtoisie d'engager les officiers à vouloir bien accepter un déjeuner qu'il avait l'honneur de leur offrir. Fort heureux de nous rendre à une aussi aimable invitation, nous fûmes accueillis avec d'autant plus d'empressement par le marquis de Montaigne et sa belle famille que celui-ci se trouvait être un ami particulier de mon père avec lequel il avait conservé des relations intimes ; aussi les soins, les attentions et les prévenances dont je devins l'objet pendant les quelques heures que nous passâmes au milieu de ces trois générations les firent-elles s'écouler rapidement et nous nous séparâmes de cette noble et respectable famille pénétrés de l'accueil que nous venions d'y recevoir mais une autre surprise nous attendait de la part de nos hôtes hospitaliers ; au moment où le régiment allait monter à cheval pour se mettre en marche, nous vîmes arriver une voiture chargée d'une volumineuse pièce de vin, suivie du marquis et de ses enfants demandant la permission d'admirer le beau 31e Chasseurs qui avait acquis une si brillante réputation en Italie, et réclamant l'honneur de lui offrir un toast au souvenir de la gloire, à la France et au Roi ; cette ovation, acceptée avec un véritable enthousiasme, se termina en défilant devant cette honorable famille au bruit de nos fanfares et de notre musique.
En arrivant à Aix, nous y trouvâmes deux régiments d'infanterie devant partir le surlendemain pour tenir garnison à Marseille, ce qui ne nous empêcha point d'avoir d'excellents quartiers aux alentours du superbe cours, plante de plusieurs rangées d'arbres, sur lequel nous passâmes le lendemain la revue d'un sous-inspecteur aux revues. Cette ennuyeuse corvée fut suivie d'un petit échec à l'amour-propre de cet officier qui, après nous avoir fait attendre plus de deux heures, employa des formes si peu honnêtes que je me réservai de l'en faire repentir à l'instant.
Lorsqu'il eut terminé son opération, m'ayant commandé d'une manière assez impérative de faire défiler devant lui le régiment par pelotons, je crus devoir refuser à son exigence ce que les chefs de corps n'accordaient que par tolérance, son service ne consistant qu'à constater la présence des hommes et des chevaux en conséquence de ce, je fis passer individuellement sous ses yeux les chasseurs tenant leurs chevaux par la bride ; après cette petite leçon méritée par le sous-inspecteur aux revues, le régiment monta à cheval exécuta quelques mouvements et défila comme un jour de parade en présence d'une population nombreuse.
Le soir, M. le sous-inspecteur aux revues me fit l'honneur de m'écrire pour me demander dans quelle intention je lui avais manqué d'égards et qu'il allait en rendre compte au ministre de la Guerre ; je lui répondis que libre à lui était de faire ce que bon lui semblerait, mon procédé ne s'adressant point a l'honorable uniforme qu'il portait, mais bien à sa personne ; qu'en agissant ainsi j'étais dans mon droit et qu'au reste, s'il n'était pas satisfait, je me mettais tout à fait à sa disposition.
Ainsi se termina ce petit incident dont je n'entendis plus parler.
Le jour suivant, nous passâmes la Durance, rivière assez insignifiante qui se jette dans le Rhône, n'étaient certains moments dans l'année où la largeur de son lit se trouve débordée par des eaux fougueuses et indomptables roulant des flots aussi élevés que ceux de la mer. La petite ville de Cadenet, dans laquelle nous vînmes coucher, pouvait être fort célèbre du temps des Romains ; mais cette prétention des habitants à une si haute antiquité ne pouvait guère nous dédommager du mauvais gîte qu'il nous fallut subir et bien que, le lendemain, la population de Cavaillon ait aussi voulu nous persuader descendre du peuple roi, nous y fûmes du moins assez convenablement établis et surtout parfaitement accueillis.
Cette ville avait été désignée comme point de réunion de la cavalerie de l'Armée d'Italie, mais, en y arrivant, nous nous y trouvâmes seuls, les régiments ayant successivement reçu leur destination; aussi, nous y trouvâmes la nôtre le lendemain pour aller tenir garnison à Avignon" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 281).
Hippolyte d'Espinchal raconte : "... Une lettre peu rassurante du général Mermet m'arrivant dans la soirée m'annonçait l'exaspération du peuple de cette ville contre les troupes ; des rixes sanglantes avaient eu lieu au passage de plusieurs régiments d'infanterie et ces mêmes hommes qui, en 1792, s'étaient souillés de tant de crimes au nom de la république, devenaient en ce moment de frénétiques royalistes envisageant les troupes comme le soutien du despotisme de Napoléon. Le général me donnait l'avis que, bien certainement, cette masse turbulente viendrait au-devant du régiment pour en exiger une profession de foi royaliste, ainsi qu'elle avait voulu le faire aux troupes qui nous avaient précédés il m'engageait à agir avec calme, prudence, mais fermeté, et à conserver la dignité qui appartenait au régiment que j'avais l'honneur de commander, me prévenant en même temps que le corps municipal, composé d'hommes sages et prudents, enverrait quelques-uns de ses membres aux portes de la ville pour nous recevoir, désirant qu'en refusant d'accéder aux exigences des perturbateurs, j'y mette le plus de modération possible et surtout j'évite toute voie de fait, la ville étant sur un volcan. Faisant aussitôt venir les capitaines, je leur fis prendre connaissance de la lettre du général afin qu'ils n'ignorassent point la position dans laquelle nous allions nous trouver, tant pour entrer dans cette ville turbulente que pour y tenir garnison. Je prescrivis dans ce premier cas de maintenir le silence le plus absolu, d'exiger des chasseurs beaucoup de réserve dans leurs logements, et qu'ils ne se présentassent jamais aux appels et aux distributions que le sabre au côté mais surtout d'éviter toute rixe avec le peuple, sans toutefois supporter une insulte.
Dans l'après-midi, un détachement de cinquante chasseurs, sous les ordres d'un capitaine, partit avec les sous-officiers de logement pour établir nos quartiers. Le régiment, dans une tenue parfaite, se mit en marche le 2 juin, dès quatre heures du matin, avec beaucoup moins de satisfaction que s'il eût été question d'aller attaquer une redoute ennemie. Vers les huit heures, peu après avoir passé la Durance sur un pont superbe, nous rencontrâmes le 1er Hussards, nos braves compagnons d'armes de l'Armée d'Italie, se rendant à Arles, prévenus comme nous sur les embarras qui les attendaient dans cette ville.
Les deux régiments firent une halte d'une heure et demie, où de nombreuses rasades furent bues au souvenir du passé et à l'espérance de l'avenir ; nous séparant ensuite avec les marques d'une affection cimentée sur les champs de bataille et serrant la main au colonel Clary, mon ancien camarade, nous nous souhaitâmes mutuellement bonne chance. Vers midi nous arrivâmes, en colonne par pelotons, le long d'un quai magnifique bordant le Rhône, en présence d'une immense population précédée par quatre membres du conseil municipal qui nous témoignèrent, au nom de la ville, la satisfaction qu'elle éprouvait de recevoir dans ses murs un régiment dont la réputation était aussi brillante, espérant que la concorde et l'union la plus parfaite régneraient entre nous et les habitants.
J'allais répondre à cette honorable réception lorsqu'un homme, de haute taille, à la figure rude, expressive et féroce, suivi d'une douzaine de coupe-jarrets, m'adressant la parole d'une manière assez brusque et presque menaçante : « Monsieur le colonel, me dit-il, nous exigeons, avant d'entrer en ville, que votre régiment fasse entendre le cri de : Vive le Roi ! A bas le tyran Bonaparte ! alors, nous l'accueillerons en frères. Oui ! oui ! criez Vive le Roi ! vociférait la populace en s'agitant comme des flots tumultueux ; Chasseurs, criez Vive le roi ! Mort à Bonaparte ! répétaient les hommes, les femmes et les enfants avec des hurlements menaçants, sinon nous vous chassons de la ville. » Mais les chasseurs impassibles, le sabre à l'épaule, répondaient par un silence énergique ; alors, faisant avec mon sabre un geste qui indiquait l'intention de parler, cette masse suspendit ses cris féroces pour entendre ce que j'allais dire.
«Messieurs les magistrats, dis-je, en m'adressant aux membres du Conseil municipal, soyez bien convaincus que le 31e régiment de Chasseurs se rendra digne du bon accueil que vous voulez bien lui faire ; en venant dans votre ville, il espère y faire des amis et sympathiser avec les habitants ; son dévouement pour le souverain qui nous gouverne sera sans bornes comme il l'a été pour celui qui nous conduisait à la victoire ; nos règlements militaires ne nous permettent de proférer aucun cri, mais veuillez croire que nos cœurs et nos bras seront tout dévoués au Roi de qui nous attendons le bonheur de la France. »
Aussitôt après cette réponse, j'ordonnai à l'avant-garde d'entrer en ville et nous suivîmes ce mouvement au bruit de nos fanfares et aux cris de Vive le Roi ! Vive le 31e Chasseurs ! poussés par le peuple que nous refoulions devant nous en évitant de lui faire aucun mal et sans qu'il mit aucun obstacle à notre marche ; l'attitude calme, sévère et martiale des chasseurs ayant produit l'effet de la crainte et du respect.
Aussitôt les. quartiers distribues, les officiers furent rendre une visite de corps au général Mermet qui nous conduisit chez M. Rouen, le préfet, que je connaissais particulièrement ; il savait déjà tout ce qui s'était passé, il m'en témoigna sa satisfaction aussi bien que le maire chez lequel nous fûmes ensuite.
Plusieurs postes furent établis, des patrouilles ordonnées pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité et tout se passa beaucoup mieux que nous n'avions lieu d'espérer ; cependant, le soir, des vociférations épouvantables se firent entendre dans les rues par plusieurs bandes de gens sans aveu criant les uns : Vive le Roi ! les autres : Vive le Pape ! provenant de deux partis existant alors dans la ville, dont l'un voulait le rétablissement de la souveraineté papale ; des rixes, des combats avaient eu lieu à cet égard depuis plusieurs jours et, la nuit de notre arrivée, ces excès se renouvelèrent sans que les chasseurs y prissent la moindre part, la garde nationale s'étant chargée de la police et pensant que notre intervention pouvait devenir nuisible ; cependant, par mesure de sûreté, les chasseurs reçurent l'ordre de se tenir prêts à tout événement.
Le lendemain, tous mes hommes circulaient dans la ville aussi tranquillement que si nous y fussions depuis six mois et l'accord le plus parfait s'établit entre nous et les habitants d'une manière si intime que, presque tous les soirs, nos chasseurs dansaient des farandoles avec les jeunes filles du peuple, usage fort habituel dans ce pays où les passions de tout genre sont assez vives" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 289).
Le 10 juin 1814, le Général de Division Grenier écrit au Ministre de la Guerre, à Paris : "J’ai l’honneur de rendre compte à V. E. que M. le général Gentil Saint Alphonse, commandant par intérim la cavalerie de l’armée, a fait remettre par le 14e régiment de hussards 200 chevaux au 19e régiment de chasseurs à cheval et 28 au 31e. Par ce moyen, ces deux régiments ont pu monter les hommes qu’ils avaient à pied, mesure qui m’avait été proposée par le général Mermet et que j’ai autorisé dans le temps, le régiment de hussards n’ayant pas les hommes nécessaires pour les soigner ..." (Papiers du Général Paul Grenier. XXI. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 97 page 207).
Le même 10 juin 1814, Hippolyte d'Espinschal écrit à son frère, depuis Avignon : "Me voilà donc arrivé, cher ami, après une marche de quarante-deux jours, pour prendre un premier repos dont je ne puis encore apprécier la durée et sans prévoir le sort qui m'est réservé, non plus qu'à mes braves compagnons d'armes, les bruits les plus contradictoires circulant à cet égard ; mais une chose qui me semble probable, c'est ma carrière brisée, ayant à lutter contre les obstacles, des contrariétés sans nombre et la foule d'intrigants assiégeant le pouvoir et obtenant tout par la persévérance de leurs poursuites ou au moyen de la corruption de l'or. Ce système, qui paraît être celui du jour, d'après tout ce qui se passe à Paris depuis ce qu'on appelle la Restauration, n'est nullement rassurant ; aussi, ai-je la conviction de n'y pas faire fortune avec mon caractère ; cependant je tiendrai tant que je pourrai, sans intrigue, sans bassesse, en suivant la ligne de mes devoirs et confiant dans mes droits ; il est vrai que c'est un métier de dupe, mais j'aurai du moins la conscience tranquille, cd qui n'est pas sans quelque consolation.
Quant à toi, pauvre financier déchu, peut-être te rendra- t-on une autre recette générale en échange de la belle qu'il t'a fallu quitter ; mais, au moins, dans le cas contraire, on sera, je pense, tenu de te rembourser 500000 francs versés dans les caisses de l'État comme cautionnement et, avec cette fiche de consolation, on peut facilement se tirer d'affaire ; dans tous les cas, j'attends impatiemment de tes nouvelles pour savoir quels sont tes projets. Le séjour d'Avignon, qui, dans un temps calme, eût été fort agréable, est en ce moment fort triste, cette ville étant en proie aux passions, aux ambitions et à la crainte ; une partie du peuple et plusieurs des premières familles du pays ont la funeste pensée de retourner sous l'autorité du Saint-Siège cette espérance, bien que dérisoire, se fonde sur la réclamation que le Pape vient d'adresser aux puissances, prétendant que, dans le moment où les princes de l'Europe rentrent dans les Etats que la force leur avait enlevés, il serait de toute justice que le Comtat Venaissin redevint tributaire de la tiare, comme avant la révolution de 92. Je ne sais jusqu'à quel point on fera droit à une semblable prétention, mais, en attendant, Louis XVIII ne parait guère disposé à abandonner un des fleurons de sa couronne, dût-il encourir les foudres du Vatican.
Depuis mon arrivée ici, n'ayant rien de mieux à faire que de me distraire, en attendant notre départ pour Montpellier dont j'ai reçu l'avis du ministère de la Guerre, j'ai voulu faire un pèlerinage dans ces lieux illustrés par les vers de Pétrarque et je vais te retracer mes impressions et les détails que j'ai obtenus sur cette fontaine merveilleuse.
La fontaine de Vaucluse, située à quatre lieues d'Avignon et à une demie du village de ce nom, est sans contredit une des plus belles et extraordinaires sources qui existent peut-être au monde. Placée dans des blocs de rochers énormes au milieu desquels se découvre une grotte immense où dort une eau transparente et silencieuse, quand les eaux de la source sont très basses, ce qui arrive ordinairement au mois d'octobre ; il s'en faut alors de plus de 60 pieds que l'eau parvienne au bord du bassin de la source et l'on peut, en prenant de grandes précautions, descendre jusqu'à la surface de l'eau qui est aussi unie qu'une glace, sans aucune espèce de mouvement et d'une profondeur incalculable. Tous les efforts faits jusqu'à ce jour pour sonder cet abîme sont restés infructueux.
C'est l'époque où l'on peut visiter la fontaine de Vaucluse, parce qu'il est facile d'approcher de la caverne et de parcourir sans danger le lit naissant de la rivière mais, lorsque je la visitai, la fonte des neiges ayant donné toute sa force à la source, elle versait ses eaux par-dessus les bords de la caverne dont elle cachait et surmontait de beaucoup l'ouverture. Un figuier poussé dans les veines dû rocher, plusieurs pieds au-dessus, est, dit-on, la marque de sa plus grande élévation.
L'onde se soulevait du gouffre sans fond, montant sans laisser apercevoir d'abord ses mouvements ; mais, ne pouvant pas se contenir dans la grotte, les flots se précipitaient avec fureur contre les blocs entassés qui semblaient s'opposer à leur passage cette lutte produisait un fracas horrible, une longue suite de cascades, une mer d'écume, un bruyant tumulte que l'écho des montagnes redoublait et faisait retentir au loin.
Il est difficile de rendre l'effet produit par un coup d'œil aussi majestueux, dont la nature fait tous les frais avec une prodigalité qui tient du sublime et une incommensurable magnificence.
Il ne reste, mon ami, après tant de merveilles, qu'à courber le front dans la poussière, pour adorer Celui qui en est le dépositaire après en avoir été le créateur.
Ce fut en revenant de cette course intéressante qu'un incident, qui pouvait être des plus fâcheux, devint la source d'un bonheur ineffable, dont malheureusement il ne me restera bientôt plus que le souvenir ; je chevauchais, suivi de mon ordonnance, en rêvant sur les phénomènes de la nature que je venais d'admirer, lorsqu'au tournant d'un chemin, un maladroit chasseur, tirant un lièvre, envoya une partie de la décharge de son fusil dans l'épaule de mon cheval qui, effrayé de cette subite détonation et vivement aiguillonné par les plombs, fit un soubresaut épouvantable et m'emporta à travers champs malgré tous mes efforts pour le retenir. Pour en finir de cette course échevelée, avisant une haie épaisse et haute de cinq à six pieds, je le dirige dessus ; mais, loin de s'arrêter devant cet obstacle, il le franchit, et nous tombons tous deux dans un fossé large et profond au milieu d'une flaque d'eau-bourbeuse, lui tout sanglant et moi fortement contusionné, gisant à côté l'un de l'autre, sans prévoir comment finirait cette triste aventure, mon ordonnance n'ayant pu me suivre que de très loin ; cependant la Providence me réservait un secours inespéré qui devait me dédommager amplement de tant d'infortune.
Une calèche, qui suivait une route peu éloignée de cet événement, s'arrêta, peut-être par curiosité autant que par désir de se rendre utile, car, au moment où mon lancier arrivait près de moi, un domestique en livrée s'approcha pour m'offrir, au nom de ses maîtres, secours et assistances. Lorsqu'on me releva, j'étais comme un de ces ivrognes venant d'avoir une querelle au cabaret ; j'avais les membres rompus, mon schako défoncé, mon habit souillé de boue, mon pantalon déchiré d'une manière fort inconvenante ; enfin, j'offrais un spectacle vraiment digne de pitié et des plus ridicules ; mais, ce qui m'inquiétait bien davantage, c'était mon pauvre cheval, sur lequel je redoutais d'apprendre une triste vérité, lui si brillant, si beau, si fier et si vif ; il venait de se relever tremblant de tous ses membres, paraissant souffrir et honteux de sa saleté repoussante ; cependant mon ordonnance, après l'avoir sorti du fossé et fait marcher quelques pas, me rassura complètement bien qu'il saignât toujours par la quantité des plombs entrés dans les chairs.
Dans ce même moment, arriva la calèche hospitalière dans laquelle se trouvait une jeune femme d'une grande beauté, mise avec une recherche incontestable, ayant près d'elle un homme d'un certain âge, d'une figure on ne peut plus distinguée, dont l'habit, paré du côté gauche d'une croix blanche, indiquait qu'il était commandeur de l'ordre de Malte. Ces deux personnes descendirent aussitôt de voiture avec un empressement rempli de bienveillance en se rappelant, malgré mon piteux état, m'avoir vu à la tête du régiment qui était à Avignon et me pressèrent avec tant d'instances de monter dans leur voiture, malgré ma résistance causée par ma malpropreté et mon débraillement, qu'il me fallut céder.
Nous nous mîmes en marche, tandis que mon ordonnance allait en ville pour me chercher des vêtements et prévenir le chirurgien-major de mon accident. Au bout d'une heure, une belle avenue de peupliers nous conduisit près du péristyle d'une charmante habitation dans laquelle je reçus les soins les plus empresses.
Placé dans un lit doux et moelleux, après m'être frictionné avec des spiritueux, je ne tardai point à éprouver un grand soulagement à mes douleurs que le docteur, en arrivant, paralysa complètement par une forte saignée et l'assurance qu'en peu de jours il n'y paraîtrait plus ; cependant, le lendemain, dans la journée, je voulais absolument partir, craignant ma présence indiscrète, mais, cette fois encore, il me fallut accéder aux vives sollicitations de la belle châtelaine et de son oncle le commandeur qui déclarèrent ne vouloir me rendre ma liberté que lorsque je serais entièrement rétabli.
Sept jours se passèrent sous ce toit hospitalier dont cinq, tout à fait rendu à mon état normal, furent employés à exprimer non seulement ma reconnaissance, mais aussi mon admiration et les sentiments que m'inspirait la belle comtesse de Se... veuve depuis trois ans. Nos journées se passaient en promenades pendant lesquelles le bon commandeur de Cadillonce me racontait ses caravanes, ses combats maritimes et ses misères pendant l'émigration. Le soir, en faisant sa partie de tric-trac, mes continuelles distractions occasionnaient des écoles dont il était charmé ; aussi, lorsque dix heures l'appelaient au sommeil, il se retirait on ne peut plus satisfait de m'avoir battu alors, commençait un tête-à-tête dont je savourais tout le charme avec bonheur ; la première fois, la musique et le chant en firent presque tous les frais, la comtesse ayant un talent remarquable et une voix admirable dont elle voulut bien me faire jouir ; puis, vinrent les conversations intimes, un abandon rempli de charme, un aveu faiblement repoussé; enfin, la circonstance, la solitude, le laisser-aller de deux êtres impressionnable toujours près l'un de l'autre, au milieu d'une nuit calme et tranquille, venant à mon aide, je triomphai de cette adorable femme qui s'aperçut trop tard de son imprudente confiance et finit, après avoir versé bien des larmes, par partager mes transports enivrants.
Mais tu dois savoir, cher Henri, que rien n'est plus commun que de voir succéder des revers à un grand bonheur, comme un enseignement certain que tout ce qui se passe dans ce bas monde est bien éphémère ; aussi, l'homme qui veut jouir de la vie ne doit-il jamais laisser échapper les occasions heureuses qui se présentent devant lui ; ce principe, qui a toujours été le fond de ma pensée et la cause de mes actions, vient de se faire sentir en cette circonstance d'une manière incontestable, car j'ai reçu subitement l'ordre de quitter Avignon avec le régiment pour aller tenir garnison à Montpellier. Il a donc fallu me séparer de cette femme adorable, emportant dans mon cœur un souvenir ineffaçable et des regrets incessants d'un bonheur de si courte durée, nous promettant comme consolation de nous écrire souvent et de nous revoir peut-être.
Adieu, cher ami, je te quitte pour donner le reste de mon temps à mes devoirs militaires et sous peu je t'informerai, j'espère, du sort qui nous est réservé, car, jusqu'à présent, rien ne transpire ; aussi sommes-nous entre la crainte et l'espérance" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 293).
Le 13 juin 1814, le Général de Division Grenier écrit au Général Gentil Saint-Alphonse, à Avignon : "… Je vous ai fait adresser cette nuit l’ordre de départ pour le 31e de chasseurs ..." (Papiers du Général Paul Grenier. XXI. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 97 page 207).
Hippolyte d'Espinschal raconte : "Les trois semaines que nous passâmes à Avignon furent plus que suffisantes pour nous attirer les sympathies des habitants au point que, lorsque l'ordre de notre départ arriva, les autorités de la ville voulaient demander au ministre de la Guerre de nous garder ; mais elles en furent détournées par le général Mermet qui déjà avait écrit vainement à cet effet ; mais, ce qui prouva du moins que nous avions rempli nos engagements et qu'en alliant la justice et la fermeté, on parvient à calmer le peuple le plus revêche.
C'est ici l'occasion, avant de quitter cette ville, de rappeler quelques faits dont plusieurs journaux entretinrent leurs lecteurs et qui servent à prouver l'inconstance des hommes en matière politique, ainsi qu'on doit attendre d'une révolution quelconque.
Huit jours s'étaient écoulés depuis notre arrivée à Avignon sans qu'aucune rixe ni la moindre plainte eussent mérité le blâme des autorités, l'accord le plus parfait régnait entre nous et les habitants et rien n'annonçait qu'il dût être troublé, lorsqu'un jour, je reçus une lettre anonyme, s'exprimant dans les termes les plus honnêtes, m'annonçant, pour le lendemain, la visite de quelques malotrus dont les intentions semblaient hostiles et m'engageant à me tenir sur mes gardes ; les expressions de cette missive avaient un caractère de telle vérité qu'il me fut facile de comprendre pourquoi elle n'était pas signée, et ne doutant pas de la véracité de son contenu, je pris mes dispositions en conséquence ; en effet, sur les neuf heures du matin, moment assez mal choisi par les visiteurs puisque c'était celui du rapport où les officiers devaient se présenter chez moi, on me prévint que trois individus assez mal vêtus désiraient me parler ; je fis aussitôt placer les officiers dans une chambre attenante à celle où j'étais, ne gardant près de moi que l'adjudant sous-officier et ordonnai de faire entrer les trois personnages en question ; parmi eux se trouvait ce même homme qui, lors de notre arrivée en ville, m'avait si impertinemment frappé sur le genou en me faisant part de ses désirs ; j'avais eu, depuis, des renseignements sur cet homme abominable qui, en 93, avait été un des principaux acteurs des horribles massacres de la Glacière à Avignon et était devenu un atroce démagogue royaliste, tout prêt à commettre de nouveaux crimes.
Lorsqu'on introduisit ces trois individus à la figure ignoble et sinistre, j'étais assis le dos tourné à la muraille, ayant devant moi une grande table en forme de bureau sur laquelle se trouvaient quantité de papiers et un pistolet ; j'en tenais un autre entre mes mains, et j'y introduisais la baguette comme ayant l'air de vouloir m'assurer qu'il était bien chargé ; debout, et à ma gauche, était l'adjudant. « Que voulez-vous, dis-je à ces trois hommes sales, débraillés et insolents dans leurs manières ? - Monsieur, me dit celui de ma connaissance, nous avons appris que vous étiez noble et qu'on vous appelait comte, et nous venons au nom de la population vous témoigner la surprise où nous sommes que vous n'ayiez point encore fait, ainsi que votre régiment, des démonstrations royalistes franches et énergiques, vous invitant à y adhérer sur-le-champ, si vous voulez éviter les désagréments qui pourraient arriver dans le cas contraire. »
Ces insolentes paroles, l'air ignoble de ces trois portefaix sentant l'eau-de-vie et le tabac, m'inspirèrent un tel dégoût et un mépris si profond que, reprenant aussitôt mon sang-froid prêt à m'échapper, je fis un signe à l'adjudant qui fit à l'instant rentrer les officiers qui étaient dans la chambre à côté.
« Messieurs, leur dis-je, je vous présente cette honorable députation se disant la voix du peuple d'Avignon, parmi laquelle vous distinguerez (en désignant du doigt) le sieur Tristany, de sinistre mémoire, qui vient nous donner des conseils un peu brusques sur la conduite que nous avons à tenir ici, si nous voulons mériter la bienveillance des habitants. Mais, comme j'ai l'assurance que vous pensez comme moi à cet égard et qu'il n'appartient qu'à notre général de nous donner des ordres, je vais prier ces messieurs de vouloir bien attendre la réponse qui nous sera faite à ce sujet. » - Et, sur un autre signe à l'adjudant, celui-ci sortit et revint aussitôt accompagné d'un maréchal des logis et huit chasseurs de la compagnie d'élite, invitant la susdite députation à les suivre à leur poste ; ces misérables, stupéfaits d'abord et comme atterrés, reprirent bientôt leur insolence et proférèrent des menaces qui se perdirent dans le lointain lorsque les chasseurs les emmenèrent. Je me rendis aussitôt près du général qui me conduisit chez le préfet, lesquels approuvèrent ma conduite et ce dernier, en faisant venir mes prisonniers, les remit entre les mains du procureur du roi.
La ville fut bientôt instruite de cet événement, et, le soir, nos chasseurs dansaient des farandoles avec les femmes et les filles de ce môme peuple qui riait de la mésaventure de ses prétendus députés.
Cependant, à quelques jours de là, un autre incident faillit devenir plus grave ; c'était l'octave de la Fête-Dieu, époque à laquelle le clergé d'Avignon et la population entière célèbrent cette fête avec la plus grande pompe.
Le régiment, à pied, dans une tenue parfaite, escortait une immense et belle procession, composée de toutes les églises de la ville, des congrégations avec leurs drapeaux, des différents saints des paroisses, d'une vierge en argent portée et entourée par de jeunes filles vêtues de blanc dont les cantiques montaient au ciel ; puis, venaient les diacres, les sous-diacres et les chantres couverts de leurs chapes d'or, chantant des hymnes, auxquels succédait la musique militaire ; apparaissaient ensuite une douzaine d'enfants de chœur en soutane et calotte rouge, mêlés avec de petites vierges de dix à douze ans, encensant et jetant des fleurs en avant d'un dais d'une magnificence incroyable, sous lequel le vénérable curé de la cathédrale portait le Saint Sacrement avec autant d'onction que de respect ; en arrière de ce dais, venait l'archevêque dans toute la splendeur de son costume, la mitre en tête, une crosse d'or à la main et suivi des premières autorités de la ville, après lesquelles venait la population sans distinction de rang, marchant avec calme et dans un profond silence. Tout cela inspirait de religieuses pensées, surtout en voyant cette foule s'agenouiller respectueusement et dévotement au moment où le prêtre exposait le Saint Sacrement sur l'autel d'un élégant reposoir et donnait la bénédiction. Cette pieuse et sainte cérémonie était sur le point de finir, lorsque, tout à coup, la marche est suspendue, et l'on entend, dans le lointain, un bourdonnement mêlé de tumulte et de cris menaçants qui parviennent jusqu'à l'archevêque, surpris, étonné et presque enrayé, attendant avec anxiété qu'on l'instruise de cette scandaleuse interruption. Placé près du général et du préfet, j'apprends bientôt par un adjudant-major qu'en face d'un reposoir et au moment où la tête de la procession défilait, un buste en plâtre de Louis XVIII, lancé par une fenêtre, était venu se briser sur le pavé et que l'auteur de ce délit était un maréchal des logis du régiment dont une blessure à la tête s'était rouverte depuis quelques jours ce qui lui occasionnait de fréquents accès de transports. Aussitôt après avoir rendu compte au général de ce qui se passait, je me rends sur les lieux et trouve un peloton de la compagnie d'élite placé fort heureusement en avant de la procession, tenant tête à une populace en fureur qui voulait enfoncer la porte de la maison pour massacrer l'auteur de ce scandale. Pensant aussitôt qu'il serait inutile d'entreprendre de faire entendre raison à cette foule exaspérée qui grossissait à chaque instant, j'affecte la plus grande colère et, m'adressant à la troupe : « Chasseurs, dis-je, emparez-vous de ce misérable et qu'on le conduise au cachot ou qu'on l'y transporte s'il est malade, afin que la justice ait son cours et qu'il subisse la punition de son crime. - Bravo ! disait le peuple, il sera fusillé et il l'aura bien gagné ! » En effet, enveloppé dans une couverture, placé sur un matelas, ce malheureux sortit au milieu des vociférations du peuple qui hurlait : « A mort, le renégat ! » Mais, entouré et défendu par les chasseurs, il échappa à leur vengeance et fut transporté à l'hôpital.
Tout cela se passa en moins d'un quart d'heure et la procession, reprenant sa marche, se termina tranquillement.
L'avant-veille de notre départ, la municipalité, voulant donner au régiment des marques de satisfaction sur la discipline et la bonne conduite qu'il avait tenues, témoigna le désir de le lui exprimer d'une manière authentique ; à cet effet, une grande manœuvre eut lieu dans une vaste plaine non loin de la ville où se transporta une partie de la population d'Avignon.
Des pièces de vin y furent portées et la santé du Roi bue aux acclamations générales de cette même population qui, à notre arrivée, aurait voulu pouvoir nous jeter tous dans le Rhône. Ainsi est faite partout cette masse de fainéants, de mauvais sujets, d'ouvriers inactifs, lâches, stupides, incapables de se mouvoir sans impulsion et à qui l'idée de se révolter ne viendrait jamais, si des hommes d'énergie, aux mauvaises passions, ne faisaient entrevoir, dans l'anarchie, le vol, le pillage et le rapt.
Le soir de notre manœuvre, l'ébullition populaire s'étant maintenue en faveur des chasseurs et, ne trouvant aucun inconvénient à les laisser jouir du dernier enivrement de cette ville que nous devions quitter le lendemain, il y eut, sur la grande place et dans les faubourgs, des danses et des farandoles échevelées qui durèrent une partie de la nuit, au milieu d'une joie aussi effrayante qu'une émeute" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 299).
Hippolythe d'Espinchal raconte : "Le 16 juin, le régiment quitta Avignon pour aller coucher à Nimes, cette antique cité, qui renferme aujourd'hui plus de monuments entiers qu'aucune ville d'Italie, sans en excepter Rome. Aussi employai-je ma journée à visiter son amphithéâtre, vulgairement appelé les arènes, le temple de Diane, ses bains, la porte d'Auguste et la tour Magne, monuments et débris vivants de la grandeur romaine.
Le lendemain, nous fûmes coucher à la petite ville de Lunel et, le jour suivant, à Montpellier. Notre premier devoir, en y arrivant, fut de rendre une visite de corps au général de division Chabot, au général de brigade Pelletier, à M. Aubernon, préfet du département, à monseigneur l’évêque Fournier, au maire et au comte de Latour-Maubourg, lieutenant-général, commissaire extraordinaire du Roi, qui nous apprit qu'on s'occupait au ministère de la Guerre d'une nouvelle organisation de l'armée, dans laquelle le nombre des régiments devant être réduit de presque moitié, le nôtre, qui se trouvait le dernier de son arme, subirait infailliblement ce sort pour être incorporé dans un autre ; au reste, il ignorait encore l'époque de cette opération dont le travail se faisait dans les bureaux. Cette fâcheuse perspective à laquelle nous nous attendions depuis longtemps ayant inspiré de justes craintes à plusieurs officiers, ils sollicitèrent du comte de Latour-Maubourg d'entrer dans les gardes du corps, ce qui leur fut accordé sur-le-champ.
Cependant, l'époque de cette nouvelle organisation n'étant point encore déterminée, nous dûmes rester comme si elle ne devait pas avoir lieu et conserver notre même service et administration jusqu'à nouvel ordre.
Le lendemain de notre arrivée nous passâmes la revue de M. Bacciochi, inspecteur aux revues, à l'effet de constater la présence des hommes et des chevaux. La force du régiment était de 45 officiers, 832 sous-officiers ou chasseurs, parfaitement montés et équipés, chose considérée comme très surprenante en un moment où la désorganisation était générale dans l'armée par la désertion à laquelle cependant la Garde impériale avait résisté ; mais le bon esprit, la discipline et l'admirable conduite des officiers avaient préservé le régiment de cette funeste influence, ce qui aurait dû nous faire espérer un autre sort que celui qui nous était réservé" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 305).
D'après un "Bordereau des corps et détachements de l’armée d’Italie pour servir à la répartition définitive du résidu des fonds provenant de la gratification accordée par S. A. I. le Prince Eugène, calculée à raison d’environ 10 jours de solde pour chaque grade, et pour les hommes présents seulement, d’après les états adressés par les corps ; cette répartition est faite conformément aux intentions de son excellence le comte Grenier", il est prévu pour les 1er, 2e, 3e, 5e et 6e escadrons du 31e Chasseurs à cheval :
Présents sous les armes |
Somme revenant à chaque corps pour |
Total |
||
Officiers |
Sous-officiers et soldats |
Officiers |
Sous-officiers et soldats |
|
46 |
741 |
1050 |
2450 |
3500 |
"En deux mandats l’un de 157 Frcs et l’autre de 3343 Frcs délivré à M. le Lieutenant Chevalier"; ce tableau a été certifié par le Chevalier de Saint-Charles, Inspecteur aux Revues de l’Armée d’Italie, à Manosque, le 20 juin 1814 (Papiers du Général Paul Grenier. X. 1768-1827, BNF, Paris. Doc 133 page 278).
Hippolythe d'Espinchal raconte : "J'éprouvai du moins, avant ce désastre, une heureuse et agréable surprise en recevant de la chancellerie de la Légion d'honneur une réponse favorable à la demande que j'avais adressée de Saint-Maximin le 27 mai. Le grand chancelier, dans sa lettre remplie d'expressions honorables pour le régiment, mandait qu'ayant saisi avec empressement l'occasion de solliciter du Roi des récompenses si justement méritées, Sa Majesté avait daigné les accueillir comme une dette qu'il payait à l'armée et à la gloire du prince Eugène, et qu'en conséquence, il m'adressait deux croix d'officier et douze de légionnaires conformément à ma demande. Cette réussite, sur laquelle je fondais peu d'espoir, m'avait fait garder le plus absolu silence sur ma démarche, aussi me fit-elle pour le moins autant de plaisir qu'aux nouveaux élus, dont la reconnaissance égalait la joie, avec d'autant plus de raison qu'ils avaient fait leur sacrifice des promesses du prince, le jour néfaste où nous nous étions séparés de lui. J'eusse désiré voir la croix sur la poitrine de tous les braves qui l'avaient méritée et qui plus tard l'eussent obtenue, mais cet espoir était détruit et je dus considérer cette dernière faveur comme un bienfait royal ; au reste, la plus grande partie des officiers en était justement parée, le régiment en ayant fait une ample récolte dans notre campagne d'Italie ; mais combien je fus heureux de remettre la croix d'or au brave et digne chef d'escadron Jouanet, une des gloires du 31e Chasseurs, ainsi qu'au valeureux capitaine Charbonnier, qui n'allait guère au feu que pour y faire une action d'éclat !
Ce fut le général Chabot, commandant la division, qui reçut les nouveaux décorés en présence de toute la garnison ; il donna ensuite un splendide repas où furent admis les nouveaux décorés, ayant à sa droite un sous-officier et un chasseur à sa gauche. Ce repas fut suivi d'un bal superbe, orné d'une quarantaine de femmes dont les parures et l'élégance étaient rehaussées par les grâces et la beauté si communes en cette ville. Ainsi se termina la journée du 10 juillet, si heureuse pour moi par le bonheur de mes braves compagnons d'armes et si honorable pour le régiment, mais où se mêlait pourtant le triste pressentiment du sort funeste qui nous était bientôt réservé.
Montpellier offre un contraste frappant avec Nîmes : là, on est tout Romains, tout imbu des souvenirs de l'antiquité ; à Montpellier, c'est le moyen âge où fleurissent à la fois deux choses qui bien souvent s'excluent : le commerce et la science.
C'est le berceau des troubadours, la ville des jeunes filles ; les danses y sont vives et coquettes, les femmes y sont jolies, gracieuses, spirituelles, elles attirent et elles captivent.
Je ne parlerai pas de la célébrité de son école de médecine ; j'aime mieux gravir la promenade du Peyrou pour y jouir d'une vue unique en Europe. De là, les regards s'étendent sur un panorama gigantesque que circonscrivent les Alpes, les Cévennes, les Pyrénées et la mer.
La ville est bien bâtie, mais généralement mal percée ; la plupart des rues sont étroites et escarpées, les places publiques sont irrégulières ; toutefois, l'ensemble de la ville est agréable et dans une belle situation sur une colline au pied de laquelle coulent le Lez et la Merdançon. De quelque côté que l'on y arrive, l'œil est enchanté; les environs sont ornés de charmantes maisons de campagne ; enfin, un aspect riant et des plus heureux, joint à la douceur du climat, à la salubrité de l'air, à l'urbanité des habitants et surtout au charme du beau sexe, font de cette ville un séjour délicieux et la mettent au premier rang des villes du Midi de la France.
La ville renfermait alors un régiment d'artillerie occupant la citadelle, un régiment d'infanterie et le 31e Chasseurs, dont le dépôt, fort de 300 chevaux, devait incessamment arriver de Clermont-Ferrand, ce qui détermina le général à nous répartir dans des cantonnements ; les escadrons furent envoyés à Lunel, Pézenas, Cette et Massillargues ; l'état-major, la compagnie d'élite et les ateliers restèrent en ville.
Peu de jours après ces dispositions, arriva le dépôt qui avait tenu garnison à Clermont-Ferrand où une affaire assez désagréable qu'il avait eue dans cette ville détermina le ministre de la Guerre à demander un rapport circonstancié sur cet événement.
Le capitaine Gougeon de la Thibaudière avait eu l'imprudence, dans un moment d'exaltation résultant d'une insulte faite à des chasseurs en voulant les contraindre à prendre la cocarde blanche avant qu'ils en eussent reçu l'ordre de leur chef ; le capitaine, dis-je, entra à cheval dans la cathédrale, mit pied à terre, monta dans le clocher, où était suspendu le drapeau blanc, l'arracha et le précipita dans la rue.
Cette coupable conduite excitant une rumeur générale, une collision entre la population et la troupe fut sur le point d'avoir lieu d'une manière funeste sans l'influence du général Beker et de l'adjudant commandant Trinqualy, commandant la garde nationale, qui parvinrent à calmer les partis.
Cette affaire, qui eût infailliblement entraîné la destitution du capitaine, en était restée là, grâce aux autorités de Clermont qui n'avaient fait aucune poursuite ; mais le ministre de la Guerre, informé plus tard du délit, m'en avait demandé compte et mon silence persévérant, en répondant que j'attendais des informations précises, sauva cet officier de son étourderie.
Sur ces entrefaites, arriva le colonel Desmichels dont l'absence avait duré trois mois et demi il était accompagné de sa gracieuse et charmante épouse, jeune Polonaise dont il était devenu l'époux après la bataille d'Austerlitz, étant alors capitaine dans les Chasseurs de la Garde impériale ; cette aimable femme joignait à une beauté remarquable esprit, talent et une bonté qui la faisait chérir de tous ceux qui l'approchaient. Ma liaison intime avec son mari m'avait d'autant mieux mis même de l'apprécier que Mme Desmichels avait bien voulu m'admettre à faire partie de son ménage pendant tout le temps de notre séjour à Montpellier ; aussi lui ai-je voué un culte éternel et un souvenir ineffaçable.
Cependant notre position précaire n'était pas sans inquiétude ; le temps, en s'écoulant, ne l'améliorait point, puisqu'il était certain que notre numéro était proscrit ; en effet, l'arrivée du 14e Chasseurs ne laissait plus aucun doute sur notre sort et nous apprîmes que c'était dans ce corps qu'il nous était réservé d'être incorporés ; la désertion y avait été tellement forte qu'il n'y restait plus que 150 chasseurs et 90 chevaux, qui furent envoyés dans les environs et dans la ville en attendant l'arrivée de l'inspecteur général chargé de cette opération ; nous apprîmes seulement que le colonel Desmichels, se trouvant moins ancien que son collègue, serait mis en demi-solde et que, par l'effet du hasard, n'ayant pas de concurrence à craindre, j'avais presque l'assurance d'être conservé" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 306).
Hippolyte d'Espinchal donne la liste des Officiers du Dépôt de Clermont-Ferrand : Ring, *, Major, mis en retraite; Laval, *, Quartier-maître trésorier; Beaumont, *, Capitaine; Laurent, *, Capitaine; Pétriconi, Capitaine; Barrat, *, Lieutenant; Bernard, Lieutenant; Labassé, Lieutenant; Gougeon de la Thibaudière, Capitaine; Malbois, Lieutenant; Laprade, Sous-lieutenant; Dubourg, Sous-lieutenant; Guittel, *, Sous-lieutenant; Dias, Sous-lieutenant; Peligry, Sous-lieutenant; Wesck, *, Sous-lieutenant, Souplet, Sous-lieutenant; Chaumouront, Sous-lieutenant (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 391).
Hippolyte d'Espinchal raconte : "Le 18, je reçus l'ordre du général Chabot de partir pour Beaucaire avec 200 chevaux et quatre compagnies d'infanterie afin d'établir un service pendant la foire ; cette circonstance me fit d'autant plus de plaisir que j'étais fort désireux de voir ce marché européen d'une aussi grande célébrité et qu'en outre, j'avais l'assurance d'y rencontrer la belle comtesse de Ser ...
Le colonel Desmichels et sa femme, voulant aussi jouir de ce spectacle curieux, y vinrent partager l'établissement qui m'avait été assigné dans la ville de Tarascon, séparée de Beaucaire par le Rhône sur lequel était alors un pont de bateaux communiquant aux deux rives.
Tarascon, jadis une place très forte, était encore entourée de murailles flanquées de tours, percées de trois portes, et dominée par un antique château bâti sur un rocher dont le Rhône baigne les pieds ; c'est un carré d'une grande élévation, ayant, du côté de la ville, deux belles tours rondes et, du côté du fleuve, deux tours irrégulières ; c'était jadis, une habitation royale, devenue aujourd'hui une prison. Les rues de la ville sont larges et bien percées le cours, qui borde la grand'rue, offre une belle promenade ; les dehors sont riants et agréables, surtout le long du Rhône. Notre établissement y fut très convenable et on ne peut plus confortable sous le rapport culinaire, les autorités ayant à cet égard donné les ordres les plus précis, de même que pour les vivres et le vin fournis à ma troupe.
La ville de Beaucaire est dans une situation extrêmement heureuse et avantageusement placée pour le commerce, à l'embouchure du canal d'Aigues-Mortes, sur la rive droite du Rhône et vis-à-vis la ville de Tarascon.
Jusqu'à la hauteur de Beaucaire, le Rhône est navigable pour les tartanes, des navires de grande dimension et même des bricks qui y arrivent à pleines voiles de tous les ports de la Méditerranée ; la facilité qu'ils ont de remonter à Beaucaire a fait choisir cette ville pour l'entrepôt général du commerce de la France avec l'Espagne, les côtes d'Afrique et d'Asie, ainsi qu'avec le Levant et l'Italie, pour être, enfin, le point central et le rendez-vous général du commerce connu sous le nom de foire de Beaucaire, où se réunissent les négociants, les industriels de presque toutes les contrées commerciales de l'Europe.
Cette foire se tient dans la ville aussi bien que sous des tentes construites dans une vaste prairie bordée d'arbres qui s'étendent le long du Rhône ; il y avait plus de 200 000 personnes réunies, presque tous négociants français, grecs, espagnols, arméniens, turcs, égyptiens, arabes, italiens et autres, venant pour y vendre ou acheter les produits de l'industrie de toutes les nations. La diversité des costumes et la variété des marchandises offraient un coup d'œil unique et du plus grand intérêt.
Chaque quartier avait son commerce spécial ; il n'y avait pas de marchandise, quelque rare qu'elle soit, qui ne s'y trouvât ; aussi les affaires qui s'y terminent en quelques jours sont-elles estimées à plusieurs millions ; mais, ce qui ajoutait à l'extraordinaire de cette immense réunion, c'était la quantité de spectacles de tous genres, des charlatans de toutes espèces, des automates, des ménageries, des saltimbanques avec les clarinettes, les cymbales, la grosse caisse, enfin, tout ce qu'on peut imaginer de curieux et de grotesque, attirant la foule au milieu du tumulte, de la confusion et d'une poussière épouvantable et sans qu'on n'ait à réprimer que quelques rixes insignifiantes.
La foire de Beaucaire s'ouvre le 1er juillet ; mais ce n'est que du 15 au 18 qu'elle est en pleine activité, époque à laquelle on fait venir de la troupe pour maintenir l'ordre jusqu'au 28, à minuit, qu'elle se termine alors, cette affluence de population, abritée sous des tentes ou des baraques formant un camp nomade, disparaît comme par enchantement.
La ville de Beaucaire, petite, mal bâtie, les rues étroites et mal percées, n'a d'importance que pendant la foire et devient après cette époque une véritable bourgade très insignifiante.
Le bon commandeur de Cadillonce et sa nièce arrivèrent ainsi que j'avais lieu de l'espérer ; mais, ayant oublié de se précautionner d'avance d'un logement et, par surcroit d'embarras, accompagnés d'une seconde voiture dans laquelle se trouvaient deux dames et deux messieurs, ils furent sur le point de s'en retourner, lorsque, fort heureusement, me trouvant à l'endroit où ils devaient débarquer, ces dames voulurent, bien accepter un gîte à Tarascon, dans la maison qui avait été mise à ma disposition ; cette circonstance, loin de contrarier madame Desmichels lui fut fort agréable et n'ajouta pas peu de charme au séjour turbulent de la foire.
Notre retour à Montpellier fut marqué par un assez fâcheux incident. La maison que nous occupions, laissée sous la surveillance de nos domestiques et de deux chasseurs de confiance, avait été visitée par des voleurs qui s'étaient introduits, en coupant les vitres d'une fenêtre, dans l'appartement du rez-de-chaussée, occupé par le colonel, en avaient enfoncé le secrétaire et soustrait mille écus en or ; je redoutais à peu près le même sort en montant dans ma chambre, mais, heureusement, il n'en fut rien et, malgré les recherches les plus minutieuses de la police, on ne put rien découvrir. Peu de jours après cet événement, le colonel prit la détermination d'aller à Paris pour tenter la conservation du régiment, en proposant au ministre de la Guerre d'en faire un corps de lanciers qui se trouverait tout formé sans dépense pour l'État ; il avait même l'intention de s'adresser au Roi en faisant valoir la conduite exemplaire du 31e Chasseurs, qui avait résisté à cette funeste influence de désertion, à peu près générale dans l'armée ; mais ses démarches n'obtinrent aucun succès et le colonel eut en outre le déboire d'être mis provisoirement en demi-solde.
Deux jours après son départ, je reçus l'ordre du général d'aller inspecter les changements qui avaient été faits dans plusieurs de nos cantonnements, ayant été obligés d'évacuer ceux dont les ressources en fourrages étaient épuisées : cette circonstance me convenait d'autant mieux qu'elle me mettait à même d'explorer un département digne de fixer l'attention d'un voyageur.
La petite ville de Bassaux où je fus d'abord, était occupée par l'escadron de lanciers elle n'eut d'autre intérêt pour moi que d'y revoir mes braves compagnons d'armes et de trouver dans le maire de cet endroit une de mes anciennes connaissances de Paris, M. de Malibran, lequel me maintint pendant deux jours dans une continuelle activité de plaisir. Mais Agde, où je me rendis ensuite, me mit à même de satisfaire mes goûts d'observation ; cette ville fort ancienne fait remonter sa fondation aux Phocéens de Marseille, vers l'an 163 de Rome ; sa position est très avantageuse, dans une plaine riche et fertile sur la rive gauche de l'Hérault ; elle est entièrement bâtie en laves basaltiques, flanquée de deux tours rondes et noires. Son port, précédé d'un beau chenal formé par l'embouchure de la rivière, est fréquenté par un grand nombre de bâtiments qui font cabotage actif et très avantageux ; il peut contenir 450 navires et l'entrée est défendue par un fort. Un phare y est placé sur le sommet des vestiges d'un sémaphore romain. L'ancienne cathédrale, originairement un temple païen, fut consacrée au culte catholique vers le VII° siècle ; elle est regardée comme un chef-d'œuvre d'architecture.
En quittant Agde, je vins dans la jolie petite ville de Massillargues avec un sentiment palpitant d'intérêt qui ne fit qu'augmenter lorsque je me vis logé dans le beau château du marquis de Nogaret de Calvisson, situé au milieu de la ville. Sa femme, demoiselle d'Espréménil, jeune et intéressante personne, remplie de grâce, de talent et possédant une belle fortune, m'avait été destinée et notre mariage à peu près arrêté pour la fin de 1806, lorsque M. de Calvisson, se présentant avec un million de fortune, vint détruire mes espérances de bonheur en obtenant sa main. Ce fut alors que je commençai ma carrière militaire en France afin de chasser de mon cœur, s'il était possible, des sentiments qui absorbaient toutes mes pensées ; aussi combien fus-je affligé en apprenant plus tard tous les affreux malheurs dont cette union avait été frappée.
Le marquis de Calvisson devint aveugle et son intéressante épouse, qui semblait devoir être un des plus gracieux ornements de la société par son esprit et ses talents, fut elle-même atteinte d'un de ces fléaux que Dieu devrait réserver aux méchants. Les habitants de Massillargues, témoins des premiers symptômes de cette funeste maladie, m'en donnèrent des détails déchirants qui prouvaient tout l'intérêt qu'on lui portait ; deux fois, elle fut ramenée dans son manoir avec l'espérance de lui rendre la santé, mais les derniers accès devinrent si violents qu'il fallut la soustraire pour toujours aux regards du monde.
L'appartement qui me fut donné dans son château, était celui qu'elle occupait jadis ; aussi les deux jours que je passai dans ce superbe séjour furent remplis d'idées tristes et pénibles qui me firent refuser un bal que les habitants voulaient me donner.
La proximité de Massillargues avec une ville célèbre dans notre histoire m'engagea d'aller la visiter, bien qu'elle soit à peu près inconnue d'un grand nombre de touristes qui croiraient ne pas y trouver d'assez vives impressions. Cependant, comment ne pas ressentir un intérêt puissant, à l'aspect d'Aigues-Mortes, lieu où s'embarqua saint Louis pour aller en Palestine une première fois, en 1248, à la tête d'une armée de 35000 hommes qui y périrent presque tous, et une seconde fois, pour une nouvelle croisade de 60000 combattants et une flotte de 1800 vaisseaux qui partirent le 1er janvier 1270, en se dirigeant vers les côtes d'Afrique et abordèrent près l'ancienne Carthage. L'armée débarquée sur ce point attaqua d'abord les troupes de Tunis avec succès ; mais, bientôt, l'ardeur du climat et la contagion firent de grands ravages parmi les croisés et le saint roi lui-même, frappé par le fléau, y trouva la mort le 25 août, exprimant le désir que son successeur fît fortifier la ville d'Aigues-Mortes, ce qui fut exécuté par son fils Philippe le Hardi.
Il faut, avant d'y arriver, traverser de nombreux marais dans lesquels paissent quantité de chevaux sauvages, d'une taille peu élevée, mais que l'on dit être de bonne espèce.
La ville est située à une lieue de la mer ; cette distance a toujours été la même, malgré le dire de plusieurs écrivains qui prétendent que ses flots en frappaient les murs lorsque saint Louis s'embarqua pour la Terre Sainte ; cette opinion est une erreur dont on est tout à fait revenu aujourd'hui.
Aigues-Mortes est dans une contrée très marécageuse, non loin des importantes salines de Peccais, à la jonction de plusieurs canaux ; cette ville est entourée de remparts d'une belle conservation, construits sur le plan de ceux de Damiette, suivant les intentions de saint Louis ; ils s'élèvent à la hauteur d'environ 70 mètres, percés de mâchicoulis, de meurtrières, couronnés de créneaux ; ils sont flanqués de 15 tours propres à recevoir des combattants. Il y avait alors de larges fossés qui, aujourd'hui, sont presque entièrement comblés. Vers un des angles des remparts, est assis le château, vaste bâtiment militaire, puis la tour de Constance d'une hauteur de 180 mètres.
On voit encore la maison dans laquelle François 1er et Charles-Quint eurent leur entrevue en 1538.
La tour de Carbonnière, qui est détachée des remparts, est aussi fort belle et bien conservée.
Les constructions d'Aigues-Mortes sont faites sur une imitation du camp des croisés ; les rues y sont tirées au cordeau, avec des places séparant les différents quartiers. Il fut un temps où cette ville contenait 10000 âmes, mais aujourd'hui, elle ne renferme guère plus de 1800 habitants, de la classe de pêcheurs et agriculteurs, l'insalubrité du pays en éloignant les gens aisés, ce qui prive cette malheureuse cité d'industrie et de tout commerce autre que celui du sel : aussi, les rues y sont tristes, désertes comme si une contagion y avait fait son séjour, et j'en sortis avec le cœur attristé pour chercher quelques compensations dans la jolie petite ville de Lunel, jadis place forte, mais dont les fortifications furent rasées par le cardinal de Richelieu. Cette ville est située dans un territoire fertile en vin muscat d'excellente qualité, près la rive droite du Vidourle, sur le canal de Lunel, communiquant au Rhône par l'étang de Mauguio. La ville renferme aussi un quartier de cavalerie qui était occupé par un escadron du régiment dont je fis l'inspection ; mon séjour y fut de vingt-quatre heures pendant lesquelles, après mes devoirs militaires remplis, j'eus la satisfaction de passer une soirée fort agréable chez M. le maire qui voulait me prouver que, si son vin était bon, les dames de la ville pouvaient aussi être citées par leur beauté, leur agrément et leur esprit. Je trouvai, en arrivant à Montpellier, une lettre de l'inspecteur général de cavalerie, baron Doumerc, annonçant son arrivée pour le 15 septembre, prescrivant pour cette époque de dresser un état nominatif des officiers du régiment avec leurs services et la date de leur nomination dans leur grade. Ainsi plus de doute ! Nous touchions au terme de notre existence et ce beau et brillant 31e Chasseurs, qui avait acquis tant de gloire et d'illustration, allait disparaître des contrôles de l'armée. Le lendemain de la réception de cette lettre, arriva de Paris le colonel Desmichels qui avait complètement échoué dans ses démarches, sans avoir même l'espoir d'être conservé en activité, cruelle perspective pour ce brave et digne militaire, un des officiers les plus distingués de l'armée, ayant acquis tous ses grades sur les champs de bataille pour prix de plusieurs actions d'éclat et de nombreuses blessures !" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 310).
Le 28 septembre 1814, Hippolyte d'Espinchal écrit, depuis Montpellier, à son frère : "Reçois, cher ami, mes félicitations bien sincères sur le nouveau titre dont vient de te gratifier ta belle épouse en me faisant oncle d'un marmot qui, j'espère, viendra à bien, si Dieu lui prête vie ; mais, avec un bonheur semblable, il faut aussi savoir subir les conséquences de la paternité en tâchant de réparer la brèche que la Restauration vient de faire à ta fortune par la perte de 60000 francs de rentes que te donnait ta recette générale ; et, puisque tu te trouves dans cette Babylone où le vice coudoie la vertu, l'intrigue culbute le mérite et l'or est à côté de la boue, pourquoi ne chercherais-tu pas à te faire jour au milieu de tant d'écueils pour obtenir quelque chose? Je sais bien que ton épine dorsale n'est pas très flexible, mais enfin, si ce n'est pas toi-même, pourquoi d'autres ne pourraient-ils le faire ? Notre cher oncle par exemple, qui, par le fait de la Restauration, se trouve aujourd'hui lieutenant-général, grand'croix de saint Louis et commandant les Gendarmes de la Garde du Roi, pourrait fort bien te faire obtenir une place d'officier supérieur dans ce corps où tu aurais l'avantage d'être du très petit nombre de ceux qui ont entendu siffler les balles et les boulets.
Aujourd'hui comme toujours, modeste est le synonyme de nigaud ; je t'engage donc d'éviter d'être de ces derniers en gardant un silence inutile ; au reste, s'il faut en croire les gazettes, c'est une curée générale où chacun veut avoir sa part : qui des croix, de l'argent ; qui des habits de cour, de généraux, de colonels, qui des places de pairs, de préfets, d'administrateurs ; enfin, ce serait ce jeu qu'on appelle la toilette de madame. Reste à savoir maintenant où tout cela nous mènera ? Dieu seul le sait ; mais je ne puis me persuader que bouleverser pour recréer puisse être un bon système ; c'est, au reste, le sort que nous venons de subir il y a huit jours, car, en ce moment, il n'existe plus du 31e Chasseurs que le souvenir de sa gloire dont l'histoire de nos fastes militaires pourra seule faire revivre la mémoire.
Le 20 septembre a été le jour néfaste qui est venu éclairer la fin de notre existence. Dès la pointe du jour, les débris du 14e Chasseurs et les 995 hommes du 31e, réunis sur un vaste terrain en dehors de la ville, ont été proclamés dissous par le général de division Doumerc, en vertu des pouvoirs dont il était revêtu à cet égard et, aussitôt après, déclarant la formation immédiate du nouveau 14e Chasseurs, il procéda sur-le-champ à sa nouvelle composition en faisant reconnaître les officiers de chaque grade, pris indistinctement dans les deux régiments par rang d'ancienneté. Conservé par la raison toute simple qu'il ne se trouvait pas de concurrent de mon grade, il me fut ordonné de prendre le commandement du régiment pendant l'absence du colonel Lemoyne, chef du corps, en congé illimité, pour cause d'une maladie grave le retenant à Paris.
Cette première opération terminée, vint celle des sous-officiers, chasseurs et trompettes dont le nombre fut porté à 725 hommes montés, pris en presque totalité dans l'ex-31e, le surplus montant à 600, renvoyés dans le plus bref délai en congé dans leurs foyers.
Telle est, mon ami, la transmutation qu'il nous a fallu subir au milieu de la tristesse générale. Je sais bien que cette mesure est le résultat du traité de Paris qui réduit complètement l'armée, mais ce n'était point une raison pour voir surgir, des salons et des boudoirs, des individus noyant jamais porté une épée, qui s'emparent des grades supérieurs au détriment d'anciens et braves militaires couverts d'honorables blessures et de faits glorieux ainsi, dans le régiment, ont été réservées pour des personnes complètement étrangères à l'armée et dont j'ignore encore le nom, une place de chef d'escadron, deux de capitaine et trois de lieutenant, contrairement même à l'ordonnance qu'on avait fait connaître. Cette injuste et impolitique conduite, qui doit mécontenter l'armée au profit de quelques intrigants, peut avoir les plus désastreux résultats.
En mon particulier, j'éprouve un bien vif chagrin de me voir séparé brusquement du brave colonel Desmichels avec lequel j'avais des relations si intimes et qui, je ne saurais l'oublier jamais, me sauva la vie sur le champ de bataille de Villafranca ; cette circonstance est un lien qui m'attache éternellement à lui ; au reste, sa conduite dans ce désastreux moment a été remplie de noblesse et de dignité et il faut espérer qu'il lui en sera tenu compte.
Depuis cette époque, je travaille comme un manœuvre aux détails de l'organisation qui n'avait été qu'ébauchée par l'inspecteur général; mais, ce qui me donne le plus de tracas, c'est le renvoi des hommes non conservés qui ne peuvent obtenir le paiement de leur solde arriérée. Ces malheureux sont obligés de retourner dans leurs foyers sans argent et créanciers de l'Etat pour 80 ou 100 francs dont ils ne toucheront jamais un sol; lorsque l'on pense qu'il en est ainsi de toute l'armée, tu m'avoueras que c'est une peu honnête banqueroute qui certainement sera profitable à quelques fripons et fera peser sur le gouvernement une bien fâcheuse impression.
J'ignore encore si nous garderons la garnison de Montpellier mais, dans tous les cas, je compte demander un congé aussitôt l'arrivée du colonel, car il est bien temps, après huit années de soumission à mes devoirs militaires, de jouir un peu de mon entière liberté ; alors, j'irai à Paris te rejoindre près de notre bon père qui parait avoir renoué ses relations intimes avec M. le prince de Condé et les nombreux amis dont il était séparé depuis si longtemps. Cette jouissance doit lui être bien douce, et je conçois qu'il en savoure tout le charme mais, quant à cet excellent prince, ce Nestor de l'armée française, ce modèle de l'ancienne chevalerie, il est à craindre que son grand âge ne l'enlève bientôt à la France et à ses admirateurs.
On nous annonce la prochaine venue d'un prince royal dans nos murs. Cette nouvelle a produit des sensations diverses, mais il est cependant bien certain qu'ici la plus grande partie de la population désire ce moment avec une vive impatience quant aux troupes, elles attendent avec calme et ne failliront pas à leur devoir ; c'est du moins ce dont je puis réponde quant au régiment qui est sous mes ordres en ce moment.
Adieu, cher Henri, n'oublie pas de rappeler à ta femme que son beau-frère l'aime toujours ; donne un baiser pour moi au nouveau-né, mille tendresses à notre bon père et garde pour toi le souvenir de ton meilleur ami" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 318).
Hippolyte d'Espinchal raconte : "On concevra difficilement l'imprévoyance, le désordre et le gâchis qui présidèrent à la nouvelle organisation de l'armée, particulièrement sous le rapport financier ; et, sans vouloir accuser personne, il est cependant très positif qu'un matériel immense est devenu la proie des fripons, tandis qu'on aurait pu remplir les magasins de l'Etat et leur donner un écoulement profitable.
J'avance tous ces faits avec une connaissance d'autant plus parfaite que, commandant alors le 14e Chasseurs et par conséquent chargé de surveiller son administration, je puis affirmer que tout ce que je vais retracer est la plus exacte vérité et j'ai tout lieu de penser qu'il en était de même à cette époque dans tous les différents corps de l'armée. Lors de l'amalgame des 14e et 31e Chasseurs pour n'en former qu'un seul corps, le premier régiment avait 90 chevaux et le second, y compris le dépôt venu de Clermont-Ferrand, se montait à 1132 hommes parfaitement montés et équipés. Or, sur ce total de 1222 chevaux, 725 furent extraits pour former le 14e Chasseurs et, quinze jours après, je reçus l'ordre de vendre aux enchères les 497 restant, avec le surplus des équipements, harnachements et fonds de magasin, et, comme l'ordre portait une date fixe pour son exécution et par conséquent la suppression de fourrages, il en résulta que les acheteurs s'entendirent et ne se présentèrent que le jour fatal. On fut donc obligé de livrer, en présence de l'inspecteur aux revues Bacciochi et sur procès-verbal, les chevaux tout harnachés et équipés, au terme moyen de 60 francs et, chose plus singulière encore, c'est que cette livraison, qui revenait à l'Etat à 600 francs chaque, fut en grande partie achetée par des fournisseurs qui allaient les vendre aux régiments qui en avaient besoin, moyennant le prix accordé par le gouvernement.
Quant à l'armement, ce fut le même gaspillage ; ainsi, pour le 31e Chasseurs seul, ce fut plus de 400000 francs jetés dans les mains de certains agents dont on ne connaissait pas les chefs, mais qu'il était facile de deviner.
L'on peut juger, par cet aperçu, des sommes immenses perdues par l'Etat sur toute l'armée; mais ce qui passe toute expression et augmente le scandale de cette désastreuse opération, ce fut le refus de payer, du produit de ces ventes minimes, l'arriéré de solde dû aux hommes qui n'obtinrent que l'étape pour retourner dans leurs foyers.
Sans vouloir approfondir les motifs d'une aussi inqualifiable conduite à l'égard des finances de l'Etat et surtout envers ces malheureux soldats qu'on renvoyait sans acquitter envers eux une dette aussi sacrée, l'on peut dire que cette époque de la Restauration affligea tous les honnêtes gens par l'incurie ou le mauvais vouloir de certains personnages marquants qu'on accusait hautement du désir de s'enrichir d'une manière illicite et scandaleuse. J'eus, dans ce même temps, un procès avec la ville qui aurait pu porter une atteinte à ma bourse, sans ma prévoyance ou, pour mieux dire, l'exactitude avec laquelle je remplissais les ordres que je recevais, ce qui, dans cette circonstance, m'évita un déboire qui m'eût été fort désagréable" (Masson F., Boyer F. : « Hippolyte d’Espinchal, souvenirs militaires, 1792-1814 », Paris, 1901, t. 2, p. 321).
V/ UNIFORMES DU REGIMENT EN ITALIE
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Fig. 5 Compagnie de lanciers du 31e Chasseurs à cheval, 1813, d'après H. Knötel |
Fig. 6 Trompette de la Compagnie de lanciers du 31e Chasseurs à cheval, 1813, d'après le Manuscrit de Marckolsheim |
L'uniforme porté (et décrit par Hippolyte d'Espinchal dans ses Souvenirs militaires), est alors copié sur celui des lanciers polonais mais de fond vert distingué de chamois au collet, parements et passepoils de la kurtka avec shapska de fond chamois. La compagnie d'Elite et les lanciers prennent le pantalon rouge à bande chamois. Cette tenue polonaise a vraisemblablement été adoptée en Espagne par Desmichels vers le milieu de 1813 avant de partir pour l'Italie (Figure 3, 4 et 5).
Une ceinture "à la polonaise" distingue les compagnies : rouge pour la compagnie d'Elite, verte et chamois pour les lanciers, chamois pour les compagnies du centre qui portent des nids d'hirondelles vert et chamois en guise d'épaulettes. Ils sont armés d'une carabine, d'un sabre et de deux pistolets.
Les officiers supérieurs ont leur marques de grade en argent et la schapska bordé d'argent, surmontée d'une aigrette blanche. Ceinture en réseau or et argent, avec deux glands en grosse torase; de même que les garnitures de la giberne.
Schabraque de moutons blanc festonnée de chamois et portemanteau vert avec galon chamois et vraisemblablement numéro 31.
Ps Certaines représentations donnent une plaque rayonnante à la schapska mais nous pensons qu'elle en était dépourvue.
La flamme de la lance pour la compagnie ou l'escadron de chasseurs-lanciers est soit rouge et blanche comme les polonais soit plus vraisemblablement chamois et blanche.
Figure 3 : Uniformes à la Polonaise portés en Italie en 1814 par le 31e Chasseurs à cheval. Avec répartitiondes distinctives selon les compagnies.
Figure 4 : Compagnie de lanciers du 31e Chasseurs à cheval. Dessin de Roger Roux. On notera les chevronsd'ancienneté sur la manche.
Figure 5 : Compagnie de lanciers du 31e Chasseurs à cheval, fin 1813. D'après H. Knoetel. On notera les variantes au niveau de la culotte par rapport au dessin de Roux. La ceinture verte et chamois est bien décrite dans les mémoires d'Espinchal.
Figure 6 : Trompette de chasseurs lanciers, tenue à la polonaise, Italie, fin 1813-1814. D'après le manuscrit de Marckolsheim. La tenue est galonnée de blanc aux revers, parements et collet et le galon forme des boutonnières sur les revers. On notera la plaque de la schapska à centre cuivre et rayons de métal blanc.
VI/ LA CAMPAGNE D'UN DETACHEMENT DU 31E CHASSEURS A CHEVAL A L'ARMEE DE LYON, FEVRIER-MARS 1814
Fin décembre 1813, l'Empereur accepte que le Dépôt du 31e Chasseur soit transféré d'Annecy à Vienne (Chuquet A. : « Ordres et apostilles de Napoléon, 1799-1815 », Paris, 1912, t.4, lettre 6337).
En prenant le commandement de l'Armée de Lyon en Janvier 1814, le maréchal Augereau peut constater qu'il n'a quasiment aucune troupe. Il se replie sur Valence et réquisitionne les fonds de tous les dépôts pour se constituer une armée. C'est ainsi que le 21 Février, 90 cavaliers des 4e et 31e Chasseur à cheval des dépôts de Vienne vont rejoindre Lyon où ils forment avec d'autres détachements des 13e Cuirassiers, 1e , 4e et 12e Hussards, la cavalerie mise sous le commandement du général Digeon.
Ils vont servir lors des combats pour repousser les Autrichiens. Au 15 mars, 23 hommes du 31e Chasseur à cheval sont détachés à la division du général Marchand et 48 hommes sont détachés à la division du général Bardet.
VII/ SOURCES
- Mémoire d'Hyppolithe d'Espinchal.
- Quintin : Dictionnaire des colonels de Napoléon
- Martinien
- Dessins de Boisselier, Knötel, Vallet, Manuscrit de Marckolsheim …